Gabelle

De DHIALSACE
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Salzgeld, Salzsteuer

Les monopoles étatiques sur la vente du sel existent depuis l’Antiquité. Ils font partie des systèmes fiscaux des États européens au Moyen Âge et à l’époque moderne, aussi bien dans le Saint‑Empire morcelé que dans le royaume de France, où le terme de « gabelle », désignant au départ tout impôt, finit par ne plus recouvrir que celui sur le sel.

La fiscalité du sel dans l’Alsace médiévale n’a guère été étudiée. La liberté de la vente semble avoir dominé jusqu’à la fin du Moyen Âge. Il n’y a pas alors d’impôt, mais des taxes, dues par les sauniers (Salzmütter, désigne aussi les mesureurs), qui viennent principalement de Lorraine, et les revendeurs (Gremper). À Wissembourg, à la fin du XIVe siècle, elles consistent en un setier de sel par voiture (Salzwegen, Salzkerch) et un demi-setier par revendeur à verser chaque année à l’abbaye. Dans l’Histoire de Strasbourg, Philippe Dollinger évoque un « premier essai de monopole vers 1400 », qui fait place, en 1405, à un retour à la liberté de vente, en petites quantités, après quoi le monopole est définitivement instauré vers 1470 : « Désormais, l’achat et la vente du sel appartint au maître du grenier à sel – situé rue de la Douane – assisté d’une commission municipale de trois membres. » À l’époque moderne, l’Alsace est couverte de greniers à sel (Salzcasten). En Haute-Alsace autrichienne, plusieurs villes et seigneurs jouissent du privilège de posséder les leurs, les premières se plaignant de la concurrence faite par les seconds (barons de Montjoie) ; des monopoles existent cependant : une concession datant de 1483 oblige les habitants des communautés du bailliage d’Altkirch à prendre le sel au grenier de la Ville (AHR 5C 1106). Ces greniers des Villes et seigneurs voisinent avec ceux amodiés (Verleihung des Salzcastens) par la Chambre d’Ensisheim. La Régence se montre soucieuse de réprimer le faux-saunage : en 1599, la communauté de Zillisheim, qui revendique le droit de faire commerce du sel, en est empêchée par le bailli de Landser.

La monarchie française introduit la gabelle en Alsace en ce qu’elle importe le terme pour désigner la vente monopolistique du sel héritée par le roi, dans les terres d’ancienne domination (terres des Habsbourg annexées en 1648) uniquement. Dans la géographie bigarrée de la gabelle, la province, conservant ses usages, fait partie des « pays de salines », avec la Franche-Comté, les Trois-Évêchés et la Lorraine ; contrairement à ces contrées, qui sont des sources d’approvisionnement, l’Alsace ne possède pas de saline, hormis à Soultz-sous-Forêts : sa production, relancée en 1764, alimente le faux-saunage jusqu’en Haute-Alsace (AHR 5C 1106). À l’instar des autres impôts indirects de la Maison d’Autriche entrés dans le domaine du roi, la gabelle d’Alsace est affermée (v. Ferme des impôts). Au début du XVIIIe siècle, les magasins royaux, fournis par le fermier des salines de Lorraine, sont à Altkirch, Ammerschwihr, Belfort, Haguenau, Strasbourg et Thann. Un septième magasin est bientôt créé à Colmar. Les habitants de ces villes ne s’approvisionnent pas dans ces magasins, qui, à part ceux de Strasbourg (qui ravitaille Fort-Louis) et de Colmar, alimentent essentiellement les communautés villageoises dépendantes. Chacune est desservie par un « magasineur » : nommé par le fermier, le receveur principal, le seigneur ou la communauté, il lève au magasin la quantité de sel qui lui semble nécessaire, la voiture et la distribue : « Il paye le quintal au magasin 10 liv. 16 sols 2 den., mais il a la liberté de le revendre 2 sols 8 den. la livre, au moyen de quoi il se trouve un bénéfice de 2 livres 10 sols par quintal, pour lui tenir lieu de salaires et frais de voiture. Ce prix est égal dans toutes les terres de l’ancienne domination. » (Dupin, 1745).

Les habitants de Strasbourg, de la Décapole et d’un grand nombre d’autres villes et seigneuries ne sont pas soumis à la gabelle, mais au monopole des Magistrats et des seigneurs. En janvier 1701, l’intendant de La Houssaye supprime les privilèges existant dans les terres d’ancienne domination, en permettant aux habitants de la province « sujets à la Gabelle du Roy » d’acheter le sel en quintal dans les magasins royaux, « sans être obligés d’en prendre en détail chez les magasineurs particuliers », et en défendant aux seigneurs « d’y apporter aucun empêchement ». Quatre mois plus tard, faisant droit à l’opposition des Magistrats des Villes de Ferrette, Belfort et Altkirch, il défend aux habitants d’Altkirch et de son bailliage, de Ferrette et de ses dépendances, de Belfort et de la seigneurie et paroisse de Phaffans d’acheter du sel ailleurs qu’aux magasins desdites Villes ; mais ces derniers doivent être approvisionnés par les magasins du roi. En 1733, les communautés de Hattstatt et de Voegtlinshoffen sont contraintes, par le subdélégué Gayot, d’acheter leur sel dans les magasins du baron de Schauenburg, avec, là aussi, l’obligation pour ce dernier de ne se fournir qu’auprès des magasins du roi. La monarchie française ne conserve pas seulement les anciennes exemptions, elle en crée de nouvelles pour les trois villes forteresses édifiées en bordure du Rhin, de sorte que les habitants, civils et militaires, de Fort-Louis, Neuf-Brisach et Huningue ne payent le sel que 7 livres 10 sols le quintal. Les différences de prix du sel d’une localité à l’autre favorisent le faux-saunage. Les trafiquants sont traqués et poursuivis en justice par les fermiers du roi comme par ceux des Villes ; ces dernières ont, en effet, adopté massivement l’amodiation de leurs revenus (v. Ferme des impôts), entre autres la vente du sel, sans que les Magistrats aient, pour autant, renoncé à leur droit de regard, comme le relève Bernard Weigel dans le cas de Wissembourg. Les faux-sauniers sont condamnés à des amendes, qui varient en fonction de la quantité de sel passée en contrebande : en novembre 1730, un bourgeois de Villé, sur qui l’on a fait saisie « de six muids huit vaxels de sels [= environ 3 500 livres], ainsi que des six chevaux, chariots et harnais », a été condamné « en 500 livres d’amende et aux dépens […], pour avoir pris des chemins obliques et voulu conduire lesdits sels de l’autre côté du Rhin, contre les clauses portées dans son traité passé avec les Fermiers » ; neuf mois plus tard, une habitante de « l’isle près Tammersheim appartenante aux jésuites d’Ensisheim » est condamnée « en 10 livres d’amende et en 8 livres de dépens » pour avoir été prise avec 25 livres de sel acheté à Neuf-Brisach.

La gabelle, impôt très contesté dans le royaume, est également une source de revenus importants et croissants pour la monarchie. En 1683, le Magistrat de Strasbourg estime que le roi gagnerait à supprimer totalement les bureaux de péage en Alsace, car cette mesure « augmenterait considérablement le domaine du Roy sur le maspfennig et sur la distribution du sel, par la grande consommation de vin et de sel qui se fera en conséquence de cette franchise ». Dupin écrit en 1745 que le produit total de la gabelle d’Alsace « peut être estimé, année commune, 220 à 230 mille livres, déduction faite du prix de la fabrication des sels et voiture ». La gabelle est abolie au cours de la Révolution, mais Napoléon Ier rétablit une taxe sur le sel en 1806.

Sources - Bibliographie

AHR 1C 3580, 8099, 8100, 8191-8193 (Régence d’Ensisheim), et 5C 1105, 1106 (Intendance d’Alsace).

DUPIN (Claude), OEconomiques, Karlsruhe, vol. 2, 1745.

Extrait des reglemens intervenus sur les differens droits de la ferme d’Alsace depuis la réunion de cette province à la France, Paris, 1748.

DUPIN (Claude), Abrégé historique d’Alsace, vers 1726, publié dans : BAVELAËR (Édouard), « État de l’Alsace par un financier », RA, 1858, p. 541-552.

BRUCKER, Polizei-Verordnungen (1889).

LIVET,Intendance (1956), p. 216-217, 698-699.

LIVET, RAPP, Histoire de Strasbourg (1980-82), p. 147.

HIMLY,Dictionnaire (1983).

STREICHER (Jean-Claude), « François-Antoine Philbert, prêteur du roi à Landau, propriétaire de la saline de Soultz-sous-Forêts », Outre-Forêt, 1991/III, no 75, p. 19-34.

WEIGEL (Bernard), « Wissembourg et le commerce du sel, particulièrement au XVIIIe siècle »,L’Outre-Forêt, 1993/II, no 82, p. 38-57.

LIMON (Marie-Françoise), « Gabelle », BÉLY Lucien (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, 1996, p. 581-583.

Notices connexes

Commerce

Ferme des impôts

Saline

Salzgaden

Salzgeld

Salzkasten

Salzmütter

Sel

Éric Ettwiller