Frontière

De DHIALSACE
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Frontières, Grenze,Grenzen

I. Frontières culturelles

Cette présentation, qui ne se veut nullement exhaustive, se situe à la frontière des institutions puisque, moyennant une gamme très variée de critères, elle prend en compte des usages qui s’inscrivent, non pas de part et d’autre d’une frontière rectiligne ou linéaire – le Rhin, les Vosges, le Jura –, mais dans une aire culturelle et, par conséquent, dans une zone d’influence, plus difficile à cerner qu’une véritable frontière. Sans tomber dans les
excès d’un déterminisme ethnologique, force est de
constater que l’Alsace, région des marges par excellence,
située entre l’espace germanique et l’espace
français et ouverte, le long de l’axe rhodano-rhénan,
aux influences méditerranéennes, est soumise
à divers courants qui en font un « carrefour »
plutôt qu’un « creuset », puisque les influences qui
s’exercent sur la province ont tendance à s’ajouter
les unes aux autres sans forcément se fondre entre
elles. Les tentatives de centralisation, de l’apparition
des États nationaux à la Révolution et à
l’Empire, se montreront incapables de mettre un
terme à ce qui est perçu par les autochtones comme
l’expression d’une « identité » et par les étrangers
comme un ensemble de « particularités ». En effet,
l’originalité alsacienne est essentiellement relevée
par les voyageurs et hôtes de passage, venus
d’outre-Rhin comme d’outre-Vosges (Montaigne,
L’Hermine, Goethe, pour ne citer que les plus
célèbres) et par les administrateurs français « parachutés
 » dans une province nouvellement rattachée
au Royaume dans la seconde moitié du
XVIIe siècle. Les uns et les autres apportent leur
irremplaçable regard neuf qui, quoique superficiel
et subjectif, a le mérite de relever ce que les autochtones,
par accoutumance, ne perçoivent plus, pas
davantage qu’ils ne perçoivent de « frontière » autre
que politique, et, par conséquent, d’autoriser la
comparaison avec d’autres régions. Le piège réside
dans la généralisation de ces descriptions, rapides
et quelque peu réductrices, assorties de jugements
hâtifs, qui ont tendance à se fonder sur une fausse
unicité de l’Alsace (l’ouest et l’est, le nord et le sud)
et à mêler montagne et plaine, ville et campagne,
peuple et élites, vie quotidienne et circonstances
exceptionnelles.

Il est des domaines dans lesquels, la notion de
frontière, dans son acception conventionnelle,
n’est guère pertinente, du fait de la porosité de
cette dernière : comment en serait-il autrement,
compte tenu des échanges constants d’hommes
(immigration au XVIIe siècle), de marchandises
(par la vallée du Rhin et les vallées vosgiennes), et
d’idées (Humanisme et Renaissance) ? Sur le plan
géopolitique, ce qui frappe d’emblée les analystes,
c’est, quelle que soit l’ambition d’une centralisation
française, du reste assez tardive, la persistance
d’une mosaïque seigneuriale, plus proche de
la Kleinstaaterei allemande à l’ouest de l’Elbe que
du système féodal français, moyennant un certain
nombre de « libertés » revendiquées par des potentats
locaux, puis par les communautés d’habitants.
Au nombre des principautés les plus importantes,
certaines s’étendent d’ailleurs de part et d’autre du
Rhin (duché de Wurtemberg, comté de Hanau-
Lichtenberg). Or, l’appartenance politique influe
sur les choix religieux, l’Alsace étant le lieu de cohabitation
entre les trois confessions. Sur le plan
juridique, nombreuses sont les spécificités, amplement
développées par ailleurs, du droit édicté
et appliqué dans la province, qu’il soit public ou
familial. Par l’édit de 1657, la monarchie s’engage
d’ailleurs à respecter les usages locaux avant que
l’intendant de La Grange ne conseille de « ne pas y
toucher », tant les Alsaciens sont attachés, comme
le note l’Hermine, aux « lois d’Allemagne ». La
manière de « tenir » la terre rapproche l’Alsace davantage
de l’aire germanique que de l’espace français
 : à la notion de « propriété », au sens romain du
terme, de petite propriété en l’occurrence, se substitue
celle de « possession », présente dans l’Erblehen,
emphytéose de fait parfois fort éloignée de l’emphytéose
de droit, mise en exergue par des juristes
français férus de droit romain.

Dans le domaine économique, l’attention des ressortissants
français ou occasionnellement anglais,
comme Arthur Young, est retenue par l’importance
de la petite culture intensive « à la flamande », du
reste fort répandue dans l’ensemble de la vallée rhénane,
obtenant des rendements honorables au prix
de l’utilisation d’une abondante fumure et de l’emploi
d’une main-d’oeuvre pléthorique. C’est que la
structure des exploitations et les techniques culturales
rappellent davantage celles de l’espace rhénan
que celles de l’espace français, tandis que « l’abondance
de la population » stimule à la fois l’emploi
et la demande. Alors que le vignoble atteint ses limites
septentrionales grâce à une bonne exposition,
deux productions agricoles, véritables plantes de
civilisation, sont symptomatiques de la transgression
d’une frontière : la pomme de terre, progressant
de l’est vers l’ouest, connue dans les « jardins
d’Allemagne » (Hesse, pays de Bade, Alsace) dès le
XVIe siècle, avant de conquérir les terroirs français