Frauen werk (unser lieben -)

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OEuvre Notre-Dame, Opus sancte Marie

L’appellation « unser lieben frauen werk » (OEuvre Notre-Dame) désigne l’institution chargée de recueillir et d’administrer les fonds nécessaires à la construction de la cathédrale de Strasbourg, ainsi que de gérer le chantier de construction (Münsterbauhütte) de cette dernière, puis, dans les siècles suivants, d’en assurer l’entretien et la conservation.

Historique

La dénomination apparaît pour la première fois vers 1224-1228, dans un inventaire de biens du Chapitre. À cette époque, et jusqu’en 1282, l’OEuvre est dirigée par les chanoines de la cathédrale, par délégation épiscopale (la paix de 1263 n’y apporte aucun changement).

À partir de 1286, on voit apparaître des administrateurs laïcs qui agissent par délégation de la Ville. Ce changement, confirmé par des articles des cinquième et sixième statuts municipaux, ne semble lié à aucun conflit, l’évêque renouvelant sans problèmes les lettres d’indulgences destinées à rapporter des fonds. L’OEuvre semble parfaitement remplir sa fonction et elle profite des donations qui suivent la Grande Peste (1349) pour se constituer un solide capital.

À la fin du XIVe siècle, lors des conflits entre la Ville et l’évêque, ce dernier accuse la Ville de détourner à son profit les revenus de l’OEuvre et en revendique la direction. Que ces accusations aient été fondées ou non, l’institution semble avoir été touchée par des malversations et la Ville renvoie, en 1399, l’architecte de la cathédrale, les administrateurs, l’économe et le chapelain, et pourvoit les postes à neuf.

Enfin le compromis de Spire, en 1422, délimite définitivement les compétences. L’OEuvre reste sous la direction de la Ville ; l’évêque et le chapitre ont le droit d’envoyer un chanoine assister à la reddition de comptes annuelle. Cette dernière clause sera peu respectée.

La Réforme apporte peu de changements ; que la cathédrale soit affectée au culte protestant ou catholique (de 1550 à 1560), l’OEuvre, sous administration municipale, finance l’entretien et les travaux nécessaires.

Les crises économiques de la fin du XVIe siècle et les guerres du XVIIe affectent considérablement les ressources de l’OEuvre Notre-Dame, soit d’une manière directe en réduisant à peu de choses les ressources en nature qu’elle commercialisait, soit d’une manière indirecte en réduisant les ressources de ses locataires et débiteurs et donc ses ressources en numéraire. Ce n’est qu’avec peine que la fabrique peut faire face aux dépenses d’entretien nécessaires. Il faudra attendre le début du XVIIIe siècle pour en revenir à une situation normale.

1681 voit le retour du culte catholique à la cathédrale. C’est l’occasion aussi de conflits entre l’évêque et les chanoines d’un côté et la Ville de l’autre, pour le contrôle de l’OEuvre. Le différend sera tranché par Versailles, après 1753, en faveur de la Ville. La fabrique est chargée des dépenses concernant l’extérieur du bâtiment, les chanoines et l’évêque supportent les frais des aménagements intérieurs. Cette solution fonctionnera jusqu’à la Révolution.

En 1789, la cathédrale devient propriété de l’État et le restera ; les biens de l’OEuvre sont temporairement confisqués.

La loi de 1802, suivant le Concordat, prévoit le retour de la cathédrale au culte catholique et, en 1803, l’administration de la Fondation de l’OEuvre Notre-Dame est restituée à la Ville (arrêté du Premier Consul du 3 frimaire an XII – 25 novembre 1803). Dès 1799, un arrêté du gouvernement républicain avait précisé que les revenus de l’OEuvre, administrés par la Ville de Strasbourg, étaient uniquement destinés à l’entretien et à la conservation du monument. Cet arrêté sert encore de base au règlement actuel.

Organisation (à partir du XIVe siècle)

On peut supposer qu’au XIIIe siècle, l’Opus sancte Marie, dirigé par les chanoines, avait à l’origine son siège au palais épiscopal ou au Bruderhof. Mais c’est seulement au XIVe siècle qu’on peut le localiser avec certitude. La fabrique est présente à la cathédrale avec la chapelle de la Vierge, face au jubé, construite en 1316 par maître Erwin (démolie après 1681). En 1347, la construction de la maison de l’OEuvre sur la place épiscopale (actuel Musée de l’OEuvre Notre-Dame, aile Renaissance 1578) lui donne un siège définitif.

L’institution est dirigée par trois administrateurs (Pfleger, gubernatores, la terminologie, imprécise au XIIIe, se fixe au XIVe siècle), issus de la noblesse ou du patriciat strasbourgeois et nommés par le Magistrat. Ce sont eux qui représentent la Ville dans tous les actes juridiques nécessaires au fonctionnement de l’OEuvre : achats, ventes, locations, démarches devant les tribunaux… La fonction est honorifique et ne rapporte que des gratifications lors des grandes fêtes religieuses.

Les administrateurs supervisent le véritable gestionnaire ou économe (Schaffner, procurator) qui peut être un prêtre ou un laïc. Il rassemble les dons, a la haute main sur les ressources et les dépenses, gère la maison de l’OEuvre et toutes les propriétés, décide des investissements, commercialise les ressources en nature, contrôle le chantier… Maniant d’importantes sommes d’argent, il est personnellement responsable de sa gestion et fait l’objet d’innombrables règlements municipaux qui cherchent à éviter malhonnêteté et abus. Avec les administrateurs, il rend chaque année des comptes devant le Magistrat et le Conseil.

Il est secondé dans sa fonction par un chapelain (capellanus capelle) qui célèbre les offices dans la chapelle de la Vierge, reçoit les dons et les demandes de messe pour les défunts (ces dernières augmentant considérablement, on lui adjoindra plusieurs autres prêtres) et participe également aux travaux d’administration.

Un secrétaire (notarius) est chargé de l’encaissement des cens et loyers à la ville et à la campagne et, avec l’aide de scribes, de tous les travaux d’écriture.

Dans la maison de l’OEuvre où logent un grand nombre de personnes, on trouve aussi valets, cuisinier, boulanger, servantes, qui émargent également au budget.

Le contrôle du chantier entre dans les attributions de la fabrique. Les architectes, depuis maître Erwin, sont engagés directement par la Ville et prêtent serment devant le Magistrat et le Conseil. L’architecte et son contremaître (parlier) organisent le chantier, mais tous les paiements de personnel et de matériel sont du ressort de l’économe qui pratique des contrôles réguliers. De plus, les artisans engagés travaillent non seulement pour la cathédrale, mais aussi pour les propriétés de l’OEuvre.

Enfin la fabrique, en plus des frais de culte de la chapelle de la Vierge, a également à sa charge le salaire des gardiens (Münsterknechte) chargés de l’entretien et du bon ordre à la cathédrale. Cette organisation restera grosso modo la même jusqu’en 1681.

Ressources

L’OEuvre bénéficie du produit de troncs qui lui sont propres, dans la cathédrale et dans les paroisses strasbourgeoises, ainsi que dans des paroisses à la campagne. Elle organise périodiquement des tournées de quêtes dans le diocèse et reçoit les dons de villageois venus en pèlerinage à Strasbourg. Enfin, elle bénéficie de dons lors de testaments notariés.

Pour encourager la générosité des fidèles, les évêques ont, dès le XIIIe siècle, eu recours à des lettres d’indulgences, lettres abondamment renouvelées au cours des XIVe et XVe siècles, ainsi qu’à la création d’une confrérie de la Vierge. Dans le même ordre d’idées, la fabrique a profité du succès des messes anniversaires pour les défunts, comme en témoigne l’obituaire de la chapelle de la Vierge.

Mais l’OEuvre, faisant preuve d’une remarquable vision à long terme, a eu très tôt le souci de se libérer du caractère aléatoire des dons. Elle a su, vers 1350, profiter de la vague de donations qui a suivi la Grande Peste pour se constituer un capital tant immobilier que financier et n’a eu de cesse de l’accroître. Elle a acquis maisons en ville et terres à la campagne et joué un rôle de banque en pratiquant prêts et vente de rentes.

On peut considérer qu’au début du XVe siècle, elle a atteint en partie son but, la part des profits du capital représentant bien les deux tiers des ressources générales. La conjoncture économique défavorable du XVe siècle réduit fortement et sa politique d’expansion et les revenus de son capital. Mais, dès les premiers signes de reprise à la fin du XVe siècle, elle reprend ses acquisitions et l’on peut dire qu’au début du XVIe siècle, elle n’est plus tributaire des dons (à peine 10 % de ses ressources) qui, de toutes façons, se tariront à la Réforme.

L’OEuvre Notre-Dame a deux particularités qui la distinguent des autres fabriques de cathédrales, aussi bien de l’espace français que des territoires germaniques.

La première est, dès le début du XIVe siècle, le souci de se libérer de l’incertitude due à l’irrégularité des dons en se constituant un capital aux revenus réguliers. Cet objectif fut atteint, mais non sans inconvénients : la conservation et le soin de ce patrimoine nécessitèrent des investissements en argent et en ressources humaines aussi importants, sinon plus, que pour le chantier qui est à l’origine la raison d’être de l’OEuvre. Mais, même ainsi, elle a parfaitement rempli sa mission. Elle a financé un chantier sur une durée de plus d’un siècle et demi et les travaux nécessaires dans les siècles qui suivirent. Le chantier de construction médiéval ne s’est jamais arrêté faute de moyens (mais à cause de la Grande Peste ou des guerres entre la Ville et l’évêque). Il faut noter, que sans cette sécurité financière, la cathédrale de Strasbourg n’aurait probablement jamais été terminée ; les cathédrales de Cologne, d’Ulm, de Prague ou de Ratisbonne, qui n’ont été achevées qu’au XIXe siècle, en sont une preuve a contrario.

La deuxième particularité réside dans le caractère ambigu de l’institution. Dès le XIVe siècle, il est clair que l’OEuvre Notre-Dame est une institution à caractère double, à la fois religieux et laïc. C’est une institution religieuse où s’exprime la foi incontestable des Strasbourgeois et des populations des régions environnantes, avec le chantier, avec la chapelle de la Vierge et sa confrérie, dans laquelle la Ville est partie prenante. C’est une institution laïque, à l’égal de n’importe quel service municipal – Geiler de Kaysersberg le lui reprochera avec véhémence – qui survit sans problèmes à l’achèvement de la cathédrale, et dont le développement se doit de suivre les intérêts de la Ville : ainsi, l’achat par l’OEuvre, au début du XVIe siècle, des droits sur les villages de Kehl, Sundheim et Jeringheim n’est pas un investissement à but pieux, mais bien l’assurance pour la Ville de protéger les débouchés du pont sur le Rhin dont elle est propriétaire. Mais ce sont peut-être aussi ces côtés ambivalents qui ont permis à l’OEuvre Notre-Dame de perdurer. Au-delà de la Réforme, des guerres de Louis XIV et de la Révolution, elle est un des rares exemples en Europe de continuité d’une fabrique depuis le Moyen Âge.

Il faut signaler que l’OEuvre Notre-Dame possède un fonds d’archives étendu qui est déposé aux Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg.

Bibliographie

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LMA, col. 1553-1559.

Notices connexes

Hütte

OEuvre Notre-Dame

Marie-José Nohlen