Fourrages

De DHIALSACE
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Futter

Au sens propre, ce terme désigne la nourriture du bétail (Futter) sous toutes ses formes ou la manière d’y procéder (Fütterung), avant de qualifier, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, sous l’administration française, un impôt militaire destiné à couvrir les frais de l’armée en campagne, plus particulièrement l’entretien de la cavalerie royale. La distribution des rations de fourrage dans les « étapes » s’avérant insuffisante, il était permis aux « partis », lors des opérations militaires, de « fourrager » en territoire ennemi, soit « en vert » (sur pied), soit « en sec » (à partir des réserves déjà engrangées). Mais il est difficile, en dépit des ordonnances royales, comme celle du 1er avril 1707 et des « Traités sur la cavalerie » (Drummont de Melfort, 1776), de contrôler les fourrageurs, qui ont du mal à faire la distinction entre pays amis et pays ennemis, et de protéger les habitants contre les exactions ou les fraudes de la population mise à contribution. Ce sont à priori les zones herbagères qui sont touchées, car il importe d’éviter le transport de produits encombrants et pondéreux que sont le foin et la paille, cette dernière servant non seulement à la nourriture du cheptel, mais aussi au couchage des hommes et à la litière des bêtes. Si la pratique du fourrage par les cavaliers est tant redoutée, c’est que les chevaux s’en prennent souvent, faute de prés, aux blés en herbe ou aux jeunes vignes, voire aux plates-bandes de légumes. En temps de guerre, le fourragement se distingue mal des pratiques de réquisition ou de pillage (d’où l’acception péjorative que revêtent les mots « fourrager » et « fourragement ») et donne souvent prétexte à la maraude, avant sa transformation en argent entre 1700 et 1710. Il s’agit, en fait, de faire payer à l’Alsace, sous forme de contribution, une partie des rations quotidiennes nécessaires à la cavalerie entretenue dans la province. Les fourrages font donc partie des charges royales et provinciales au même titre que les vingtièmes, la subvention, la capitation et leurs accessoires, les Épis du Rhin ou les corvées royales. Ils sont en principe destinés à rembourser une partie des avances consenties par le pouvoir central, à raison de 5 sous de supplément par ration de fourrage, mais, de complément, ils deviennent rapidement un impôt à part entière, car la monarchie est loin de subvenir à l’ensemble des besoins de la cavalerie.

Si cette imposition a suscité tant de controverses dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, c’est essentiellement pour deux raisons :

-- Ses variations dans le temps selon les dépenses à effectuer dans la province, en raison de la difficulté à évaluer ces mêmes dépenses et du fait de l’affermage qui devient la règle à partir de 1716, de grands entrepreneurs étant mis à contribution pour avancer l’argent au roi, à l’instar des munitionnaires. C’est ainsi que le montant des fourrages passe, en Alsace, de 40-50 000 livres au début du XVIIIe siècle à 800-900 000 livres à la fin du siècle, l’année 1787 battant tous les records (1,5 million de livres) : les fourrages constituent ainsi l’un des principaux postes du budget de l’armée. La pratique, longtemps en usage, qui consiste à augmenter artificiellement le nombre de places de fourrage s’avérant insuffisante, ces entrepreneurs spéculent sur le prix de la ration pour accroître leur profit. À la fin du XVIIe siècle, la ration est fixée à 12 livres de foin, autant de paille et 3 picotins d’avoine ; mais, au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, elle peut être arbitrairement estimée jusqu’à 36 livres de foin, 60 de paille, 14 d’orge, 8 de seigle et un boisseau d’avoine ou à 18 sous en numéraire. La rareté des fourrages, consécutive à la sécheresse de 1785, ne l’explique qu’en partie. Or les officiers, qui ont droit à une ration pour la nourriture de leurs propres chevaux, peuvent en trouver à 7 ou 8 sous, d’où l’intéressante marge bénéficiaire (ou « revenant bon ») qu’ils s’octroient.

-- Le détournement dont elle est l’objet par rapport à sa destination primitive, puisque les fourrages deviennent une contribution permanente, payable en temps de paix comme en temps de guerre. Tant qu’elle sert au financement des haras royaux (c’est-à-dire à l’entretien de 15 à 16 000 chevaux), à l’achat d’étalons et de juments, les premiers coûtant à la province 60 000 livres par an, elle ne s’éloigne pas sensiblement des buts premiers qui lui ont été assignés. Mais elle finit par contribuer à la rémunération du personnel des haras (garde-étalons, palefreniers, maréchaux, selliers, inspecteurs et directeurs) et d’un certain nombre de serviteurs de l’État (commandant en chef ou gouverneur de la province, intendant, subdélégué, employés des Ponts-et-Chaussées, membres du Conseil souverain d’Alsace), voire à subventionner les travaux du Rhin, les Épis n’y suffisant plus. La lettre que transmet l’intendant de La Galaizière au contrôleur général des Finances, le 18 août 1787, est explicite : dans la mesure où ils servent non seulement à payer des ouvrages, mais aussi à verser une partie des traitements et, à titre personnel, diverses gratifications et pensions, qui connaissent à l’époque une forte inflation, les fourrages, considérés comme onéreux, arbitraires et injustes, deviennent particulièrement impopulaires à la veille de la Révolution, comme en témoignent les procès- verbaux de l’Assemblée provinciale, en attendant leur suppression définitive. En réalité, la loi du 14 frimaire an II (4 décembre 1793), tout en organisant le gouvernement révolutionnaire, supprime les armées de province, mais le nouveau régime usera largement des réquisitions forcées.

Bibliographie

MARION (Marcel), « Fourrages », Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 1923, p. 243.

SCHWENDT (Étienne), Procès-verbaux de l’Assemblée provinciale d’Alsace (ABR C 734), impr., 1787, p. 23-70, évoqués par VOGLER (Bernard), « L’Assemblée provinciale d’Alsace (1787) : une prise de conscience des problèmes régionaux à la veille de la Révolution », L’Europe, l’Alsace et la France. Problèmes intérieurs et relations internationales à l’époque moderne. Etudes réunies en l’honneur du doyen Georges Livet pour son 70e anniversaire, Strasbourg, 1986, p. 65-72.

HOFFMANN, L’Alsace au XVIIIe siècle… (1906), t. II, p. 413-416, 477-478, 534.

BODINIER (Gilbert), « Fourrages », BLUCHE (François) (dir.), Dictionnaire du Grand Siècle, Paris, 1990, p. 614-615.

CHAGNIOT (Jean), « Fourrages », BELY (Lucien) (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, 1996, p. 567-568.

Notice connexe

Impositions

Jean-Michel Boehler