Foires

De DHIALSACE
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Feria, Jahrmarkt, Messe, Nundinae, Rapport

« La foire est un lieu public où les marchands s’assemblent pour vendre en liberté leur marchandise » (Ferrière).

Définitions et origine

La grande foire internationale est typique de la fin du Moyen Âge. Elle concerne essentiellement le commerce à longue distance : les échanges se font « en gros » et uniquement entre marchands. Une foire de ce type ne se tient qu’une fois par an et dure plusieurs jours ou semaines. Elle est le produit d’une société encore largement féodale, avec un morcellement de la souveraineté politique et l’insécurité des routes, imposant la concentration des échanges en un même lieu. Toutefois, une certaine liberté du commerce est nécessaire. Ces manifestations n’apparaissent en Occident qu’au XIIe siècle (Champagne) alors que les villes renaissent. Le volume de marchandises à transporter est encore réduit, du fait de la faiblesse économique des vendeurs et consommateurs. À partir du moment où sera possible un approvisionnement continu et régulier des villes en produits venant de régions éloignées (XVIIe et XVIIIe siècles), ces foires perdront une grande part de leur signification originelle. En Alsace, seules les foires de Strasbourg peuvent être classées dans cette catégorie. Elles font partie d’un « système » de villes de foires de la région rhénane, qui ne prennent une importance internationale qu’aux XIIIe et XIVe siècles, alors que les grands axes commerciaux se sont déplacés de Champagne vers le Rhin. Ces manifestations sont échelonnées tout au long de l’année et fréquentées à tour de rôle par les mêmes commerçants. La foire de Strasbourg peut être comparée, par ordre d’importance, à celles de Nördlingen, Bâle, Worms, Linz, Nuremberg, mais elle est très loin d’égaler les places de Francfort et de Bad Zurzach. Des relations existent également entre toutes ces villes et Lyon, Genève, Cologne et les Flandres. Des villes moins importantes essaient de suivre, en Alsace, le mouvement de création de foires aux XIVe et XVe siècles : Colmar, Haguenau, Sélestat. Une foire comme celle de la Saint-Georges à Marmoutier est quelque peu atypique dans le système général. Puis, aux XVe et XVIe siècles, plusieurs manifestations d’importance secondaire ont essentiellement une vocation d’échange local, de ravitaillement des villes où la vente se fait aussi au détail et directement au consommateur.

La Ville ou le seigneur du lieu, quelquefois les autorités ecclésiastiques, sont tenus d’assurer la paix et l’ordre pendant la durée de la « Messe » et de protéger les marchands étrangers ; cette protection est également assurée sur les routes d’aller et de retour des marchands. Les grands foires internationales comportent aussi la franchise de droits de douane et des dérogations au droit commun de la ville : suppression du droit de marque ou de représailles, du droit de suite, du droit d’aubaine sur les visiteurs. Le symbole de la liberté de la foire est la croix érigée sur le lieu des transactions. Le gant qui y est fixé signifie l’autorité royale, garante de la paix du marché.

Les marchands d’une même ville ou région sont généralement logés, pendant la durée de la foire, dans la même auberge et vendent à la même halle (v. Droit d’étape, Entrepôt, Kaufhaus). Ils sont placés sous l’autorité d’un ou de plusieurs compatriotes qui représentent les intérêts du groupe. Les poids et les mesures sont contrôlés par des changeurs agréés qui assurent les transactions financières et un tribunal à compétence extraordinaire règle les différends entre marchands et les affaires de dettes. Les manifestations ont aussi une vocation de rencontre et de spectacle : elles attirent acteurs, musiciens ou encore acrobates. Elles ont même un caractère religieux. Normalement, c’est l’Empereur du Saint-Empire qui accorde le privilège de foire franche, alors que l’établissement de simples marchés dans les bourgs campagnards relève du seigneur territorial.

Les foires alsaciennes du XIVe au XVIe siècle

Strasbourg

Le 22 mai 1336, l’empereur Louis de Bavière accorde à la Ville son premier privilège de foire : elle doit se tenir 15 jours avant et 15 jours après la saint Martin (11 novembre). La franchise des droits de douane et la protection impériale sont accordées aux marchands étrangers (v. Accise (droit d’–), Grue_(droit_de_-), Péages). Entre 1381 et 1414, la conjonction de guerres et d’épidémies provoque sa suppression. À partir de 1415, la foire se tient à la Saint-Jean d’été et pendant 15 jours seulement. Sauf entre 1425 et 1431, elle ne connaîtra plus d’interruption. Vers 1460, les péages strasbourgeois devenant trop élevés, les commerçants forains ont tendance à contourner la ville et à la négliger, même en période de foire. Les étrangers prédominent cependant par rapport aux locaux, Allemands et Suisses formant le contingent le plus nombreux. Les principaux articles de commerce sont : semences et oignons, peaux, épices, papier (XVIe siècle), chevaux, vins et céréales, mais surtout le textile qui constitue la seule industrie de la ville.

Le Christkindelsmarkt ou Weihnachtsmesse ne date que du XVIe siècle. D’autres foires, moins importantes, se tiennent à Strasbourg, notamment le jour de la fête de la dédicace de la cathédrale – Kirchweih – mais perdent toute importance vers 1500‑1520. La sonnerie d’une Marktglocke pouvait signaler l’ouverture du marché (v. Cloche_bourgeoise). La cathédrale de Strasbourg disposait d’une cloche particulière, appelée Messglocke, « parce qu’on ne la sonne communément que deux fois par an, depuis midi jusqu’à une heure, à l’entrée et à l’issue de la foire de Saint-Jean, c’est-à-dire le 24 juin et le 8 juillet. Cette coutume n’a lieu que depuis l’an 1521 » (Grandidier, Cathédrale (1782), p. 243). Refondue en 1643, elle fut réduite en morceaux en septembre 1793, à l’occasion des confiscations révolutionnaires.

Autres grandes foires alsaciennes (XIVe-XVIe siècle)

Les vins d’Alsace s’échangent dans quatre grands centres, fréquentés par des marchands de régions éloignées, tels les Pays-Bas, Cologne et Francfort : ce sont Strasbourg, Guebwiller, Colmar et Sélestat. À partir du XIVe siècle se créent aussi d’autres Jahrmärkte « tous produits ». En 1305, Colmar crée, à sa propre initiative, une foire de quatre jours à la Saint-Martin. Sélestat en connaît deux de quatre jours chacune, avant que Charles Quint n’en autorise une troisième en 1530. Celles de Mulhouse remontent peut-être au XIIe siècle, et il en existe quatre par an. Les foires de Haguenau, créées en 1310, ont une vocation internationale, surtout à partir de la seconde moitié du XVe siècle. La ville possède, à l’origine, deux foires de quinze jours chacune, le 3 mai et le 14 septembre. Une troisième s’y ajoute à la Fête-Dieu, sans doute au XVe siècle. Les marchands allemands, suisses, hollandais, français, milanais et savoyards y prédominent pour les textiles.

Foires annuelles des villes et bourgs

Aux XVe et XVIe siècles se développe une série de manifestations d’importance secondaire, qui ont essentiellement une fonction de ravitaillement local en produits agricoles, bestiaux, chevaux et textiles
 : Kaysersberg (créée en 1479), Ammerschwihr (1435), Turckheim, Munster (1507), Ensisheim (1446), Thann (1293, 1443, 1503), Altkirch (1420), ville réputée aussi pour sa foire aux bestiaux de la Sainte-Catherine (1567), Belfort, l’Ochsenfeld de Cernay (bestiaux), Diedenheim, Kingersheim, Landser et Habsheim (saints Simon et Jude). À la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, il n’existe guère de ville ou de gros bourg où ne se tienne au moins une foire annuelle. Ces Messen, à la différence des grandes foires internationales, ne sont pas toujours exemptées de droits de douane.

Les foires alsaciennes aux XVIIe et XVIIIe siècles

La guerre de Trente Ans, le rattachement de la province à la France et les guerres de Louis XIV provoquent un déclin économique généralisé. Si, grâce à la neutralité de la Ville et à sa position géographique avantageuse, Strasbourg conserve ses deux foires (Saint-Jean et Noël) tout au long du siècle, celles-ci ont connu des années de grande dépression. Dans les localités moins importantes, souvent elles ne peuvent se tenir en raison de l’insécurité des routes, de l’occupation étrangère et de la ruine du commerce local. Le changement politique de 1648, les guerres de Hollande et du Palatinat détournent de l’Alsace les Hollandais et les Allemands. La crise économique rend la rivalité commerciale plus âpre entre les villes et souvent celles-ci tentent de discriminer les marchands « extérieurs ».

La concurrence de Metz, mieux placée, se fait sentir, de même que celle des marchands ambulants savoyards faisant du « porte-à-porte ». Au plan international, la place de Francfort connaît un déclin sensible vers 1680.

L’administration royale tente de créer ou de rétablir certaines foires : c’est une prérogative du roi. C’est le cas à Huningue en 1679, ou encore à Strasbourg où sont établies par lettres patentes (14 mars 1689) deux foires annuelles de chevaux.

Au XVIIIe siècle se dessine une reprise de l’activité économique : des marchands de tous pays viennent toujours visiter Strasbourg à la Saint‑Jean. Les Jahrmärkte locaux de Haguenau, Altkirch et Cernay notamment sont à nouveau prospères. Belfort obtient de l’autorité royale l’interdiction à tout marchand étranger de vendre dans la ville, en dehors des foires ; en 1766, Saverne réclame, en vain, le même privilège. Tout au long du siècle, le roi accorde de nouveaux privilèges à divers villages ; ainsi, Dannemarie (Conseil d’État du 13 juin 1758). Selon un Mémoire du XVIIIe siècle, « les villes et bourgs de la province avaient ordinairement quatre foires locales par an ». Ces foires locales se distinguent des marchés en ce que les forains peuvent y vendre toutes sortes de produits, y compris manufacturés, alors que seuls les marchands locaux peuvent vendre ces derniers en dehors des foires.

Bibliographie

De BOUG, I, Recueil (1775) : lettres patentes du 14 mars 1689.

De BOUG, I, Recueil (1775) : édit royal du 2 mars 1696.

De BOUG, II, Recueil (1775), p. 504 : CE des 11 juillet 1753 et 13 juin 1758.

FERRIERE, Dictionnaire (1767), article « Foire ».

CHAUFFOUR (Ignace), « Règlements de police du syndic… »,Revue d’Alsace, 1850.

KRUG-BASSE, L’Alsace avant 1789 (1876), p. 333 et suiv.

REUSS, L’Alsace au XVIIe siècle (1898), I, p. 668 et suiv.

HOFFMANN, L’Alsace au XVIIIe siècle (1906), t. 3, p. 304 et suiv.

GLIESSEN (John) (dir.), La foire (Recueil de la Société Jean Bodin, 5), Bruxelles, 1953, p. 323 et suiv.

LIVET, Intendance (1956), p. 511, 597, 599, 847.

DOLLINGER (Philippe), Histoire de l’Alsace, Toulouse, 1970, p. 154-155.

SITTLER (Lucien), « Les foires de Haguenau », Études Haguenoviennes, 1979, p. 141-156.

FOESSEL (Georges), KLEIN (Jean-Pierre), OBERLE (Raymond),Strasbourg, ville libre sur le Rhin (XIIIe-XVIe siècle), Strasbourg, 1981, p. 78-82.

LIVET-RAPP, Histoire de Strasbourg (1980-82), t. 2, p. 150 et suiv., p. 276 et suiv.

Notices connexes

Accise

Aubaine (droit d’-)

Batellerie

Bétail

Christkindelmarik

Douane

Embarquement

Entrepôt

Étape (droit d’-)

Foire_(privilège_de_-)

Grue_(droit_de_-)

Kaufhaus

Lager

Marché

Péages

Routes

Transit

Marcel Thomann