Finances des villes (Moyen Âge et Temps modernes)

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Généralités

Au fur et à mesure de leur développement, principautés, seigneuries et villes doivent faire face à des charges de plus en plus importantes qu’elles s’efforcent de couvrir par leurs recettes domaniales et fiscales (v. Fiscalité). La recherche s’est efforcée dès la fin du XIXe siècle d’étudier la comptabilité des villes, puis plus récemment des seigneuries. Dès le début du XXe siècle, on dispose des études pionnières sur les budgets de Francfort-sur-le-Main (Bucher), de Cologne (Knipping), de Bâle (Harms). Depuis, de nombreuses autres villes du Saint‑Empire ont fait l’objet d’analyses approfondies. La recherche sur les finances publiques des villes alsaciennes est moins avancée. L’histoire des finances publiques de Strasbourg est handicapée « par le soupçon d’éliminations sauvages provoquées dans les archives de la Tour aux Pfennigs lors de sa démolition, suivie de sa reconstruction », entraînant dans les archives financières des « pertes difficiles à réparer » (Mariotte, p. 103). Mariotte n’en dresse pas moins un tableau de l’organisation financière de la ville et de ses sources. Il établit d’entrée : « il serait anachronique d’attribuer à l’ancien Strasbourg une politique financière ni même un budget au sens strict ».

En 1882, Bücher dégage les principes de l’organisation financière médiévale :

1) Le premier principe est celui des budgets particuliers (Stiftungsprinzip). Il n’y a pas d’unité de caisse dans les comptes des villes du Moyen Âge, mais une multitude de caisses encaissant les différentes recettes et se chargeant de différentes dépenses. La caisse principale collecte les excédents des caisses particulières ou des fondations.

Mais la caisse générale n’a pour fonctions que d’assurer une certaine continuité du service, d’assurer un lien entre les caisses particulières, de couvrir leurs déficits, et de prendre les excédents, enfin d’assurer les grosses dépenses, par exemple en temps de guerre. L’historien de Cologne (Knipping) assure : ce ne sont pas les dépenses ordinaires qui sont à la base des comptes publics médiévaux, mais les dépenses extraordinaires, c’est‑à‑dire les guerres.

L’articulation en caisses générales, caisses particulières et fondations correspond au principe directeur de cette comptabilité : toute recette doit être affectée ; à chaque caisse sa recette et sa dépense. Ainsi, à Colmar avec les Kaufhausbücher : la caisse du Kaufhaus perçoit certaines recettes, p. ex. celles de l’Ungeld, et assure certaines dépenses, p. ex. les intérêts des emprunts et leur remboursement, mais aussi les voyages de service. Les fondations sous contrôle sont dotées d’un patrimoine diversifié, de biens fonds, de cens et de rentes dont les revenus assurent la couverture des services que rend la fondation. Comme il s’agit le plus souvent de services de culte, d’assistance ou d’enseignement, les rentrées en nature peuvent être directement affectées à la subsistance des hospices, orphelinats, collectivités concernées ou encore au versement des traitements libellés en céréales, en cordes ou fagots de bois. Les receveurs des fondations gèrent recettes et dépenses de leur fondation ; les excédents sont versés à une caisse centrale.

2) Étant donné l’importance des paiements en nature (en produits, en travail, en services) et des compensations par conversions monétaires, la comptabilité des villes, de plus en plus fournie avec le développement du papier (v. Écriture, Papier) et l’habileté des comptables (v. Comptes) ne relève que les soldes payés en monnaie et transmis entre caisses. Au fur et à mesure se mettent en place des procédures pour la conversion des rentrées et sorties toujours libellées en nature, mais servies en monnaie. Mais en règle générale, le recours à la monnaie ne concerne que des soldes, une partie des dettes ou des prestations ou encore des traitements ayant été réglée en nature (biens ou travail, céréales, bois, fagots) ou par des prélèvements à la source de quotité (dritter pfennig) ou au forfait.

3) La gestion des masses financières joue un rôle de plus en plus important en lien avec le développement du crédit : placements et emprunts. Le crédit se développe avec la mise en circulation des titres de rente ou rentes viagères (Leibrenten) (Gilomen). Il est relayé par l’essor des « emprunts publics », émis par les seigneurs, les villes, les établissements publics, qui rencontrent l’offre émanant d’institutions ou de particuliers soucieux de placer leurs excédents. Les villes émettent des emprunts, fractionnés par les financiers et placés auprès de prêteurs sur des marchés financiers intérieurs ou extérieurs (Cologne, Francfort, Mayence, Bâle, etc.) (Gilomen). Elles disposent ainsi de sommes importantes leur permettant de faire face à de lourdes dépenses surtout du fait de guerres, mais doivent désormais assurer les charges de cette dette. Mais elles couvrent une partie de leurs dépenses avec les revenus des prêts et placements qu’elles ont opérées.

La vente de rentes sur le Pfennigturm (c’est-à-dire sur l’ensemble des revenus de la ville, ou de facto sur la ville) prend un grand développement à l’époque moderne. Le Pfennigturm fonctionne comme une sorte de caisse de dépôts où beaucoup de gens placent leurs économies, à la fois des Strasbourgeois (p. ex. les veuves et, systématiquement, les tuteurs d’orphelins) et des « étrangers ».

Les finances d’une grande puissance médiévale : Strasbourg

Alioth a retracé l’histoire des débuts de la comptabilité publique strasbourgeoise.

Les premiers comptes de la ville apparaissent en 1383. Ils retracent les excédents de recettes à hauteur de 3 000 lb. provenant de cens et fermages, loyers, et droits d’usage, taxes de marché, sur les étrangers, les juifs. Mais, note Alioth, les intérêts dus par l’évêque en 1382 n’ont pas été comptabilisés. Pas plus que la valeur des réserves en nature, seigle et fers, ou les très grosses dépenses générées par la guerre, la solde des mercenaires et des soldats, les travaux publics municipaux. Les « crises » sont le fait des guerres. La guerre de 1388 a coûté à la ville près de 25 000 florins, laissant cependant un excédent de 1 500 florins. En 1392, du fait de la guerre, la ville s’endette et doit emprunter à Francfort, Mayence et Spire. Les « mises au ban de l’Empire », qui ne sont levées qu’au prix d’énormes amendes, coûtent également très cher. En 1393, pour 20 000 lb. de dépenses, Alioth relève 1 000 lb. pour les opérations militaires, 1 000 lb. pour la constitution de réserves de blé et 500 lb. pour les traitements et honoraires payés par la caisse centrale. La division du travail entre les trois institutions financières de Strasbourg : le Trésor (Pfennigturm), la Monnaie et la banque municipale (Wechsel), née au milieu du XVe siècle, se met en place progressivement.

Les autorités financières des villes du Sud-Ouest de l’Empire observent attentivement la gestion financière de leurs voisines et les techniques qu’elles inventent ; elles sont promptes à les adopter à leur tour (Landolt), témoin cette mission mandatée en 1476 par la ville de Fribourg-en-Brisgau et le rapport qu’elle établit sur les réglementations budgétaires et fiscales des villes du Saint‑Empire (dont Schaffhouse, Constance, Kempten, Meran, Bozen, Landsberg, Augsbourg, Nuremberg, Nördlingen, Ulm, Rottweil, Villingen, Strasbourg et Brisach) (Tom Scott). Mais la solution des crises financières est relativement simple : dans les villes les déficits sont couverts par des impositions extraordinaires : levée de l’exemption fiscale des établissements religieux, lois d’amortissement, centimes additionnels levés sur les impositions directes (à Strasbourg, le Stall), capitations par collectes hebdomadaires (Wochenpfennig, Wochenangster, v. Angster), ou le placement d’emprunts, gagés sur les revenus domaniaux de la ville, les revenus de certaines fonctions ou fermes de la ville, voire sur la ville elle-même. Strasbourg cumule au milieu du XVe siècle un endettement colossal, dont les deux tiers placés à Mayence, et le tiers restant à Francfort. Les guerres, les mises au ban de l’Empire avec les fortes amendes à payer pour les voir levées, les débiteurs qui ne paient pas, provoquent des crises, dont certaines villes au crédit moins solide ne se relèvent pas. Avec la menace des Armagnacs, Strasbourg est contrainte de faire une nouvelle ponction sur les couvents et les chapitres, avec un emprunt forcé dont on ne rembourse qu’une partie, le reste étant assimilé à un impôt. Au milieu du XVIe siècle, Strasbourg semble avoir surmonté ses difficultés, avec en 1532 une augmentation significative du Stallgeld perçu et est redevenue une des grandes places financières du Sud du Saint-Empire, sollicitée par de nombreux emprunteurs princiers, Empereurs et Roi (de France), évêques et autres villes.

La Guerre des Évêques (1592), puis celle de Trente Ans provoquent de nouvelles crises. En 1668, l’Empereur consent au moratoire de la dette strasbourgeoise, renouvelé en 1675 et en 1680, et que Louis XIV reprendra à son compte dès la Réunion de 1681. À ce moment-là, dans le budget partiel (sans comptes des fondations) reconstitué par Ernest Lehr, qui se monte à 331 000 lb., le service de la dette représente 33 %, les fortifications, casernes et états majors 30 %, les charges des fonctionnaires et artisans de la ville 19 %, et les indemnités du Magistrat 12 %. L’énormité de la part qui revient à l’oligarchie sera remise en cause après le scandale de prévarication du prêteur royal Klinglin fils, à la suite duquel le Roi donne à la ville un nouveau règlement financier (1752), imposant au Magistrat un contrôle plus étroit de ses dépenses.

Les villes moyennes

Dans les villes plus petites, la tenue des finances municipales est assez mal documentée. On possède des comptes à partir du XVe siècle, souvent d’une manière sporadique, mais, parfois avec une certaine continuité, comme à Obernai ou à Belfort.

Dans ce dernier cas, trente-quatre cahiers sont conservés entre 1432 et 1498, avec de grosses lacunes – 1441-1450 –, mais aussi quelques séries plus régulières (1492-1498).

La reddition des comptes a lieu lors de l’assemblée générale des bourgeois, le jour de la saint Jean-Baptiste. Elle est le fait du maître-bourgeois (équivalent roman du Bürgermeister) et du maître du commun et porte sur l’exercice précédent, ouvert un an plus tôt. L’année se décompose en quatre trimestres, de la saint Jean-Baptiste à la saint Michel (29 septembre), de la saint Michel à Noël, de Noël à l’Annonciation (25 mars), puis à partir de cette dernière fête. Les cahiers comptent une cinquantaine de pages de papier et sont rédigés en français. Ils ont été réalisés en double, à partir de comptes intermédiaires non conservés.

Les recettes sont inscrites par ordre chronologique. Elles oscillent entre 363 livres (1476) et 954 (1493), provenant d’impôts indirects (taxes comme l’angal-umgeld notamment), de l’exercice du ban (banvin, four banal) ou d’un impôt régulier appelé « les gros parmy la ville », de monopoles (vente du sel) ou de loyers et de rentes. Il s’y ajoute des amendes, et, d’une manière casuelle, l’impôt (gest = Gewerff) consenti par les états provinciaux pour le compte de l’Autriche, qui ne fait que transiter par la caisse de la ville. Les dépenses sont appelées « missions », la rubrique la plus importante étant celle des « missions ordinaires » consacrée aux travaux d’entretien ou d’équipement, parfois précisées en sous-rubriques récurrentes comme celle des « fontaines ». ou celle des « mortuaires », liée à des anniversaires. Le chapitre « missions extraordinaires » varie selon les circonstances, laissant la part belle aux « messageries » ou « ambassades », auprès du gouvernement provincial d’Ensisheim ou ailleurs, et aux dépenses liées à des opérations militaires.

Les travaux de Bruno de Villèle font apparaître une gestion empirique : sur 49 bilans qu’il est possible de reconstituer, seuls 9 font apparaître un déficit. Le report d’excédents est une pratique courante d’une année sur l’autre.

Les premiers comptes ont été retranscrits par des étudiants mulhousiens d’Odile Kammerer et sont consultables aux AM de Belfort.

Bibliographie

LEHR (Ernest), « Un budget de recettes de la ville de Strasbourg », Mélanges de littérature et d’histoire alsatiques, Strasbourg, 1870.

BÜCHER (Karl), « Der öffentliche Haushalt der Stadt Frankfurt im Mittelalter », Zeitschrift fur die gesamte Staatswissenschaft, 52, 1896, p. 1-19.

KNIPPING (Richard), Die Kölner Stadtrechnungen des Mittelalters, mit einer Darstellung der Finanzverwaltung, 2 vol., Bonn, 1897-98.

KUSKE (Bruno), Das Schuldenwesen der deutschen Städte im Mittelalter, Tübingen, 1904.

HARMS (Bernhard), Münz- und Geldpolitik der Stadt Basel im Mittelalter, Tübingen, 1907.

HARMS (Bernhard),Der Stadthaushalt Basels im ausgehenden Mittelalter. Erste Abt. : Die Jahresrechnungen 1360-1535, vol. 1-3, Tübingen, 1909-1913.

SCHOENBERG (Leo), Die Technik des Finanzhaushaltes der deutschen Städte im Mittelalter, Stuttgart, 1910.

VILLELE (Bruno de),Belfort à la fin du Moyen Âge, thèse de IIIe cycle, Besançon, 1971.

HERTNER (Peter), Stadtwirtschaft zwischen Reich und Frankreich, Wirtschaft und Gesellschaft Strassburgs, 1650-1714, Cologne-Vienne, 1973.

LIVET-RAPP, Histoire de Strasbourg, t. III, Strasbourg, 1981.

GILOMEN (Hans-Jörg), Der Rentenkauf im Mittelalter, Bâle, 1984.

SCOTT (Tom), Die Freiburger Enquete von 1476. Quellen zur Wirtschafts und Verwaltungsgeschichte der Stadt Freiburg im Breisgau im funfzehnten Jahrhundert, Fribourg-en-Brisgau, 1986.

ALIOTH (Martin), Gruppen an der Macht : Zünfte und Patriziat in Straßburg im 14. und 15. Jahrhundert, Bâle et Frankfurt/Main, 2 vol., 1988. [Index par Bernhard METZ].

MARIOTTE (Jean-Yves) (dir.), Les sources manuscrites de l’histoire de Strasbourg, t. 1 : Des origines à 1790, Strasbourg, 2000.

BRETON (Luc), « Les Belfortains et la guerre à la fin du Moyen Âge », Belfort 1307. L’Eveil à la Liberté, Belfort, 2007, p. 137-157.

LANDOLT (Oliver), « Die Einführung neuer Steuermodelle als innovative Massnahme zur Sanierung kommunaler Finanzhaushalte im Spätmittelalter, Beispiele aus dem oberdeutschen und schweizerischen Raum », dans SEGGERN (Harm von), FOUQUET (Gerhard), GILOMEN (Hans-Jörg), Städtische Finanzwirtschaft am Übergang vom Mittelalter zur Frühen Neuzeit, Berne, 2007.

Notices connexes

Fiscalité

Impôts, Impositions

François Igersheim, Georges Bischoff