Enfants trouvés

De DHIALSACE
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Findelinge, Findelkinder

En Alsace, tout au long du Moyen Âge, le sort des enfants trouvés ne diffère guère de celui des orphelins. Les sources distinguent d’ailleurs rarement les uns des autres. Pour les prendre en charge, deux maisons religieuses de l’ordre du Saint-Esprit ont été créées, à Stephansfeld (1216) et à Rouffach (1270). Par ailleurs, il semblerait qu’à Strasbourg, les orphelins et les enfants trouvés aient été hébergés et soignés à l’hôpital jusqu’au XIVe siècle. À partir de 1395, la ville de Strasbourg octroie deux livres par an aux orphelins pour la location d’une maison destinée à leur hébergement. À cette date au plus tard, les orphelins et les enfants trouvés disposent donc d’un local distinct de l’hôpital. En 1432, les administrateurs de l’orphelinat achètent pour eux une maison rue Sainte-Madeleine, maison qui sera agrandie à plusieurs reprises. Un statut municipal du XVe siècle stipule qu’à chaque fois qu’un enfant est exposé à la cathédrale, qu’il s’agisse d’un nourrisson ou d’un enfant plus âgé, la ville versera une livre à l’orphelinat comme cela a été le cas jusqu’à présent, et pas plus. Cette mention est la première qui prouve de façon indubitable que la ville de Strasbourg s’occupait également des enfants exposés. Ces derniers semblent avoir été très nombreux au début du XVe siècle, car, en 1411, le Magistrat émet un mandat condamnant à la noyade ceux qui exposeraient un enfant. Malgré cette mesure draconienne, en 1482, les enfants trouvés sont nettement plus nombreux que les véritables orphelins à l’orphelinat de Strasbourg. À cette date, celui-ci avait placé 31 bébés en nourrice pour trois livres par an et comptait 25 enfants dans ses murs. Le Magistrat explique ces chiffres par le fait que Stephansfeld, à qui les mères indigentes de la campagne confiaient traditionnellement leurs enfants, cherche par tous les moyens à se soustraire à cette obligation, de sorte que les mères préfèrent les exposer à la cathédrale, ce qui les met à la charge de l’orphelinat de Strasbourg.

Un règlement de 1500 nous permet d’entrevoir le fonctionnement de la maison. Tous les trimestres, l’économe (Schaffner) doit rendre des comptes aux deux administrateurs de la maison (Pfleger). Chaque fois qu’un enfant est abandonné, ceux-ci doivent faire une enquête pour savoir qui est son père. Si ce dernier a les moyens de l’élever, ils doivent faire en sorte que l’enfant soit pris en charge par sa famille. À défaut, ils doivent tâcher d’obtenir que le père paie un forfait à l’orphelinat. Ces dispositions prouvent que ce sont surtout des enfants illégitimes et des enfants trouvés qui étaient pris en charge par l’orphelinat. Dans l’institution même, un « père des orphelins » (Waisenvater ou Waisenette) et une « mère des orphelins » (Waisenmutter ou Waisenminne) s’occupent de l’éducation des enfants. C’est à eux que revient la charge de les nourrir, de les vêtir, de les coucher dans des lits propres et de leur apprendre à prier. Quant aux servantes employées dans la maison, elles sont chargées de laver les enfants, de les baigner, les peigner, etc. Pour mener à bien ce programme, l’orphelinat dépend des aumônes. En 1517, Klaus Berer donne une rente de 5 florins et 7 quartauts de seigle pour que, chaque année, le jour de la Saint-Nicolas, tout enfant de l’orphelinat qui sait marcher ait une nouvelle paire de bottes et une pomme rouge avec un denier. En échange, les enfants doivent prier pour le salut de son âme. Dans la cathédrale, il y a un tronc destiné aux orphelins. D’après un compte de l’orphelinat de la fin du XVIe siècle, la quête au moment de Pâques a rapporté plus de 2 000 oeufs (AMS 1AH 10739). À l’occasion, les orphelins et les enfants trouvés chantent dans les rues de la ville sous la conduite de leur Waisenvater, pour susciter des aumônes. Cette pratique ne fut abolie qu’en 1633.

Sur les orphelins et les enfants trouvés reçus à Stephansfeld, nous avons peu de renseignements pour la période médiévale. D’après un procèsverbal de visite de 1596, la maison aurait hébergé à cette date 14 nourrissons et 5 filles. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le nombre d’enfants reçus annuellement varie entre 7 et 29. La majeure partie d’entre eux sont des enfants placés, c’est-àdire qu’ils sont admis à la commanderie contre rémunération. Les enfants exposés ne représentent plus qu’un quart de l’ensemble des enfants reçus à Stephansfeld. Les journées y sont occupées par l’éducation religieuse, la messe, l’enseignement et le travail. Un maître d’école, un médecin et un chirurgien sont salariés par les religieux. Dès qu’ils sont en âge d’apprendre un métier, les garçons sont envoyés en apprentissage et les filles apprennent la couture. Au XVIIIe siècle, les enfants en bas âge sont confiés à des nourrices. Lorsque Stephansfeld est fermé en 1774 par la commission des Réguliers, il semble que deux religieux restent sur place pour s’occuper des enfants. À partir de 1777, des soeurs de la Charité y oeuvrent, bientôt rejointes par des soeurs de la Divine Providence.

C’est en 1748 qu’est créée à Strasbourg une maison réservée à l’accueil des enfants trouvés. Désormais, ces derniers sont séparés des orphelins. La très forte augmentation de l’illégitimité et son corollaire – la recrudescence des expositions – ainsi que la volonté royale d’élever ces enfants dans la religion du Prince sont à l’origine de cette institution. Dès le départ, la maison pour enfants trouvés a un statut ambigu. Elle a été fondée sur initiative royale, mais se trouve presque entièrement à la charge de la Ville. Instaurée dans le cadre de la politique religieuse monarchique, elle n’aura jamais assez de ressources, surtout si on la compare aux autres institutions charitables de la ville, qui, elles, ont bénéficié des sécularisations de la Réforme.

Dans la maison des enfants trouvés, on dispense un enseignement quotidien de 5 heures aux garçons comme aux filles, qui consiste à apprendre à lire, écrire et à maîtriser les premiers principes arithmétiques. Les règlements rappellent l’importance du bilinguisme : dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la langue française est encore la parente pauvre dans ce domaine. À cela s’ajoutent 3 à 5 heures d’éducation manuelle tous les jours. Les enfants ont beaucoup d’activités physiques (promenades, jouer, courir, couper et porter du bois). L’hygiène est très importante : hygiène vestimentaire avec la suppression des cols de carton, hygiène alimentaire (nourriture frugale, mais saine), hygiène corporelle (bains fréquents, séparation des malades des autres enfants, aération des salles, blanchissage fréquent de la literie). En apparence, le tableau est idyllique. Mais le fonctionnement de cette institution comporte aussi des zones d’ombre. Sur les 145 enfants âgés de 0 à 12 ans admis en 1749, un quart meurt avant la fin de l’année. Les causes de mortalité sont variables : convulsions, fièvre, tuberculose, fluxions. Mais les véritables fléaux qui caractérisent la morbidité de l’établissement dans les premières années de son fonctionnement sont la syphilis et la gale, souvent confondues par les médecins à cause de leurs manifestations cutanées qui se ressemblent. Les jeunes adultes qui quittent l’établissement des enfants abandonnés continuent à bénéficier d’un suivi, dont le but est de les intégrer dans le monde du travail.

Si cette institution réservée aux enfants trouvés a pu se mettre en place à Strasbourg en 1748, c’est aussi grâce à la naissance et à la diffusion d’un courant de pensée favorable à l’enfant. L’Émile de Rousseau paraît en 1762. La littérature, la peinture, avec Chardin, et même la politique suivent la route tracée par les philosophes. Cette nouvelle sensibilité gagne l’entourage royal qui se met à légiférer en faveur des enfants. On prend lentement conscience du fait que ce sont les enfants qui font des hommes et qu’ils sont « la portion la plus précieuse de l’État ».

Bibliographie

WINCKELMANN (Otto), Das Fürsorgewesen der Stadt Straßburg vor und nach der Reformation, Leipzig, 1922.

SABLAYROLLES (Elisabeth), L’enfance abandonnée à Strasbourg au 18e siècle et la fondation de la maison des enfants-trouvés, Publications de la Société Savante d’Alsace et des régions de l’Est, Recherches et Documents 23, Strasbourg, 1976.

ADAM (Paul), Charité et assistance en Alsace, Strasbourg, 1982.

WOLFF (Christian), « Une source sur les enfants trouvés et abandonnés d’Alsace à la fin du XVIIIe siècle », Bulletin du Cercle généalogique d’Alsace, 90, 1990, p. 281.

NOGUES (Julien), L’Ordre hospitalier du Saint-Esprit. Exemple de la commanderie de Stephansfeld en Basse-Alsace de sa fondation à sa sécularisation (vers 1216-1774). Mémoire de Master sous la direction d’Élisabeth Clementz, Université de Strasbourg, 2012. Résumé : http://www.unistra.fr/fileadmin/upload/unistra/facultes-ecoles-instituts/UFR_Sciences_Historiques/institut_histoire_alsace/Masters2012.pdf.

Notices connexes

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Élisabeth Clementz