Empire (villes d')

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villes libres ; villes libres d’Empire – Freistädte, Freie Reichsstädte, Reichsstädte

I. Moyen Âge

La dignité impériale (Reichsstandschaft) d’un certain nombre de villes dans l’empire germanique (Frei- und Reichstädte), assortie d’un droit de présence, de siège et de vote aux diètes, est un statut juridique tardif. Il n’a été fixé définitivement que lors des traités de Westphalie (1648), de sorte que l’appartenance à la catégorie des « villes d’empire » (Reichstädte) ou des « villes libres » (freie Städte) reste mouvante en amont. Au Moyen Âge, l’emploi de ces désignations par le souverain, les princes ou les villes elles-mêmes est éminemment politique.

Dans tous les cas, les notions de « ville d’empire » ou de « ville libre d’empire » postulent l’émergence d’une idée abstraite d’Empire (Reich), distincte de la personne du roi. Jusqu’à la fin du règne des Staufen (milieu du XIIIe siècle) prévaut encore un type de ville que les historiens désignent comme « ville royale » (königliche Stadt). Il englobe des villes fondées sur les terres patrimoniales du roi ou sur le fisc, aussi bien que des localités implantées sur des biens ecclésiastiques et sur lesquelles le souverain exerce l’avouerie ou une protection royale. L’équivalence entre ville royale et ville de l’empire est à l’époque la résultante d’une absence de distinction nette, dans la pratique des souverains, entre bien impérial (fisc, Reichsgut) et bien patrimonial. Au reste, dans les usages sémantiques de la seconde moitié du XIIIe siècle, le roi et sa chancellerie confondent en un même ensemble, ville du roi et ville de l’empire : « unser und des richs stat » (nostra et imperii civitas). On peut se faire une idée de l’identité et du nombre de ces localités royales grâce à un registre de redevances daté de 1241. Parmi les villages, villes et communautés juives relevant du roi – comme seigneur, avoué ou protecteur (Grundherr, Vogt, Gerichtsherr, Schutzherr) – et lui devant à ce titre contribution, figurent pour l’espace alsacien et haut-rhénan l’avouerie à Wissembourg (80 marcs), Haguenau, Hochfelden (15 marcs), Brumath ( ?, 15 marcs), Geudertheim (6 marcs), Cronenbourg [Wissembourg] (150 marcs), Obernai (150 marcs), Sélestat (150 marcs), Colmar (160 marcs), Mulhouse (80 marcs), Kaysersberg et le val Saint-Grégoire (70 marcs), Bâle (200 marcs), Rheinfelden (40 marcs), Neuenbourg (100 marcs), Brisach (100 marcs), Mahlberg (10 marcs), Ortenberg (20 marcs), Haslach (40 marcs), Offenbourg (60 marcs, dont la localité est exemptée). S’y ajoutent les redevances des juifs de Strasbourg, de Bâle, de Haguenau (voir Elenchus Fontium Historiae Urbanae, vol. 1, 1967, p. 258 et s.).

L’indistinction entre ville du roi (Königsstadt) et ville de l’empire (Reichsstadt) persiste au XIVe siècle dans le discours royal. Louis de Bavière parle, par exemple, en 1322 de la liberté douanière dans les « freyen steten und unsern und des reichs stetten ».

Cependant, au cours des XIIIe et XIVe siècles, l’Interrègne, la part active que prennent alors les villes dans les alliances de Paix et de défense de l’empire (dont le premier acte est la Grande ligue rhénane de 1254, voir Bund), l’autonomie croissante que les privilèges confèrent aux pouvoirs urbains des « villes royales » contribue peu à peu à la bonne fortune de l’expression « ville impériale » ou « ville libre impériale » (Freie Reichsstadt). Son emploi devient une façon, pour ces villes, de marquer leur distance à l’égard d’un roi dont elles n’épousent pas forcément la politique, mais aussi de défendre les prérogatives peu à peu acquises face à leur(s) seigneur(s). L’appellation de « ville libre impériale », donnée à des villes épiscopales qui s’émancipent partiellement de leur seigneur-évêque dès le XIIIe siècle, relève d’une même logique d’affirmation des franchises urbaines.

Parallèlement, l’urbanisation (par fondation ou octroi du statut urbain) ou encore la politique de récupération de biens impériaux menée par Rodolphe de Habsbourg (Revindikationspolitik, 1273-1277) suscitent l’essor d’un modèle de « ville impériale », qui se traduit au XIVe siècle par la diffusion du droit urbain de plusieurs villes d’empire (par ex. Francfort, Nuremberg ou Colmar, voir « droit urbain ») à des localités de tout ordre.

Malgré la relative indifférenciation que suppose l’expression courante « Freie Reichsstadt », il existe des nuances au sein de cet ensemble, que les historiens – en reprenant des distinctions faites par les villes elles-mêmes aux XIVe-XVe siècle – expriment en différenciant ville libre (freie Stadt,Freistadt) et ville impériale (Reichsstadt).

1. Villes libres

De prime abord, la catégorie des « villes libres » (Freistädte) est la plus facile à délimiter, quand bien même il n’y eut jamais de logique d’ensemble commune à ces Freistädte. Elles correspondent à des villes épiscopales qui se sont émancipées de leur ancien seigneur ecclésiastique urbain avec l’aide du roi et de privilèges royaux : Cologne, Mayence, Worms, Spire, Ratisbonne, Bâle, Augsbourg ( ?), Strasbourg, et les villes de la marche occidentale, Cambrai, Metz, Toul, Verdun, Besançon. Cette protection royale / impériale fut, dans certains cas, très précoce ; en 1074 déjà, le roi Henri IV gratifie les habitants de Worms d’un privilège douanier pour leur fidélité toute particulière au roi. Mais l’émancipation à l’égard des seigneurs-évêques se fit sur un temps long et selon des modalités hétérogènes. À Strasbourg, le processus entamé au début du XIIIe siècle, s’étire jusqu’à la fin du XIVe siècle, en dépit de la victoire des Strasbourgeois sur leur évêque à Hausbergen en 1262. À Bâle, le gouvernement urbain rachète patiemment les droits seigneuriaux de l’évêque. Elle y parvient tant et si bien qu’elle s’allie aux Confédérés suisses en 1501 et se place ainsi aux marges de l’empire.

Pour ces villes, se faire reconnaître comme « ville libre » était une assurance supplémentaire dans des rapports de force qui restèrent longtemps incertains avec le seigneur urbain. Par ce titre, elles étaient
a priori dispensées du devoir d’obéissance, tant à l’égard de leur ancien seigneur que de l’empereur. Mais si elles avaient répondu avec une certaine constance aux demandes impériales de contribution militaire ou de conseil, elles pouvaient passer aux yeux du souverain pour des villes impériales. Ainsi, en 1387, Wenceslas désigne Ratisbonne et Bâle comme « deux villes libres » (Rudolf Wackernagel, Geschichte der Stadt Basel, I, Bâle, 1907, p. 315 ; Lünig XIII, 831), mais il compte Augsbourg parmi les villes impériales. En 1205, Strasbourg est assimilée aux « autres villes de l’empire » dans un diplôme de Philippe II (civitates imperii, Lünig XIV, 725, Strasbourg UB I, no 145). Puis elle est désignée, en 1350, comme « ville libre » (frie stat, Lünig XIV, 735) et se fait reconnaître l’appellation de « civitas libera » en 1452 (Lünig XIV, 761 et s.).

Ce qui fait la différence entre villes libres et villes impériales, est donc, au fond, la faculté des anciennes villes épiscopales d’affirmer leur singularité (ceci à des degrés variables de l’une à l’autre et dans le temps) en défendant leurs libertés particulières. Si le souverain avait parfois été le protecteur des communautés locales, il n’en était pas pour autant leur seigneur « naturel », ce qui en principe devait conduire les habitants des villes libres à récuser  toute allégeance solennelle au souverain. Les demandes de ce dernier devinrent toutefois de plus en plus instantes au XVe siècle. Si Worms prêta allégeance au roi des Romains empereur dès 1414, Strasbourg, Bâle, Mayence et Ratisbonne réussirent à esquiver le serment d’obéissance et de fidélité jusqu’à la fin du siècle. Ratisbonne, qui se donna librement au duc Albrecht IV de Bavière en 1486, dut finalement prêter serment à l’empereur et à l’empire en 1492. En 1547, ce fut au tour de Strasbourg. Elle s’exécuta, selon ses dires, en tant que « ville libre du saint Empire », laissant entendre par là que le serment n’était pas la reconnaissance d’un pouvoir seigneurial du roi/empereur sur la ville, mais l’expression de la souveraineté de ce dernier et de l’immédiateté impériale de la ville (Lünig, XIV, 776).

Outre leur réticence au serment d’allégeance, les villes libres d’empire défendaient leur droit de ne pas devoir un tribut annuel d’empire et de ne pas contribuer militairement aux guerres impériales. Seuls deux cas pouvaient appeler leur participation, au reste toujours présentée comme facultative et volontaire : l’expédition du couronnement impérial à Rome et une guerre au nom de la chrétienté (contre les Hussites et les Turcs). Les villes libres durent cependant faire face, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, à une pression redoublée du souverain et des états supérieurs.

2. Villes impériales

Entendues strictement, les villes impériales étaient celles qui jouissaient d’un lien immédiat avec le roi – de ce fait avec l’empire (königliche Unmittelbarkeit / Reichsunmittelbarkeit) – et lui devaient en retour des services (fidélité, serment d’allégeance, tribut, aide militaire, aide financière extraordinaire…). Ce qui était au départ de l’ordre de l’obligation envers la personne du roi disposant de droits seigneuriaux urbains se mue, au fil de la densification étatique (staatliche Verdichtung), en un lien plus abstrait à l’égard de l’empire, sans que toutefois disparaisse complètement l’ancien attachement à la royauté et la recherche d’une proximité royale (Königsnahe). La députation aux diètes reste ainsi une façon d’approcher le roi et d’en appeler directement à lui ; c’est sans doute pour cette raison que la petite ville impériale de Wissembourg persiste à envoyer ses propres délégués aux diètes, fin XVe début XVIe siècle, en dépit du coût exorbitant de l’entreprise.

L’immédiateté royale / impériale résulte de processus variés, qui ne trouvent pas toujours leur expression ferme et définitive dans un privilège impérial. Elle pouvait résulter d’un développement de la localité sur le fisc ou le domaine patrimonial du roi. Tel est le cas de Haguenau. Ville neuve née à l’abri d’un palais royal, Haguenau connut les faveurs des Hohenstaufen : nombreux séjours des souverains, privilèges de 1143 et de 1164. Lorsque ces libertés furent confirmées et étendues successivement par Guillaume de Hollande (1255), Richard de Cornouailles (1257, 1262), puis par Rodolphe de Habsbourg (1275) et Albert d’Autriche (1299), la ville accéda au cercle fermé des villes impériales, appelées à siéger aux côtes des princes aux assemblées d’empire. La présence en ses murs de la Landvogtei lui valut toujours la préséance parmi les villes impériales alsaciennes.

En Alsace cependant, dans la plupart des cas, le souverain n’avait pas été, dès les XIe-XIIe siècles, le « seigneur naturel » et exclusif des habitants. Ce sont des prélats, des chapitres, des monastères qui exerçaient alors le pouvoir seigneurial sur Mulhouse, Munster, Turckheim, Colmar… et c’est par le biais de l’avouerie que les souverains parvinrent à s’immiscer dans les relations locales. Un pas décisif est fait dans ce sens sous le règne des Staufen (fin XIIe - début XIIIe siècle), puis sous l’égide de Rodolphe de Habsbourg (1273-1291). De concert avec la bourgeoisie, les souverains poussèrent les anciens seigneurs ecclésiastiques dans leurs retranchements. Mais l’entreprise réussit de façon inégale. L’une des particularités de l’espace haut-rhénan est sans doute l’existence de cotes mal taillées, de statuts impériaux tardifs (Turckheim : 1312, Rosheim : 1303, Landau : 1511) et inaboutis. À Turckheim, jusqu’en 1488, cohabitent des sujets ‘autrichiens’ et des sujets d’empire ; à Munster, l’abbé ne cesse de se rappeler à la présence des bourgeois. Ammerschwihr cultive le souvenir d’une appartenance impériale qui ne lui a jamais été vraiment reconnue…

Toute une tradition historiographique, dont les bases furent posées par Pie II ou Machiavel, a salué dans les villes impériales allemandes des modèles de liberté : « Il y a partout des villes riches et populeuses que l’on nomme « freie Städte » [au sens de villes libres et impériales], parce qu’elles ne sont assujetties qu’à l’empereur dont le joug est aussi léger que la liberté » (Germania, 1457-1458). En Alsace, on a encore plus volontiers forcé le trait, en faisant des villes impériales des républiques autonomes urbaines, voire la liberté, la tolérance et la solidarité incarnées.

Ce jugement est assurément biaisé, puisque les villes impériales avaient bel et bien un seigneur, le roi / empereur, qui exigeait d’elles la fidélité, le serment d’allégeance, un tribut, des revenus de justice, le droit de gîte, des aides militaires extraordinaires… Certes le souverain était souvent loin. Mais lorsqu’il était en visite dans ses villes, il exigeait d’être reçu avec tous les égards dus à un seigneur-roi. En son absence, ses agents (Schultheiss, Landvogt) étaient, quant à eux, présents, de sorte que plusieurs villes impériales alsaciennes avaient au fond, au bas Moyen Âge, moins d’autonomie administrative et politique que des villes territoriales dotées de privilèges étendus comme Fribourg, Brisach, Neuenbourg, Kenzingen… Colmar, où l’on ne pouvait pas mener les élections du Conseil sans la présence et « l’aide » du Landvogt, en est un exemple flagrant. L’un des moyens permettant de rendre la tutelle impériale plus légère était de s’en approprier peu à peu tous les droits seigneuriaux. Mais les villes impériales alsaciennes n’eurent jamais ni la taille ni le crédit requis pour accéder ainsi à une quasi-indépendance. Les plus modestes d’entre elles n’avaient pas davantage les moyens de députer leurs propres ressortissants aux diètes, confiant cette charge à Haguenau ou Colmar. Elles disaient n’être que de « pauvres membres du saint Empire » (ein armes Gliedlein des heiligen Reichs). Reste que l’immédiateté impériale était un privilège rare, synonyme d’honneurs, que l’on arborait fièrement. Rosheim illustre, par exemple, la page du registre de délibérations du Conseil (Ratsprotokollbuch, 1626) des armoiries de la ville surmontées de l’aigle impériale. Quelques décennies encore avant que le passage sous tutelle française (1679) n’entraînât la perte du statut impérial, l’abbé de Munster soulignait, non sans ironie, que « la ville de Turckheim » est attachée à l’empire comme le nid d’hirondelle à la poutre » (AMT BB20, cité dans La Décapole, p. 266). Elle n’était pas la seule dans ce cas en Alsace.

3. De l’indistinction entre ville libre et ville impériale au tournant des temps modernes

Du temps de Rodolphe de Habsbourg, vers 1280, soit à l’apogée de l’affirmation impériale sur les villes, l’empire germanique compte environ 105 villes impériales et villes libres. Elles se situent en grande part dans les régions méridionales, Suisse, Alsace, Lorraine comprises, ce qui reflète à la fois le tropisme méridional de la dynastie Staufen, qui avait la première favorisé l’essor de villes royales / impériales, et l’espace privilégié par la Revindikationspolitik de Rodolphe de Habsbourg. Au nord du Main se dessine déjà à la fin du XIIIe siècle un certain recul (Düren est engagée aux comtes de Jülich en 1241, Nimègue à ceux de Geldern en 1247…) ; là, seules 25 villes libres et impériales étaient présentes.

Le nombre des villes libres et/ou impériales eut cependant tendance à se réduire dès la fin du XIIIe siècle en raison des engagères et médiatisations. Ainsi, en 1331, Brisach, Neuenbourg et Rheinfelden passent entre les mains de la maison d’Autriche.

La matricule de Worms fournit un nouvel état des lieux en 1521. La liste compte alors, au total, 85 villes sous le titre « Frei- und Reichsstett », alors entendues comme des villes appelées à participer aux assemblées impériales (Reichstag) et aux obligations d’Empire. Dans la mesure où la liste comporte sa part de revendications et compte des villes qui ne répondirent jamais aux demandes impériales, il faudrait ramener ce nombre à 68 villes libres et impériales dans le premier tiers du XVIe siècle. Pour l’espace haut-rhénan figurent alors à ce titre Strasbourg, Haguenau, Colmar, Sélestat, Wissembourg, Obernai, Mulhouse, Kaysersberg, Rosheim, Munster, Turckheim, Landau, Offenbourg, Gengenbach et Zell. La présence de Strasbourg parmi ces villes montre déjà combien, en des temps de disette pécuniaire et de guerre, l’empereur et les états supérieurs faisaient peu de cas de la nuance entre ville libre et ville impériale. En comptant parmi les plus grosses contributrices au budget de l’empire, en fréquentant assidûment les diètes, Strasbourg se situe indéniablement, dès la fin du XVe siècle, dans cette zone grise où il devient illusoire de dissocier ville d’empire et ville libre. Le strasbourgeois Jacques Sturm tenait d’ailleurs la différence pour « purement extérieure » et « inessentielle ».

D’une façon générale, au tournant des temps modernes, la confusion entre villes libres et villes impériales se trouve confortée tant par les usages sémantiques que par les pratiques. L’expression « Frei- und Reichstett » exprime désormais une distinction entre les membres urbains de l’empire (les villes qui disposent de la Reichsunmittelbarkeit) et l’ensemble des villes territoriales médiates (Territorialstadt, Landstadt), relevant d’un prince ou d’un noble. À partir de 1470-1471, les villes libres et impériales cherchèrent à répondre aux nouvelles exigences des princes d’empire et de l’empereur en harmonisant leurs positions lors de diètes urbaines. Commence alors un combat séculaire pour la reconnaissance de leur Reichsstandschaft, d’une dignité impériale à l’égale de celle des autres états (Reichsstände). Les villes libres et impériales obtiennent satisfaction définitive en 1648. Mais, par ces mêmes traités de Westphalie, la situation des villes libres et impériales alsaciennes se précarise. Selon l’article 87, les villes impériales de la « Décapole » conservent leur immédiateté impériale, à condition cependant que cela ne porte pas préjudice aux droits souverains alors acquis en Alsace par le roi de France. Mulhouse, alliée aux cantons suisses depuis le début du XVIe siècle (Zugewandter Ort en 1515), voit, comme eux, ses derniers liens avec l’empire rompus.

Sous le règne de Louis XIV, et tout particulièrement dans les années 1665-1667, les villes impériales alsaciennes tentent une ultime défense de leurs privilèges impériaux. La procédure d’arbitrage engagée en 1665 à la diète de l’empire s’avère inopérante. Il ne reste alors plus aux villes impériales qu’à affirmer de façon exacerbée leur appartenance à l’empire : Colmar frappe encore en 1667 des thalers portant l’aigle impériale (dits trutzthalers, thalers malgré tout). Mais, à partir de 1673, les villes de la Décapole subissent les sièges et les destructions des armées françaises. Par le traité de Nimègue (1679), les Dix villes sont annexées à la France, perdant ainsi leur statut de « ville libre d’empire ». Demeurée « libre » au lendemain du traité de Munster (1648), Strasbourg est, à son tour, acculée à la capitulation en 1681. Placée sous souveraineté française, elle est rayée de la matricule impériale (traité de Ryswick, 1697). Une fois révolue l’époque de la « ville libre d’empire », il était temps pour elle de se dire « ville libre et royale » !

Bibliographie

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LÜNIG (Johann Christian) éd., Das Teutsche Reichs-Archiv, 24 Bde, Leipzig, 1710-1722. Ed. numérique, Université d’Augsbourg.

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MGH Const.3, SCHWALM (Jakob) éd., Constitutiones et acta publica imperatorum et regum, volume 3, Hanovre, 1904-1906, p. 2-5.

MORAW (Peter), « Reichsstadt, Reich und Königtum im späten Mittelalter », Zeitschrift für historische Forschung, 4, 1979, p. 385-424.

FAHLBUSCH (Friedrich Bernward), Städte und Königtum im frühen 15. Jahrhundert, Cologne, 1983.

HEINIG (Paul-Joachim), Reichsstädte, Freie Städte und Königtum. 1389-1450, Wiesbaden, 1983.

SCHMIDT (Georg), Der Städtetag in der Reichsverfassung. Eine Untersuchung zur korporativen Politik der freien und Reichsstädte in der ersten Hälfte des 16. Jahrhunderts, Stuttgart, 1984.

ISENMANN (Eberhard), Die deutsche Stadt im Spätmittelalter, Stuttgart, 1988, p. 107-130, avec indications bibliographiques complémentaires. Voir en particulier les travaux d’E. Isenmann, de P.-J. Heinig et P. Moraw.

KAMMERER (Odile), « Les villes de l’Oberrhein à l’époque médiévale : villes d’empire (Reichsstädte) et villes libres (Freie Städte) », dans LOCATELLI (René) et RICHARD (Hélène) (éd.), De l’autonomie des villes. Besançon, 1290-1990, Besançon, 1992, p. 73-84.

ZEILINGER (Gabriel), « Urbane Entwicklung abseits der Kathedralstadt. Die Stadtwerdung Colmars und die Urbanisierung des Oberelsass vom 12. bis zum 14. Jahrhundert », EHRICH (Susanne), OBERSTE (Jörg) (Hg.), Städtische Räume im Mittelalter, Ratisbonne, 2009, p. 123-136. On y trouvera les références complètes des travaux qui permettent un panorama du développement des villes royales, puis impériales en Alsace, dont F. OPPL pour le XIIe siècle, Hella FEIN et Wolfgang MAIER pour l’époque Staufen.

VOGLER (Bernard) (dir.), La Décapole, dix villes d’Alsace alliées pour leurs libertés 1354-1679, Strasbourg, 2009.

Laurence Buchholzer

II. Époque moderne

Après la période de la réformation dans le Saint-Empire de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, les villes libres et impériales (Freie und Reichstädte) alsaciennes inscrites sur la matricule impériale de 1521 dans le Cercle du Rhin supérieur sont au nombre de onze : Strasbourg, Kaysersberg, Colmar, Sélestat, Mulhouse, Haguenau, Wissembourg, Obernai et Rosheim, Turckheim, Munster.

À partir de 1513, les villes libres alsaciennes prennent place dans les Assemblées des États de toute l’Alsace et de la Basse-Alsace. Il se tiendra deux cent sessions d’États, souvent trois par an, jusqu’à la dernière en 1683. Toutes les villes impériales participent aux États d’Alsace (70 sessions environ) convoquées le plus souvent par la Régence d’Ensisheim et particulièrement nombreuses à la fin du XVIe siècle. Seules les villes libres impériales de Basse-Alsace prennent part aux Assemblées de Basse-Alsace (130 sessions environ) convoquées au début du XVIe siècle par le Landvogt, puis par l’évêque de Strasbourg, les plus nombreuses à partir du début du XVIIe siècle. Il n’y a plus d’États d’Alsace à partir de 1648. Mais les villes libres de Basse-Alsace sont présentes dans les dernières sessions des États de Basse-Alsace y compris les dernières en 1673 et 1683 (Muller, F.W ; v. États_d’Alsace, Elsässische_Landstände). Comme pour les Diètes d’Empire, ou pour les Diètes des Cercles, les villes libres revendiquent et obtiennent le droit de prendre place sur un même banc et de voter en corps, tout de suite après Strasbourg. Ce lien prolonge l’alliance régionale (v. Bund) que Schoepflin, dans une note de bas de page de son « Alsatia illustrata » de 1751 baptisera « Décapole » désignation qui a été reprise par nombre d’historiens à partir du XIXe siècle (v. Décapole). L’empereur a été représenté auprès de ces « dix villes impériales » par le Landvogt, également administrateur des 40 villages du « grand bailliage » situé aux environs de Haguenau. Cette fonction opportunément appelée « Préfecture des Dix villes impériales » permet aux plénipotentiaires français de Munster de s’approprier en bloc la « suprême seigneurie » sur ces villes impériales : « d’une phrase on englobe dix villes » (Livet, Intendance, p. 121). Le plénipotentiaire français avait assuré à Schneider, le représentant de Colmar, que les villes impériales resteraient libres. L’article 65 du traité de Westphalie reconnaît et confirme tous les droits des villes libres d’Empire « ayant voix décisive dans les Diètes générales ». Mais par l’article 73, l’Empereur cède tous ses droits sur … « la Préfecture provinciale des Dix Villes impériales situées en Alsace, à savoir Haguenau, Colmar, Sélestat, Wissembourg, Landau, Oberenheim, Rosheim, Munster au Val-Saint-Grégoire, Kaysersberg, Turckheim, et tous les villages et autres droits dépendant de ladite Préfecture ». Et dans l’article 87, inséré à la demande de la ville de Strasbourg, le Roi laissait les seigneurs et les villes, soit « Strasbourg » et « les Dix Villes qui reconnaissent la Préfecture de Haguenau » dans la liberté de possession à l’égard de l’Empire romain dont ils ont joui jusqu’alors… » mais de sorte que « l’on n’entende point qu’il soit rien ôté de tout ce droit de suprême seigneurie qui a été ci-dessus accordé » (de Boug, I). Si les territoires de l’Autriche antérieure et « la Préfecture » proprement dite sont annexées par la France, les villes libres peuvent se considérer comme faisant encore partie de l’Empire, jusqu’à la paix de Nimègue (1679). Colmar fait renouveler ses privilèges de ville libre en 1651 puis en 1659. Les thalers qu’elle fait frapper en 1666 portent la formule « Moneta Nova civitatis imperialis Colmar » (Livet, Histoire de Colmar, p. 111). L’Empereur continue de réclamer les contingents matriculaires que doivent les villes impériales. Les Reichstädte alsaciennes y sont encore toutes inscrites en 1663 et elles contribuent à l’entretien du Reichskammergericht, qui, malgré l’institution du Conseil provincial, futur Conseil souverain, continue d’être l’instance d’appel dans leur hiérarchie judiciaire. Les autorités françaises, pourtant affaiblies par la Fronde, poursuivent leur implantation et réclament un serment de fidélité de chacune des villes. Elles consentent à y reconnaître la qualité de protecteur du Roi de France, mais non pas de souverain. Colmar et Sélestat participent à la diète de Ratisbonne en 1673. Avec la guerre de Hollande (1670), la politique dilatoire de la diplomatie française et les contradictions duLandvogt français, le duc Mazarin qui laisse faire au nom du « ménagement envers les États de l’Empire », cèdent la place à l’affirmation désormais claire de la politique royale exprimée par Louvois. « Le Grand Bailliage, utilisé un temps pour des fins politiques, est condamné avant les villes auxquelles le lie une solidarité organique » (Livet, Intendance, p. 351). Colmar est prise en 1673 et ses remparts sont démolis. Le traité de Nimègue (février 1679) confirme « mot à mot » le traité de Westphalie (de Boug I, XLVIII). Les villes prêtent serment les unes après les autres, Sélestat puis Colmar, puis Turckheim, Kaysersberg et Munster, et les villes de la Basse-Alsace. « Les dix villes qui se prétendaient impériales et avaient prêté un serment par lequel elles se réservaient l’immédiateté … et parlaient de l’Empereur comme leur souverain seigneur » prêtent un serment dans lequel il n’est question ni d’Empire, ni d’Empereur ». (Louvois, cité par Livet p. 392). Ainsi, conclura Louvois, « voici une affaire finie » (Livet, p. 394).

L’année suivante, c’est au tour de Strasbourg. La capitulation de Strasbourg comprend avec le texte essentiel de l’article 2, qui garantit le maintien des « anciens privilèges, droits, statuts et coutumes », cinq fois le mot « liberté » : libre exercice de la religion (art. 3), libre élection [du Magistrat] (art. 4), liberté des revenus et du commerce de la ville (art. 5), exemption d’impôts (art. 6), libre jouissance de leurs biens (art. 7), mais se termine par les mots définitifs : « les troupes du roi entreront aujourd’hui 30 septembre 1681, à 4 heures de l’après-midi ». Comme pour les autres villes alsaciennes anciennement impériales, le Roi et son Conseil remplacent l’Empereur et la Chambre impériale de l’Empire. Strasbourg ne s’en proclame pas moins « ville libre et royale » « J’espère qu’en échange de la liberté, nous retrouverons la prospérité » soupire l’Ammeister Reisseissen (Livet, Histoire de Strasbourg, III, 96). En janvier 1683, présidée par l’évêque de Strasbourg a lieu la dernière assemblée des États de Basse-Alsace qu’ait autorisée la monarchie (v. États_d’Alsace, Landstände). Avec le Grand Chapitre, Hanau-Lichtenberg, Linange-Westerburg, Fleckenstein et la Noblesse de Basse-Alsace, les villes de la Basse-Alsace, Strasbourg, Haguenau, Sélestat, Obernai et Rosheim, y ont pris part. Elles n’étaient plus libres, ni impériales, mais ont pu conserver sous le régime royal français bon nombre des dispositions de leurs statuts (oligarchiques).

Bibliographie

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DE BOUG (1775), Ordonnances d’Alsace, t. I.

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VOGLER (Bernard) (dir.), La Décapole. Dix villes d’Alsace alliées pour leur liberté 1354-1679, Strasbourg, 2009.

François Igersheim

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