Eigenleute

De DHIALSACE
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Dépendants d’un seigneur à titre personnel.

Le terme générique Eigenleute comprend l’ensemble des personnes qui dépendent d’un seigneur à titre personnel et appartiennent à la catégorie des homines proprii non-libres, les serfs aussi bien que les ministeriales du Moyen Âge central. Il renvoie à une réalité complexe, qui ne se réduit pas à la servitude personnelle (Leibeigenschaft) et à ses attributs, interdiction de déguerpir (émigration, freyzug), de se marier sans le consentement du maître (formariage) ou de transmettre librement ses biens (mainmorte), mais impose d’autres liens.

La définition servile s’avère insuffisante et ne rend pas compte de la réalité des pouvoirs ; en Franconie, le syntagme eigenleute ne désigne pas la qualité propre des personnes concernées, mais un rapport social, la prééminence d’un seigneur par rapport à d’autres détenteurs de l’autorité : autrement dit, il ne « renvoie qu’à l’articulation localement spécifique des pouvoirs de différents seigneurs sur les mêmes personnes » (J. Demade - J. Morsel).

Ces observations – qui n’excluent pas la contrainte et les empêchements que l’on attribue au servage – invitent cependant à utiliser les termes avec prudence. Le 23 juin 1383, l’officialité de Strasbourg enregistre le weistum de 51 habitants de la vallée d’Oppenau, qui tiennent des tenures des nobles de Schauenburg, en tant que vassaux du margrave de Bade et du comte d’Eberstein, et sont présentés comme des « ritterlut » : ils se disent « libres » (« frye lute ») ajoutant « ils ne doivent obéir à personne si ce n’est aux chevalier(s) et écuyer(s) dont ils tiennent leurs biens, et lorsque l’un d’eux épouse une femme qui appartient à l’évêque de Strasbourg, celle-ci doit lui remettre une redevance annuelle d’un poulet, mais rien d’autre (à titre de chevage) ». On ajoute que « personne ne peut déférer en justice, réquisitionner ou contraindre ces personnes, à l’exception des chevalier(s) et écuyer(s), qui sont leurs seuls juges ». Six jours plus tard, quarante-cinq habitants de la même vallée, qui sont, incontestablement, des parents des premiers (éventuellement des enfants issus d’un mariage avec une dépendante de l’évêque), affirment la supériorité de celui-ci en tant que détenteur de la haute justice et reconnaissent que celui qui exploite une tenure dite « ritter und edellüte güter » n’a pas d’autre obligation que le paiement du cens dû aux gentilshommes concernés et peut devenir bourgeois d’Oppenau, d’Oberkirch ou d’ailleurs, le droit de chasse et de pêche leur étant concédé, sauf dans les eaux banales de l’évêque.

Cet exemple, qui se situe dans un contexte de concurrence entre seigneurs, suffit à montrer la complexité du sujet. En 1407, quand les cousins Dietrich et Reinbolt Burggraf portent plainte contre un de leurs dépendants, le marchand de grains Heintzmann von Franckenheim, qui a été reçu bourgeois de Strasbourg avant le délai d’un an « transgressant le fait qu’il est leur serf de corps et leur tenancier mouvant du comté d’Eberstein » (« uber das er ir eigen wer von dem leibe und ir lehenner von der graffschaft von Eberstein »), l’accusé objecte que ni lui ni ses ancêtres n’ont jamais été serfs « nie eigen » (1407). En application du « landrecht » et de la jurisprudence, le tribunal strasbourgeois reconnaît le droit de poursuite des seigneurs, mais propose un accommodement.

Cette question donne lieu à de nombreux litiges et à des réajustements fréquents. À Munster, en 1339, on distingue des « hommes libres », qui sont en réalité des dépendants, des serfs, protégés par l’abbaye. En 1534, une sentence du Hofgericht de Rottweil ordonne la saisie des appartenances de Guillaume de Morimont à Issenheim, en mettant dans un même panier ses biens immobiliers, les meubles et les eigenleute qu’il est susceptible de posséder.

Dans les terres de l’Autriche, où cohabitent des villageois directement dépendants des Habsbourg ou des ritterleute issus des seigneuries particulières, les relations sont souvent difficiles. Dans la seigneurie de Thann, en 1536, un homme sur cinq échappe à l’autorité locale et, de ce fait, ne porte pas les armes avec ses voisins ou ne contribue pas à l’impôt selon la même assiette. Dès 1455, le registre de la landschatzung du bailliage de Ferrette distinguait les contribuables de droit commun et les ritterleute du village de Koestlach, dont la quote-part était comprise dans celle des « arme lüte » de la chevalerie. Les droits et les obligations de ces derniers sont définis en 1494-1495, à la suite d’un arbitrage de l’évêque de Bâle Gaspard zu Rhein et du burgermeister de cette ville, Hans von Baerenfels, mais cet accord se révèle peu satisfaisant. Vers 1513, le comte de Thierstein s’empare par la force de quatre de ses eigenlute de Folgensbourg accusés d’avoir fait cause commune avec les sujets autrichiens de la seigneurie de Ferrette, en révolte contre leur engagiste. En effet, mal vécues par les uns et les autres, les différences de statut font l’objet des doléances de la landschaft en 1516, en 1524
et reviennent sur le devant de la scène pendant la Guerre des Paysans. Elles se résorbent à la génération suivante.

Bibliographie

Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 43, 63, 69, 70,71, 72, 104 Landrecht II, 291,308 – statut personnel, mariage, qualité de l’enfant d’une Eigenfrau, etc.

WENCKER (Jacob), « Dissertatio de Pfalburgeris, Strasbourg, 1696 »,ZGO, 1885, p. 137 et suiv.

DEMADE (Julien), MORSEL (Joseph), « Les Eigenleute de Franconie aux XIIIe-XVe siècle : Essai d’appréhension spatiale et sémantique d’une catégorie sociale malmenée », in Forms of Servitude in Northern and Central Europe: Decline, Resistance, and Expansion, FREEDMAN (Paul) et BOURIN (Monique) (dir.), Turnhout, 2005.

Notices connexes

Chevalier

Ehegenossame

Émigration

États provinciaux de Haute-Alsace

Formariage

Freizug

Landrecht

Landschaft

Landschatzung

Leibeigenschaft

Mainmorte

Ministeriales

Ritterleute

Serf

Servage

Georges Bischoff