Désertion

De DHIALSACE
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Action d’un soldat qui abandonne son armée sans autorisation. Toutes les archives concordent pour signaler la permanence d’un phénomène récurrent. En Alsace, qui connaît de nombreuses guerres aux époques médiévale et moderne, il n’en va pas autrement.

Comme Augustin Güntzer, de multiples témoins cités par Ellerbach et Hertzog attestent de nombreuses désertions pendant la guerre de Trente Ans.

La guerre de Succession d’Espagne qui se déroule de 1702 à 1713, essentiellement dans l’Alsace septentrionale, ne déroge pas à cette règle. Il suffit de citer le comte de Péry, qui s’exprime depuis Wissembourg. Le 17 novembre 1709, il écrit : « Les troupes qui restent sur la ligne de la Lauter se trouvent dans un pays ruiné et dîmé de toute chose, ne pouvant tirer aucune subsistance que des ennemis. Si elle vient à leur manquer, elles n’ont aucune ressource, et, dans cette extrémité, nous perdrons sans difficulté les troupes, où il y a déjà une désertion à cause des payes qui ne sont point payées depuis longtemps ». Deux jours plus tard, il affirme : « La plupart des soldats demandent l’aumône. La désertion augmente de jour en jour ». Le 12 janvier 1710, le même Péry remarque : « La désertion continue sur cette ligne. Elle est causée parce que les soldats s’attendaient à être payés. Mes partis en attrapent toujours quelques-uns que l’on fait pendre. Mais les fréquents exemples que l’on donne ne les arrêtent point ». Toujours la même plainte le 20 février 1710 : « Depuis quinze jours il a déserté de cette ligne vingt grenadiers et quantité de soldats. Dix hommes qui étaient de garde dans une redoute proche de Hagenbach l’ont abandonnée et ont déserté après avoir brûlé le corps de garde ».

Il ne faudrait pas croire, au vu des éléments précédents, que la désertion se limite au temps de guerre. Quelques exemples suggèrent un phénomène endémique, y compris en temps de paix. Ainsi en 1660, voici deux soldats déserteurs déguisés en paysans à Brisach (AHR 1B 874). En 1739, Jean Philippe Krieger, « étranger à la nation », est accusé d’être un émissaire de Prusse et d’avoir débauché des soldats « de Sa Majesté » pour les faire passer au service des princes étrangers. Il est détenu à Strasbourg (1 B 693). En 1741, Claudine Ferrant est accusée d’avoir facilité la désertion d’un soldat nommé Lapierre du régiment de Nice, en lui prêtant ses habits « pour se travestir en fille ». Elle est emprisonnée à Brisach (1 B 694). En 1781, Jacques Meyer est accusé d’avoir facilité la désertion d’un dragon de la garnison de Sélestat (1 B 696). En 1787 encore, Chrétien Schmitt est, lui aussi, accusé d’avoir aidé à la désertion d’un caporal du régiment de Hesse-Darmstadt (1 B 697). Soulignons tout de même le faible nombre de cas répertoriés dans les archives judiciaires du Conseil souverain d’Alsace.

Plus que l’épisode des six semaines de la folle chevauchée des Pandours à l’été 1744 en Alsace septentrionale, citons la guerre révolutionnaire et surtout les combats de l’été et de l’automne 1793. Pour éviter l’érosion de l’armée républicaine, Saint-Just, venu en personne dans la province galvaniser les énergies, fait passer par les armes les déserteurs repris, mais aussi quelques innocents au nom de l’exemple. Il en résulte le sursaut qui boute l’ennemi hors des frontières.

Le nombre des déserteurs qui, mobilisés déjà, quittent leurs unités avec ou sans armes et bagages, reste tout aussi difficile à cerner sous le Consulat et l’Empire. Mais ce qui est certain, c’est que la désertion ronge toujours l’armée. A Strasbourg, on compte 18 déserteurs en 1804, 162 en 1806, 54 en 1808, 72 en 1810, 119 en 1812, mais 1554 en 1813, au moment où la bataille de Leipzig balise le commencement de la fin. La désertion est, bien sûr, combattue. Une lettre du 26 décembre 1803 en provenance de Saint-Omer informe le maire de Haguenau qu’Ignace Trendel, du 1er régiment de hussards, originaire de sa ville, a déserté. Elle lui enjoint de le poursuivre s’il apparaît. Le 1er mai 1804, le commissaire des guerres Cetty transmet au maire de Haguenau une missive du ministre de la Guerre qui se plaint de ce que plusieurs économes d’hospices se permettent d’évacuer des militaires malades sur les hôpitaux de leurs domiciles. « Cet abus favorise la désertion ».

Sur la route des troupes à Mayence figure aussi Colmar. Le 23 décembre 1806, deux conscrits partis de Lyon pour se rendre à Landau y désertent. Leur signalement est donné. Quelques jours plus tôt, le 24e régiment d’infanterie légère signalait la défection de quatre hommes. Trois autres, partis de Grenoble, désertent à Colmar le 2 novembre 1806 ainsi que sept venant du département de Gênes. Le 1er mars 1809, on signale un déserteur de Haute-Saône, le 28 mai un autre du Doubs ; le 7 juillet 1813, encore deux venus du Doubs. Le 8 juin 1814, à l’heure de la déliquescence impériale, ce sont deux Colmariens qui désertent à Sainte-Affrique.

Les déserteurs alsaciens existent bel et bien dans cet Empire si alsacien (près de 80 officiers généraux originaires de la région). Une liste de 1800 énumère 34 déserteurs, tous représentants d’une Alsace plus rurale qu’urbaine. Un état colmarien de 1805 en nomme six. L’administration cherche à identifier leurs familles pour leur faire payer 1500 francs d’amende. En 1808, Dominique Frey est accusé de désertion à l’ennemi et condamné à mort par contumace.

Les efforts de l’administration pour empêcher ce fléau sont multiformes. Tout gendarme, officier ou garde-forestier arrêtant un déserteur perçoit 100 francs en 1808, 25 francs seulement en 1811. Les peines prononcées s’échelonnent de l’amende et des travaux publics au boulet et à la mort. L’amende s’élève à 1500 francs. Les condamnés à la peine de boulet traînent leur fardeau de huit livres à une chaîne de fer. Les déserteurs strasbourgeois condamnés à mort sont fusillés sur la Place d’Armes. Cadet de Gassicourt, présent à Strasbourg en avril 1809, note : « Soixante malheureux déserteurs et conscrits réfractaires condamnés au boulet, enchaînés deux à deux par le cou et la ceinture sont forcés, avec le poids de leurs chaînes, de travailler à épuiser l’eau des fondations du fort que l’on construit. Quand je me suis approché d’eux, ils travaillaient lentement à tourner les chapelets hydrauliques ».

Tous ceux et toutes celles qui, de près ou de loin, favorisent ou encouragent la désertion se voient inquiétés. Madeleine Spring, jeune journalière de Wissembourg, est condamnée, en octobre 1809, à un an de prison et à 100 francs d’amende « pour avoir favorisé la désertion de deux soldats westphaliens ». Le 5 août 1811, le maire de Bischwiller témoigne au maire de Haguenau Weinum sa « satisfaction de l’empressement qu’on a montré dans la recherche des déserteurs ». Il propose « la continuation de la surveillance à exercer sur la lisière de la forêt de Haguenau » et évoque une battue générale partant d’Oberhoffen, Schirrhein, Schirhoffen, Soufflenheim, Rountzenheim, Leutenheim, Kauffenheim, Forstfeld jusqu’à Haguenau. « Il faut mettre au fer toutes les personnes suspectes et les faire conduire jusqu’ici ».

Autre moyen de coercition, le garnisaire. A Haguenau, le 4 juin 1811, le père de Joseph Schott demande à être déchargé de l’entretien de ce soldat chez lui. « La démarche est juste, son fils n’a pas été signalé comme déserteur ». Et l’administration ajoute : « C’est chez les parents de François Joseph Schott que le garnisaire doit être placé et ce sont eux qui doivent acquitter les frais ». Lors des Cent-Jours, une nouvelle mobilisation a lieu. Paul Leuilliot remarque que « toutes les forêts de la Hardt regorgent en 1815 de jeunes hommes qui quittent les troupes pour s’y réfugier ».

Bibliographie

ELLERBACH (Jean-Baptiste), SCHERLEN (Auguste), Der dreissigjährige Krieg im Elsass. Carspach 1912-1918.

REUSS (Rodolphe), La grande fuite de décembre 1793, Strasbourg, 1924.

LEUILLIOT (Paul), L’Alsace au début du XIXème siècle (1815-1830), Paris, 1959-1960.

MULLER (Claude), Guerres et paix sur la frontière du Rhin au XVIIIe siècle, Drusenheim, 2007.

MULLER (Claude), « La liberté ou la mort ». L’Alsace et la Révolution française, Nancy, 2009

DEBUS KEHR (Monique), Augustin Güntzer. L‘histoire de toute ma vie, Paris, 2010.

MULLER (Claude), « Vive l’Empereur ! L’Alsace napoléonienne », Bernardswiller, 2012.

Notices connexes

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Claude Muller