Droit de l'Alsace (Révolution)

De DHIALSACE
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En transférant la souveraineté du monarque à la nation, en abolissant les privilèges et le régime féodal, l’Assemblée nationale constituante n’instaura pas seulement l’égalité civile des citoyens, mais jeta à bas les anciennes sources, les fondements et les disparités du droit et de la justice, dont les « cahiers » de 1789 avaient vivement sollicité la réforme (exemples parmi bien d’autres : art. 17 du cahier de la ville de Colmar du 27 avril 1789 : « Que Sa Majesté sera suppliée de faire refondre les codes civils et criminels à l’effet de faire rendre aux Sujets une justice plus prompte et moins coûteuse, … » ou encore, art. 28 de celui du tiers-état du district de Belfort-Huningue du 4 avril : « Qu’il soit établi dans le Royaume une uniformité de Loix, … »). Elle décida de reconstruire en entier l’ordre judiciaire du royaume sur la base des principes proclamés par sa Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, faisant résider la source du nouveau droit dans la loi, expression de la volonté générale de la nation, d’où découlent l’égalité devant la loi, sa non-rétroactivité, la présomption d’innocence jusqu’au jugement. L’autre grand principe qui guida l’Assemblée nationale fut celui de la séparation des pouvoirs, entraînant de facto l’indépendance des magistrats élus.

 

1. La nouvelle organisation judiciaire

Tous les anciens tribunaux, cours, etc. étant abolis, la loi fondamentale des 16/24 août 1790 définit une nouvelle organisation judiciaire, plus spécialement de la justice civile, rendue uniforme pour l’ensemble du royaume. Elle introduisit la séparation stricte des fonctions judiciaires des fonctions administratives, une dualité alors originale, qui subsiste encore de nos jours. La vénalité des offices de judicature fut supprimée au profit d’une justice rendue gratuitement par des magistrats, professionnellement compétents, élus à temps par les corps électoraux, inamovibles pendant la durée de leurs fonctions et salariés par l’Etat. Les audiences devaient être publiques, les débats contradictoires et les jugements motivés. Elle rationalisa et simplifia l’organisation judiciaire en distinguant les juridictions civiles des juridictions pénales et fit coïncider les divers ressorts avec les nouvelles divisions administratives.

En matière civile, l’Assemblée institua une hiérarchie de juridictions. La procédure de conciliation, soit devant un tribunal de famille, soit devant le bureau de paix et de conciliation du district, devait obligatoirement précéder toute autre action principale ; les arbitrages dans les causes personnelles et mobilières de moindre importance étaient rendus par des juges de paix établis dans chaque canton. L’échelon supérieur, constitué par le tribunal civil de district, aussi instance d’appel des juridictions inférieures, jugeait tous les litiges de droit privé. Une particularité résidait dans le fait que les tribunaux de district étaient également tribunaux d’appel les uns des autres.

 

2. Justice et Code pénal

La justice pénale comportait trois degrés : un tribunal de police municipal dans chaque commune connaissant des infractions de moindre importance, un tribunal de police correctionnelle par canton jugeant des délits de moyenne gravité et le tribunal criminel du département avec double jury populaire (d’accusation et de jugement) pour les délits et crimes susceptibles de peines afflictives et/ou infamantes. Ainsi était instituée une séparation, avec des jurés jugeant les faits selon leur intime conviction et des juges prononçant l’application de la loi. Les constituants, tout imprégnés de l’esprit des Lumières et des écrits de Jean-Jacques Rousseau, adoptèrent pour principe qu’il ne pourrait être fait appel d’un jugement criminel, parce que le jury, expression de la nation souveraine (« de la volonté générale »), ne pouvait se tromper.

Pour couronner le nouvel édifice judiciaire et assurer le maintien de l’unité de jurisprudence et de respect de la loi, il fut institué un tribunal de cassation établi auprès du corps législatif, dont les attributions étaient cependant limitées au seul examen des vices de forme dans les procédures, sans pouvoir connaître du fond.

Très rapidement, l’Assemblée adopta un Code pénal (loi des 25 septembre/6 octobre 1791), suivi de celui de procédure criminelle (loi des 16/29 septembre 1791), conçus dans l’esprit de la déclaration des droits de l’homme. La procédure criminelle devint accusatoire et publique, par opposition à celle, inquisitoire et secrète, de l’Ancien Régime. Le Code établit une nomenclature précise des délits et crimes, dont on distingue ceux contre la paix et la tranquillité du pays et ceux contre les citoyens. Les peines correspondant à chaque crime étaient en nombre limité, clairement spécifiées : la peine de mort (« simple privation de la vie ») débarrassée des formes barbares en usage antérieurement, des fers, de réclusion dans la maison de force, de gêne, qui ne pourront plus être perpétuelles, de détention, limitée à six ans, de déportation, de dégradation civique, du carcan.

Or, cette justice pénale, idéale dans sa conception, n’était guère adaptée au contexte de luttes politiques qui surgirent bientôt, de plus en plus âpres. Aussi, dès l’avènement de la Terreur en 1793, subit-elle des modifications qui la soumirent au pouvoir politique, entre les mains duquel elle devint alors un outil essentiel de répression. Indépendamment de l’institution de tribunaux et commissions révolutionnaires un peu partout dans la République, la justice pénale ordinaire fut convertie en justice révolutionnaire, débarrassée de cette garantie du justiciable qu’étaient les jurys, ce qui permettait de hâter les condamnations. Les deux dispositions légales les plus étonnantes sont sans doute celles de l’article 3 du titre II de la loi du 10 mars 1793 étendue aux tribunaux ordinaires qui leur attribue la compétence pour condamner à la déportation « ceux qui, étant convaincus de crimes ou délits qui n’auraient pas été prévus par le Code pénal et les lois postérieures ou dont la punition ne serait pas déterminée par les lois… » et de l’article 10 de la loi du 17 septembre 1793 : « Les tribunaux civils et criminels pourront, s’il y a lieu, faire retenir en état d’arrestation et envoyer dans les maisons de détention ci-dessus énoncées, les prévenus de délits à l’égard desquels il sera déclaré n’y avoir pas lieu à accusation, ou qui seraient acquittés des accusations portées contre eux », bien éloignées des Droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Se reprenant après l’épisode de la Terreur et de ses « justices » d’exception, la Convention nationale publia un nouveau Code des délits et des peines (25 octobre 1795), dont les 646 articles n’apportaient pas de modifications substantielles aux dispositions de 1791, mais réaffirmaient les mêmes principes. Cependant, sous le Directoire, les luttes politiques portèrent de nouveau quelques atteintes à l’indépendance de la justice, notamment après le coup d’Etat directorial du 18 fructidor V (4 septembre 1797).

 

3. Vers un nouveau Code civil

Déjà en 1790 l’Assemblée nationale avait décrété qu’ «  il sera fait un Code des lois civiles communes à tout le royaume », et les assemblées qui suivirent s’attelèrent à cette tâche, mais sa rédaction, bien plus malaisée et complexe que celle du Code pénal, n’aboutit qu’en 1804.

Avec le premier grand bouleversement de « la Nuit du 4 août » 1789, au cours de laquelle les députés proclamèrent l’abolition de la féodalité et de tous les privilèges, l’une des conséquences immédiate en fut la suppression du droit féodal qui, depuis des siècles, régissait en grande partie le droit foncier et de propriété. Libérée de l’emprise seigneuriale, l’organisation de la propriété foncière se trouva profondément modifiée. Autre réforme d’importance : la loi du 3 octobre 1789 permit le prêt à intérêt, jusqu’alors interdit sous l’influence de l’Eglise. Un code hypothécaire unifié, très complet mais un peu compliqué, fut publié en 1795 ; toutefois son application en fut plusieurs fois repoussée jusqu’à la parution de nouvelles lois sur le régime hypothécaire en 1798 et l’organisation de la conservation hypothécaire en 1799.

La deuxième grande réforme engagée fut celle du droit de la famille et des personnes. La constitution du 14 septembre 1791 désacralisa le mariage, considéré comme simple contrat civil ; la puissance paternelle perpétuelle fut abolie ; la tenue de l’état civil des citoyens fut transférée du clergé aux municipalités ; le mariage fut laïcisé et le divorce introduit. Si aucune des assemblées révolutionnaires ne toucha aux régimes matrimoniaux, laissant subsister les droits coutumiers locaux, le droit successoral subit d’importantes transformations : égalité entre héritiers ab intestat de même degré, sans distinction de sexe, ce qui entraîna l’abolition du droit d’aînesse, des substitutions héréditaires et des majorats ; reconnaissance de l’existence légale des enfants nés hors mariage, leur permettant ainsi de pouvoir obtenir une part d’héritage ; stricte limitation des donations entre vifs. La loi du 17 nivôse an II (6 janvier 1794) régla le droit des successions avec une surprenante clause de rétroactivité pour toutes les successions ouvertes depuis le 14 juillet 1789, remettant même en cause celles liquidées, ce qui ne fut pas sans poser de sérieuses difficultés, au point qu’en 1795, il fallut abroger cet effet rétroactif.

 

Bibliographie

SELIGMAN (Edmond), La justice en France pendant la Révolution, 1789-1792 (t. 1), 1791-1793 (t. 2), Paris, 1901 et 1913.

ESMEIN (Adhémar), Précis élémentaire de l’histoire du droit français de 1789 à 1814. Révolution, Consulat et Empire, Paris, 1911.

GODECHOT (Jacques), Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, 1951.

DEBAUVE (Jean-Louis), La justice révolutionnaire dans le Morbihan. 1790-1795, Paris, 1965.

HALPÉRIN (Jean-Louis), « Le droit privé de la Révolution : héritage législatif et héritage idéologique », Annales historiques de la Révolution française, n° 328 (2002), p. 135-151.

 


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Claude Betzinger