Droit de l'Alsace (Haut Moyen Age)

De DHIALSACE
Aller à : navigation, rechercher

Les débuts du Moyen Âge

Quel est le droit appliqué par la population de l’Alsace, les Alesaciones, comme on les appelle à partir du début du VIIe siècle ? Plus encore que du fait des mutations des populations qui s’y sont établies, les Francs au nord de la Forêt de Haguenau, les Alamans au Sud, se superposant sans doute à la population gallo-romaine, la réponse a évolué avec les progrès de la recherche. Au tableau des ruptures brutales, provoquées par les peuples germaniques, capables de création juridique quoique frustes comme en témoigneraient leurs leges, succède celui des continuités de longue durée. Les leges des peuples germaniques sont pour une grande part rédigées par des juristes romains, et leur formalisation du droit coutumier « barbare » intègre un grand nombre de règles de ce « droit populaire romain » qui précède les grandes codifications de Justinien.

Les leges germaniques et l’Alsace

La ville de Bâle où se déroule le concile (1431-1449) – et où se fonde l’Université dans son sillage – va constituer pendant quelques décennies le centre de la recherche d’histoire du droit germanique. La découverte de la Germania de Tacite en 1450, imprimée sans retard donne le branle à la recherche et enflamme les imaginations nationales, qui diviseront aussi les clercs alsaciens, ainsi Wimpheling et Murner. De même, les leges des peuples germaniques sont redécouvertes dans les bibliothèques rhénanes, dont celles de Strasbourg, par le professeur de droit bâlois, Johannes Sichard qui les publie en 1528 et 1530. Elles sont devenues au cours des temps, et particulièrement à partir du XIXe siècle et de l’entreprise des Monumenta Germaniae Historica, un des champs de la recherche historique et juridique allemande. Celle-ci se donne des objectifs fort différents. La recherche contemporaine fait des codes des peuplades germaniques, que la toponymie et l’historiographie s’accorde à situer dans une Alsace aux confins encore flous, mais qui s’arrête au Rhin, des productions largement influencées par les juristes romains. Les lois franques (Salique et Ripuaire) sont codifiées entre 507 et 511, largement inspirées par l’Edictum Theoderici du nom du roi wisigoth Theoderic (v. 458/459), et du code contemporain du roi Eurich, Codex Euricianus (v. 475), rédigés par des gouverneurs romains pour les souverains germaniques. Les leges franques inspirent à leur tour une esquisse de Code Alaman, le « Pactus Alamanorum », datant du début du VIIe siècle, et appliqué par les Alamans du royaume mérovingien et donc aussi en Alsace. Ce Pactus dont on n’a que des fragments comprend le célèbre « tarif » des peines à appliquer pour les blessures subies par les victimes de la part des criminels. Mais il n’a été découvert qu’au XVIIIe siècle, et la lex Alamanorum publiée par Sichard et à nouveau par Johann Schilter en 1698 est une version rédigée sans doute par un moine de Reichenau vers 725. La plupart de ces textes sont des copies datant au plus tôt du VIIIe siècle, même si l’on admet qu’ils reflètent les règles coutumières en vigueur au VIe siècle.

Droit germanique : un droit populaire romain

Les rois mérovingiens se constituent un grand royaume en Gaule jusqu’aux bords du Rhin et assujettissent les Alamans ; ils établissent en Alsace un duché, fondent ou refondent plusieurs évêchés (Strasbourg, Bâle) et plusieurs abbayes importantes, dont celle de Murbach, qui sera un centre intellectuel important de l’époque mérovingienne puis carolingienne. Les codes francs et alamans reflètent les institutions d’une société guerrière et paysanne fruste et ne concernent que les hommes libres. La structure sociale de base est celle de la Sippe réunie par des liens de solidarité, qui doit protection et assistance à ses membres, exposés à la vengeance privée, la Fehde, qui s’exerce sur les hommes et les biens, l’agressé étant dédommagé par une indemnité ou Wergeld conformément à un tarif précis selon les mutilations ou les dommages subis, dont doit s’acquitter l’agresseur, de manière à maintenir la paix. La transaction est réglée par l’arbitrage d’hommes sages, les Rachineburgen ou Schöffen, dans l’assemblée de la communauté, appelée Ding ou Ting, faute de quoi s’exerce la Fehde. Le souci de maintenir la paix est le fil conducteur qui inspirera le droit populaire et coutumier des communautés, et s’exprimera tout au long du Moyen Âge (v. Dinghof, Dorfordnung). On ne croit cependant plus qu’on puisse assimiler la Sippe à une parentèle. Le Munt ou Mundium ou autorité du père de famille qui étend sa tutelle sur ses enfants, garçons et filles, et sa domesticité, Gesinde, ne prend ses contours précis qu’au Haut Moyen Âge, où il s’exprime aussi dans l’institution de la tutelle qui s’impose aux femmes, veuves et enfants mineurs, dans tout le droit de la famille appliqué en Alsace.

La recherche récente n’admet plus la théorie de la personnalité des droits qui aurait caractérisé les peuples germaniques, cohabitant avec des populations gallo-romaines. Elle a tendance à faire des leges germaniques une synthèse de droits coutumiers des nouveaux venus et de droit « vulgaire » romain, datant de la période précédant les codifications classiques de Justinien. Elle inspire aussi le droit foncier, avec la constitution de la precaria, donation à un puissant d’un bien-fonds qui est remis à la disposition du donataire qui s’est mis en commendatio sous la protection du puissant, lui devant aide et assistance en échange. Quand cette assistance inclut un service militaire, le bien-fonds prend le nom de beneficium qui comprend le droit de lever l’impôt et d’exercer la justice. On retrouve là les origines du système féodal. Ce bien-fonds, villa ou fisc royal, comprend domaine propre et exploitations familiales ou manses de divers statuts (libres, serviles, etc.) souvent regroupés en villages (vici).

Cet échange inclut aussi les dignités ecclésiastiques (Kroeschell).

Le « droit populaire romain » s’exprime avant tout dans les Formulaires ou recueils de textes modèles, de type notarial, rédigés par des moines des chancelleries des rois, évêques ou abbés mérovingiens. Ainsi, dans le plus célèbre de ces manuels, celui de Marculf, moine de la fin du VIIe siècle de Paris ou de Meaux, on trouvera des exemples de formulaires pour la nomination d’un évêque ou celle d’un comte, pour la passation de contrats, pour la constitution de dots, des ventes, ou encore pour l’affranchissement des esclaves.

L’époque carolingienne et l’Alsace

Peu à peu disparaissent auprès des rois les chancelleries mérovingiennes avec leurs cancelarii gallo-romains. L’Alsace, un pagus privilégié par les rois, qui y séjournent volontiers est confiée aux ducs issus de la dynastie des Etichonides (de 650 à 750 env.), qui multiplient les donations à des communautés religieuses bénédictines qu’ils fondent ou refondent : Wissembourg, Munster, Murbach, Hohenbourg etc. (V. Abbaye). Les Carolingiens sont absorbés par leurs guerres, entre autres contre le duché d’Alémanie, supprimé vers 746, et ne nomment pas de successeurs au duché d’Alsace. Ils reprennent la politique de donations massives de precariae verbo regis aux abbayes qu’ils privilégient comme relais de leur pouvoir. L’Alsace recèle une densité exceptionnelle d’abbayes, dont les abbés sont des auxiliaires assurés de la dynastie royale et impériale. L’abbé de Wissembourg est aussi évêque de Worms, longtemps résidence royale avant l’établissement à Aix-la-Chapelle. Charlemagne est abbé laïc de Murbach. C’est ainsi que les abbayes sont les foyers de la « renaissance carolingienne ». C’est à Wissembourg qu’est recopié le plus ancien exemplaire de la Lex Salica qui nous soit parvenue (v. 751-768). En Alsace, un moine de Murbach de la fin du VIIIe siècle compose une collection de formules inspirée de celle de Marculf (Formulae Morbacences) (LMA, Formelbücher, Nonn, 4, col. 648-649).

Les Carolingiens tiennent en effet à disposer de codes mis à jour. Charlemagne fait rédiger les leges des peuples conquis : les lois des Saxons, des Thuringiens, des Frisons, ou les fait mettre à jour : la lex Alamanorum.

Les évêques et moines coopèrent à la rédaction de ces grands capitulaires (v. Capitulaire), issus parfois de conciles, réunissant autour du roi, princes, évêques et abbés. La législation carolingienne se préoccupe de près de l’administration des biens fonciers ecclésiastiques (Décret du concile d’Estinnes 746, Capitulaire de Villis v. 800). Pour les Carolingiens, les donations aux abbayes ne peuvent pas être retournées telles quelles aux donateurs : il faut que les precariae acquittent un cens. Cette injonction semble particulièrement écoutée dans le nord de l’Alsace, à partir de la fin du VIIIe siècle (Wissembourg). Au sud (à Murbach, mais surtout à Saint-Gall, en Alémanie), elle semble avoir été suivie dès la première moitié du siècle et on s’est demandé si elle n’était pas en relations avec la suppression du duché d’Alémanie. La donation apparaît ainsi comme une mesure de protection devant les menaces de confiscation de la part du pouvoir royal. Le capitulaire Brevium Exempla ad describendas res ecclesiasticas (v. 800-817), recommande la confection d’inventaires de la fortune foncière des abbayes. Sont dressés alors deux types d’inventaires, le livre des donations ou Traditionsbuch, qui réunit les actes de donation et relève donc principalement la personne des donataires exploitants, et les polyptyques ou censiers, datant du IXe siècle, qui reprennent de façon exhaustive l’indication des tenures et de leurs charges. Ils prennent le nom d’urbaires ou Urbar quand ils sont résumés. Ainsi se met en place l’organisation institutionnelle, économique et sociale médiévale. Pourtant la législation carolingienne proprement dite tombe rapidement dans l’oubli.

Le partage de l’Empire carolingien

A la mort de Louis le Pieux (840), l’Empire carolingien est divisé. L’Alsace est d’abord attribuée à Lothaire, puis est disputée entre Carolingiens de Francie, de Germanie et de Lotharingie. En 925, le roi germanique Henri Ier rattache la Lotharingie au royaume puis à l’Empire germanique.

Bibliographie

DOLLINGER (Philippe), Histoire de l’Alsace, Toulouse, 1970.

LIVET (Georges), RAPP (Francis), Histoire de Strasbourg, T. I. Strasbourg, des origines à l’invasion des Huns ; T. II Strasbourg des grandes invasions au XVIe siècle, Strasbourg, 1981.

Lexikon des Mittelalters (1980-98).

VOGLER (Bernard), Nouvelle Histoire de l’Alsace, Toulouse, 2003.

HUMMER (Hans J.),Politics and Power in Early Medieval Europe, Alsace and the Frankish Realm, Cambridge, 2005.

KROESCHELL (Karl), Deutsche Rechtsgeschichte (I, bis 1250), 13e ed., Cologne, 2006.

Notices connexes

Droit de l'Alsace

Droit de l'Alsace (Moyen Age)

Droit de l'Alsace (Saint Empire romain germanique)

Droit de l'Alsace sous la monarchie française

Droit de l'Alsace (Révolution)

Droit de l'Alsace (Consulat et Empire)