Droit de l'Alsace (Consulat et Empire)

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La réorganisation judiciaire entreprise par les Consuls va de pair avec l’oeuvre de codification juridique. Avec la constitution de l’an VIII, puis les lois de pluviôse an VIII (17 février 1800) de ventôse an VIII (18 mars 1800), les Consuls rétablissent une hiérarchie judiciaire avec des juges de paix élus (puis à partir de l’an X, proposés) par les électeurs, des tribunaux civils (de première instance ou d’arrondissement) enfin des tribunaux d’appel. En 1804, ceux-ci seront appelées cours d’appel, en 1810 cours impériales, puis en 1814 cours royales. Des tribunaux criminels ou cours de justice criminelle, un par département, siègent au chef lieu, présidés par un des magistrats du tribunal d’appel : elles prendront à partir de 1810, le nom de cours d’assises. Les juges du tribunal civil constituent dans les arrondissements les tribunaux correctionnels. L’un de ces juges assure les fonctions de directeur du jury (V. Directeur).

Le tribunal d’appel puis Cour d’appel de Colmar

En principe, toutes les villes qui avaient été le siège d’une cour souveraine devaient être dotées d’un tribunal d’appel, avec un ressort s’étendant sur trois départements. Le ressort des tribunaux d’appel de l’Est, Metz, Nancy, Colmar, Besançon est celui de leur ancienne cour souveraine. A Colmar, les juges sont en grande majorité des juristes qui ont passé par le Conseil souverain, comme conseillers (le président Schirmer et le conseiller Salomon), ou comme avoués ou avocats comme le commissaire du gouvernement, futur procureur général, Antonin ou Bavelair, ou anciens baillis comme Wicka, Mathieu de Heidolsheim. André Sandherr a été le fondé de pouvoir du duc du Wurtemberg, prince de Montbéliard.

La codification

Le 24 thermidor an VIII (12 août 1800), le Premier Consul Bonaparte crée la commission de rédaction du Code civil chargée de reprendre les projets déjà discutés par les Assemblées révolutionnaires et, en dernier lieu, par le Conseil des Cinq-Cents. Elle remet son projet en brumaire an IX. Il est alors communiqué aux tribunaux d’appel ainsi qu’au tribunal de cassation pour leurs observations, puis au Conseil d’Etat. Débute alors la navette avec les Assemblées législatives qui adoptent les lois réunies ensuite en code. On a recours à cette procédure pour les codifications ultérieures : Code criminel (1804 ; promulgué en 1810, sous le nom de Code pénal), Code de procédure civile (1803-1804 promulgué en 1806), Code de commerce (1807) et Code d’instruction criminelle (1808).

Observations des tribunaux d’appel sur le projet de Code civil. Partie 3 – Imp. de la République (Paris) – 1800-1801. Observations des cours d’appel sur le projet de Code de procédure civile – A Paris : de l’imprimerie impériale, Fructidor an XII (1803-1804). Contient les observations des cours d’appels suivantes : vol. 1. : Agen, Aix, Amiens, Angers, Besançon, Bordeaux, Bruxelles, Caen, Colmar, Dijon, Douai, Grenoble, Liège, Limoges, Lyon. vol. 2. : Metz, Montpellier, Nancy, Nîmes, Orléans, Pau, Poitiers, Rennes, Riom, Rouen, Toulouse, Trèves, Turin.

Observations des tribunaux d’appel sur le projet de Code criminel, Tome 1 – Impr. impériale (Paris) – 1804.

Parmi les observations formulées par le tribunal de Colmar, on relèvera la réserve – prudente – qu’il émet sur la rédaction des articles CC 1394 et 1395, qui prescrivent que la convention matrimoniale est rédigée devant notaire avant la célébration du mariage et ne peut plus être changée après, ce qui était contraire à la coutume de la province d’Alsace. Le tribunal d’appel se demande en effet si en cas d’absence de contrat et alors que la communauté légale s’impose nécessairement, l’on pourrait passer contrat après le mariage.

Arrêts notables de la Cour de Colmar

Signe des temps et volonté de s’assurer que nul n’ignore la nouvelle législation : la Cour de Colmar rend publique ses « arrêts notables » dans un « Journal de jurisprudence ou recueil des arrêts notables de la Cour d’appel séant à Colmar » qui paraît tous les ans à partir de 1806. On y imprime aussi les grands arrêts de la Cour de Cassation. Nombre d’arrêts du tribunal et de la Cour de Colmar se réfèrent aux articles du Code civil désormais illustrés par l’application à un litige judiciaire.

Retenons parmi les arrêts notables ceux qui concernent la liquidation de la Révolution et l’abolition de la féodalité. Sous le Directoire, se produisent un grand nombre de litiges. Les anciens seigneurs réclament le versement des rentes de leurs domaines avec leurs arriérés. Mais les Domaines, nouveaux propriétaires de biens nationaux non encore vendus, sont également en cause. Il faut ainsi opérer le tri entre les rentes féodales, abolies par les lois de 1790 et de 1793, et les rentes foncières ou réelles qui sont maintenues. Les plus éminents jurisconsultes sont appelés à la barre.

En 1805, un grand nombre d’arrêts opposent des communes aux Domaines au sujet de forêts seigneuriales que l’Etat s’est appropriées à tort. Est en cause l’interprétation des lois du 20 septembre 1790 et du 28 août 1792, relatives aux transactions passées entre seigneurs et communautés portant sur les communaux, essentiellement les forêts. Elles autorisent les communes à revendiquer la possession de biens ou de droits d’usage dont elles auraient été dépouillées par les seigneurs à l’occasion d’un cantonnement, sauf à ces derniers à présenter un titre légitime et à s’appuyer sur une convention entre les parties. Sont souvent contestés les arbitrages rendus en faveur des communes en l’absence de nobles émigrés. Ainsi de ceux qui concernent les forêts de Réguisheim que la commune estime être sa propriété, mais qui sont revendiquées par Voyer d’Argenson au nom de sa femme Sophie de Rosen, veuve remariée de Victor de Broglie, député d’Alsace à la Constituante, mort sur l’échafaud en 1794. Ces forêts ont fait partie de la seigneurie de Bollwiller, achetée aux Morimont en 1555, et passé entre-temps aux Fugger puis aux Rosen. Or en 1549, un arbitrage entre les Morimont et la communauté de Réguisheim avait cité la forêt comme étant à « ceux de Réguisheim », alors que les Rosen l’estiment comprise dans la vente de 1555, où elle n’avait cependant pas été expressément citée. Un arbitrage de 1752 avait partagé la forêt et débouté la communauté de toutes prétentions allant au-delà de la part qu’elle avait reçue. En 1789, les paysans avaient « saccagé » les cantons forestiers du député de la noblesse, ce qui avait entraîné la condamnation de la commune. Voyer, défendu par Raspieler, s’était pourvu contre un arbitrage de l’an II qui accordait toute la forêt à la commune, rendu alors que Victor de Broglie était en prison à Gray avant de monter sur l’échafaud, puis contre un jugement du tribunal de Colmar qui validait l’arbitrage. La Cour d’appel estime que la copie de l’acte de vente de 1555 est bonne ; sa traduction avait été l’oeuvre de secrétaires-interprètes du Conseil souverain en 1745 et 1752, et elle était citée dans l’Alsatia Illustrata de Schoepflin. Aucune mention n’y était faite de la forêt qui, à la suite de l’arbitrage de 1549, pouvait donc être considérée comme ne faisant pas partie de la vente. Et la mention de l’arbitrage figurait dans le répertoire des archives du marquisat de Bollwiller. La Cour d’appel s’appuie donc sur la loi du 28 août 1792, aux termes de laquelle « les communes qui justifieront avoir anciennement possédé des biens ou usages quelconques, dont elles auraient été dépouillées en totalité ou en partie par de ci-devant seigneurs, pourront se faire réintégrer dans la propriété desdits biens… à moins que les seigneurs ne produisent un acte authentique qui constate qu’ils ont acheté légitimement lesdits biens ». Elle déboute donc Voyer, et la commune reste propriétaire de l’ensemble de sa forêt (Maire de Reguisheim c/ Voyer d’Argenson, 10 frimaire an XIII – 1er décembre 1804. Jurisprudence Colmar, 1805, p 272 et suivantes).

Les litiges qui opposent communes et anciens seigneurs en nullité de cantonnements sont fréquents et ne donnent pas toujours raison aux communes. Ainsi du cantonnement opéré pour la forêt de Bootzheim entre les Rathsamhausen et la commune sur la base d’un jugement arbitral de l’évêque de Bâle en 1629 qui détermine la valeur des droits d’usage confirmé encore par jugement du Directoire de la noblesse de Basse-Alsace (1775), et arrêt du Conseil souverain (1778). Le conseil du roi prononce le cantonnement et divise la forêt en deux parties en 1784. En 1790, la commune demande l’annulation de ce cantonnement, puis abandonne le procès et est condamnée pour troubles de possession à l’encontre de la famille Rathsamhausen. Une nouvelle instance est introduite par la commune devant le tribunal de Barr, qui la déboute. Elle fait appel. La Cour d’appel arrête que les jugements opérés en 1629, 1775, 1778, par des juridictions alors régulières et non d’exception, montrent suffisamment qu’il y avait accord entre les parties sur la transaction et non abus de la puissance féodale et déboute la commune (Colmar 12 fructidor an XIII – 30 août 1805, Maire de Bootzheim c/Justine Nardin, veuve Conrad Rathsamhausen, Rohrschwihr, et Françoise Gayl, veuve Philippe-Auguste Wolfgang Rathsamhausen, Strasbourg, Jurisprudence Colmar 1805, p. 284 et suiv.). L’issue du procès qui oppose la commune de Grandvillars au Préfet du Haut-Rhin, substitué au seigneur Pézeux, émigré et dont les biens ont été nationalisés, est différente. La commune obtient la nullité d’un cantonnement opéré en 1774 par le Conseil du Roi au profit du seigneur Pézeux, révisant un cantonnement antérieur opéré par un arrêté de la Régence d’Ensisheim en 1626. Le 11 juin 1793, le tribunal de Belfort avait annulé ce cantonnement de 1774. Le préfet au nom des Domaines fait appel. La Cour arrête par arrêt préparatoire que le cantonnement avait été « lésionnaire », l’annule et désigne de nouveaux commissaires pour l’évaluation des forêts en cause (2 frimaire an XIV – 23 novembre 1805, Préfet du Haut-Rhin c/ maire de la commune de Grandvillars. Jurisprudence Colmar, 1805, p. 291 et suivantes).

L’arrêt Préfet du Haut-Rhin c/maire de Lautenbachzell met encore le préfet en porte-à-faux. La commune de Lautenbachzell s’est pourvue en appel contre un jugement de Colmar qui l’a déboutée d’une réclamation sur « terres vagues et vaines » de son ban. Les titres produits par le préfet montrent que le Hang tout comme leHoffrieth n’avaient pas ce caractère, mais portaient l’une et l’autre, au milieu de leur pâturage, bâtiments de ferme et enclos comme en témoignaient un urbaire de 1550, et des baux de 1716 et de 1783. La commune est donc à nouveau déboutée, mais le préfet doit prendre sa part des dépens pour avoir soumis ces titres trop tard, alors qu’il aurait pu décourager la commune d’entreprendre ce procès (10 Fructidor an XII – 28 août 1804, Préfet du Haut-Rhin c/Maire de Lautenbachzell Jurisprudence Colmar 1805, p. 295 et suiv.).

La loi du 28 août 1792 abolit tous les droits féodaux ou censuels sans indemnité, sauf à produire un bail à cens, établissant le caractère réel du bail et du cens. La loi du 17 juillet 1793 confirme cette loi et précise : sont exceptées les rentes ou prestations purement foncières et non féodales. La Cour de Colmar va prendre sa part dans l’élaboration de la jurisprudence longtemps hésitante sur la qualification de la féodalité. La rente est-elle féodale du fait de la personne du bailleur ? C’est un critère admis pour les pays où s’applique la maxime « nulle terre sans seigneur ». Encore faut-il que le bailleur ait été seigneur du lieu. La Cour se prononce le 13 fructidor an X – 28 août 1802 par un arrêt qui oppose de nombreux Colmariens à la famille Clebsattel, bailleur d’une maison dite Niederhof de Colmar et des rentes qui y sont attachées. Dès 1792, ces Colmariens, menés par Antoine Richert, refusent le versement de leurs rentes, en soutenant qu’étant féodales, elles sont annulées. Antoine Richert, représenté par Chauffour cadet, avocat, plaide que le premier propriétaire de ce domaine a été l’église de Constance qui l’avait reçue de Pépin roi d’Aquitaine, à la fin du IXe siècle, comme un témoigne un titre publié par l’Alsatia Illustrata. Mais l’église de Constance (pas plus que leurs successeurs, les Clebsattel) n’a jamais été seigneur à Colmar, et donc les rentes qui lui étaient dues n’étaient pas féodales. Pour la Cour, les rentes dues pour le Niederhof sont foncières, et les Colmariens doivent donc s’en acquitter.

Le bail comprend-il des éléments caractéristiques de la féodalité ?

Le Journal de Jurisprudence publie un arrêt de la Cour de cassation, portant sur une institution alsacienne qui va encore faire couler beaucoup d’encre dans les décennies suivantes : la colonge ou Dinghof. Schauenbourg de Herlisheim, qui n’a jamais été seigneur à Ammerschwihr, mais possesseur de différentes rentes de la colonge dite de Meywihr, située à Ammerschwihr, se heurte au refus des censitaires de payer leurs rentes, soutenant qu’elles étaient féodales. Le tribunal civil de Colmar s’estime compétent en premier et dernier ressort, la rente de chacun des débiteurs ne dépassant pas 50 F. et confirme. Cassation de ce jugement, le tribunal aurait dû tenir compte de la totalité de la rente d’un « Dinghof ». Schauenbourg reprend le procès devant le tribunal d’appel de Colmar. Les avocats de Schauenbourg produisent la définition de la colonge donnée par Chrétien-Guillaume Koch (alors membre du Tribunat), dans son « Traité sur la nature des biens ruraux dans les deux départements du Rhin, ci-devant province d’Alsace ». Pour Koch, c’est « un contrat par lequel un propriétaire répartit un corps de biens considérables entre plusieurs preneurs, moyennant un canon annuel modique, en se réservant la faculté de faire juger les différends qui s’élèveraient entre eux à raison de ces fonds par le bailleur comme président et par les preneurs comme assesseurs ». L’essence de la colonge ou Dinghof se ramène à 1) le bail et la rente payée au bailleur 2) le droit de justice colongère exercée conjointement par le bailleur et les preneurs. Cette justice arbitrale qui trouve son origine dans le droit germanique a été supprimée par le nouvel ordre des choses, mais le bail a été maintenu comme bail héréditaire, ou rente répétée ». Les compétences judiciaires : voilà qui « entachait » la colonge de féodalité. Dans son mémoire, Koch insiste : la justice est purement arbitrale. Les appelants, par contre, soulignent l’existence de cette justice, car la colonge avait un prévôt et un sergent, indices de son caractère féodal et soutiennent que la rente colongère comprenait la « directe ». Schauenbourg n’a jamais été seigneur à Ammerschwihr, prévôt et sergent n’ont jamais édicté de sentence, et pour le renouvellement du bail (collectif) de 1710 il avait été fait appel aux bailli et sergents d’Ammerschwihr, soutiennent ses avocats. Le tribunal d’appel de Colmar, juge la rente foncière et non féodale le 21 pluviôse an X (10 février 1802). Les colongers se pourvoient en cassation. Les rapporteurs (et le procureur général de la Cour de Cassation Merlin de Douai) suivent intégralement l’avis des avocats et consultants de Schauenbourg et la Cour de cassation confirme l’arrêt de Colmar le 26 pluviôse an XI (15 février 1803, Jurisprudence Colmar 1805, p. 528 et s.). Le décret impérial du 8 vendémiaire an XIII (30 septembre 1804) s’était rangé à cette doctrine en arrêtant : dans les pays de franc-alleu, les baux sont présumés fonciers. La jurisprudence de la Cour de Cassation se fonde ainsi pour la qualification d’un bail sur trois critères : la présomption de féodalité ou d’allodialité de la coutume du pays, soit terre de féodalité où « nulle terre n’est sans seigneur », ou d’allodialité où « il n’est nul seigneur sans titre ». En second lieu, il importe que le bailleur soit un seigneur et qu’il ait donné la terre contre fidélité et hommage. Cependant, le troisième critère qui permet ou non de qualifier un bail de féodal, celui qui réserve la propriété ultime ou directe au seigneur et se manifeste par un droit sur la mutation, le laudème (ou lods), le droit de reprise en cas de mutation ou de commise, ne suffit pas, car c’est également la qualité d’une emphytéose de droit romain. C’est dans ce sens aussi que tranche la Cour de Cassation pour les baux de l’évêché de Bâle transférés aux Domaines nationaux qu’elle juge fonciers et non féodaux (Cass. 18 février 1806). Et nombre d’arrêts de Colmar vont dans le même sens. Pourtant le 30 pluviôse an XI (19 février 1803 Jurisprudence Colmar 1805, p. 530) le Conseil d’Etat arrête : toutes prestations, de quelque nature qu’elles puissent être, établies par des titres constitutifs de rente seigneuriale et droits féodaux supprimés par le décret du 17 juillet 1793, ont été pareillement supprimés… ». Et le décret du 6 fructidor an XIII (24 août 1805) qui insiste sur « la ferme volonté de maintenir dans toute leur étendue les lois qui ont prononcé l’abolition du régime féodal », arrête que dans les départements du Haut et du Bas-Rhin, les « détenteurs de biens en vertu de baux dénommés baux héréditaires ou baux emphytéotiques héréditaires ou héritables sont propriétaires ». Il y avait donc conflit de juridictions. Le décret impérial du 8 avril 1809 met fin à ces hésitations. Il arrête que « les emphytéoses existant dans le ci-devant évêché de Bâle et le pays de Porrentruy, consenties par les bailleurs à titre de fiefs … avec réserve de lods et vente à chaque mutation… sont comprises dans l’abolition de la féodalité (Merlin, Répertoire, Fief, p. 247).

Beaucoup plus claires, les questions de droit d’eaux ! Sous l’Ancien Régime, seuls les seigneurs peuvent concéder des droits d’eaux. Le 14 juin 1806, la Cour casse le jugement du tribunal de Barr, qui qualifiait de réelle une rente de 1725 pour concession de moulin à Niedernai. Landsberg, seigneur du lieu, non-émigrant, n’avait plus réclamé ses canons depuis les débuts de la Révolution. Il y revient en l’an VII, en réclamant en outre les arriérés. Refus du meunier qui estime que la rente est féodale et supprimée depuis les lois de 1792 et de 1793. Après avoir été condamné en première instance, le meunier porte l’affaire devant la Cour d’appel. Le bail porte sur une concession de fonds mais avec un loyer si fort qu’à l’évidence un droit d’eau est compris. Dans un arrêt préparatoire du 6 frimaire an XI (27/11/1802), le tribunal d’appel juge qu’il convient de faire la « ventilation » de ce qui est féodal et réel dans la cause de la rente et ordonne la fixation d’une nouvelle rente conforme à l’évaluation du réel. Puis suivant l’avis du Conseil d’Etat du 30 pluviôse an XI et les arrêts de la Cour de cassation du 5 germinal an XIII (26/04/1805), la Cour d’appel casse par arrêt définitif le jugement de Barr et annule le bail de 1725. La loi du 17 juillet 1793 a supprimé en effet toutes les rentes féodales mais aussi les rentes réelles contenues dans les actes entachés de féodalité (Veuve Reinhart de Niedernai et son tuteur c/ Landsberg seigneur du lieu, 14 juin 1806 ; Jurisprudence 1807, p. 303 et suiv. ). Même décision à l’encontre d’Anthès : « On ne peut exiger une rente même foncière, si elle participe en la moindre chose de la féodalité » avait arrêté le tribunal saisi d’un bail où le droit d’eau était mentionné (17 germinal an X (7/04/1802), Sieur d’Anthès c/ Wissenhoffer de Nambsheim. Anthès débouté.Jurisprudence Colmar 1807, p. 310 et suiv.).

Cette jurisprudence s’applique aussi à l’Etat. Le 16 fructidor an III (2/9/1795), défense est faite aux tribunaux de connaître des actes d’administration, et la loi du 28 pluviôse an VIII (17/2/1800) le rappelle : le conseil de préfecture prononcera sur contentieux des biens nationaux. Pourtant le décret impérial du 14 mars 1808 autorise les tribunaux à se prononcer sur le caractère féodal ou non d’une rente transférée. L’administration des domaines avait en effet prononcé le transfert à des particuliers de rentes – souvent pillées – qu’elle estimait réelles alors que nombre de propriétaires avaient cessé de les payer les pensant féodales. C’est le cas en 1812, où l’acheteur de la rente emphytéotique du moulin de Lupstein, concédé en 1663 par l’évêque de Strasbourg, avec le droit de corvée pour construire le moulin, puis le droit de banalité et de cours d’eau sur Lupstein, Ingenheim, Maennolshiem, Saessolsheim, Leutenheim, avait réclamé au meunier les canons de cette rente. Le tribunal de Saverne avait jugé féodal ce bail emphytéotique. Le préfet du Bas-Rhin fait appel. La Cour s’appuyant au surplus sur le fait que l’emphytéose est perpétuelle et qu’elle porte aussi sur un cours d’eau ce qui est éminemment féodal, arrête que le tribunal avait bien jugé et rejette l’appel (Ramspacher, meunier à Lupstein c/ préfet du Bas-Rhin 28/2/1812. Jurisprudence 1812 p. 85). Le tribunal de Strasbourg avait pourtant suivi les conclusions des Domaines pour le moulin de Rohr donné à bail par l’évêque de Strasbourg en 1539 et condamné son possesseur à payer les canons du bail emphytéotique. La Cour juge que le fonds et l’eau étaient féodales et que la rente était dès lors inexistante (Kapp meunier à Rohr c/Strohmeyer, marchand à Strasbourg, 18/12/1811, Jurisprudence 1812, p. 3). Il appartient aux porteurs de ces rentes de se pourvoir en Conseil de préfecture pour indemnisation de cet achat de titres de rentes inexistantes.

Journal de jurisprudence civile et commerciale, ou Recueil des arrêts notables de la Cour d’appel, séant à Colmar, Colmar, 1805 et ss.

MERLIN (Philippe-Antoine), Recueil alphabétique des questions de droit qui se présentent le plus fréquemment dans les tribunaux. Tome 2, 4e éd., revue, corrigée et considérablement augmentée, 1827-1833 (BNF, Gallica).

La publication des lois

Sous l’Ancien Régime, la loi édictée par le pouvoir souverain était censée avoir été publiée et être applicable dès que les tribunaux (et en premier lieu les Cours souveraines) l’avaient enregistrée. Voilà qui est, en général, admis en Alsace comme en témoignent les statutaires et les manuels. Pourtant le Conseil souverain applique des ordonnances ou des parties d’ordonnances qu’il n’a pas enregistrées. Mais cette règle n’est pas celle d’autres généralités où l’on exige la publication dans les bailliages.

Un décret de novembre 1789 donne la définition de la promulgation par le pouvoir exécutif des lois qui doivent désormais être exécutées, aussitôt qu’elles parviennent et sont enregistrées par les tribunaux, corps administratifs et municipalités, à charge pour elles de les transcrire, et de les faire afficher. Elles sont applicables dès que ces formalités sont remplies.

Ce mode de publication est changé par la Convention nationale (14 frimaire an II/4 décembre 1793) qui décide que les lois seront imprimées dans un bulletin numéroté, qui servira de notification aux autorités constituées, le Bulletin des lois. Dans chaque localité, la loi doit être rendue publique à son de trompe et de tambour et deviendra obligatoire à partir de ce jour.

Sous le Directoire, une nouvelle loi précise que « les lois seront applicables au jour où le Bulletin officiel où (elles) sont contenues sera distribué au chef lieu du département et que ce jour sera constaté par un registre tenu par les administrateurs ». Selon la Constitution de l’an VIII, la loi est applicable au dixième jour après son adoption par le Corps Législatif, délai dans lequel elle est présumée connue de tous. L’art. Ier du Code civil précise encore : « la loi est applicable le jour qui suit la promulgation à Paris plus autant de jours qu’il y aura de fois 10 myriamètres (100 km) qui séparent Paris des chefs-lieux de département ». Cette disposition est interprétée par le loi du 27 novembre 1816 qui prescrit : « la loi est promulguée par son insertion dans le Bulletin des lois et applicable un jour franc après l’enregistrement de la réception dudit bulletin par le ministre de la justice ». L’application dans les départements est soumise aux règles de distance fixées par le Code civil.

MERLIN (Philippe-Antoine), Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, 1812.

La langue des actes publics

Sous l’Ancien Régime, l’édit de 1685 imposait l’usage du français pour tous les actes de procédure devant le Conseil souverain, mais cet arrêt n’était pas respecté. La publication bilingue français-allemand des règlements publics apparaît dès le XVIIIe siècle. Le Conseil souverain rapporte que « l’Intendant et la Commission intermédiaire avaient fait traduire et imprimer les décrets de l’Assemblée nationale pour être envoyés et être distribués dans toutes les communautés de la province » (F. Brunot IX, p. 25). Le 14 janvier 1790, la Constituante décrète que les lois seront traduites dans les différents idiomes usités en France et les traductions (en allemand, en italien, catalan, basque et breton) envoyées dans les provinces qu’elles concernent. Des bureaux de traduction sont mis en place (Assemblée, ministère de la Justice, ministère de la Guerre). La décision ne semble pas avoir été appliquée tout de suite (Brunot, Lévy), mais à partir de l’an IV et jusqu’à l’an IX, est publié à Paris un Bulletin des lois, bilingue, à l’imprimerie de la République, « gedruckt zu Paris, in der Druckerei der Republik » (C. Betzinger). C’est au niveau local que s’ancre la pratique du bilinguisme administratif et dès 1789, les administrateurs des deux départements ainsi que ceux de la Moselle décident de la publication bilingue des lois et règlements. A la formule nationale : « mandons à tous les Tribunaux, Corps administratifs et municipalités que les présentes, ils fassent transcrire sur leurs registres, lire, publier et afficher dans leurs ressorts et départements respectifs » répond la formule locale « ladite loi sera transcrite sur les registres, imprimée dans les deux langues, lue, publiée et affichée … ». (ABR 133 L 1 – Paul Lévy, II, p. 25). Le texte bilingue est imprimé, pour les textes courts, sur un recto-verso, ou sur un « 4 pages », textes français sur les deux premières, texte allemand sur les deux suivantes ou encore, quand il s’agit d’affiches sur feuille complète, en double colonnage, colonne française à gauche, allemande à droite. Les caractères gothiques sont utilisés pour le texte allemand ; ils seront remplacés par des caractères romains ultérieurement. Tout comme le recours aux deux langues pour les débats des assemblées et bureaux des collectivités publiques (ainsi que ceux des clubs des jacobins) le bilinguisme administratif se maintient jusqu’en 1870, quelles que soient les proclamations enflammées d’hostilité à la langue de « la servitude » – l’allemand – : le pragmatisme administratif s’impose. Pourtant, le décret du 2 thermidor an II (20 juillet 1794) prescrit « nul acte public ne pourra être écrit qu’en langue française », ce qui suscite les protestations des députés alsaciens. La disposition est suspendue dès le 16 fructidor an II (19 août 1794). Si un certain nombre de décrets de représentants en mission imposent de façon comminatoire l’usage du français, les administrations départementales continuent de décider la traduction et la publication, des textes de lois dans les deux langues. Ainsi un « Bulletin des lois, imprimé à Strasbourg, avec traduction allemande » paraît à compter du 22 prairial an II.

Le premier « recueil » départemental, le « Bulletin officiel du département du Bas-Rhin » paraît en frimaire an VIII (novembre 1799) et publie la Constitution de l’an VIII, assortie de la formule « l’administration centrale du département arrête que la Constitution et la loi seront sur le champ traduites et imprimées dans les deux langues et envoyées aux communes ». Le premier volume met encore face à face, page à page, le texte français et le texte allemand. Le troisième volume (an X) passe au double colonnage sur une même page, texte français à gauche et allemand à droite, qui sera désormais de règle. La législation nationale n’enregistre de nouvelle disposition que le 25 prairial an XI (14 juin 1803) : « Art 1. Dans un an à compter de la publication du présent arrêté, les actes publics dans les départements de la ci-devant Belgique, dans ceux de la rive gauche du Rhin (et dans les départements italiens), et dans les autres où l’usage de dresser lesdits actes dans la langue de ces pays se serait maintenu, devront tous être rédigés en langue française. Art. 2. Pourront néanmoins les officiers publics dans les pays énoncés au précédent article, écrire à mi-marge de la minute française la traduction en idiome du pays lorsqu’ils seront requis par les parties ».

C’était consacrer la pratique alsacienne du double colonnage des publications officielles. Les départements allemands du Grand Empire s’étant multipliés, plusieurs décrets admettent les deux langues (allemandes et italiennes) pour les actes publics et privés, à condition cependant que soit fournie une traduction française établie par un traducteur juré (V. Interprète).

La question s’était posée dès les premiers temps du Code civil de savoir comment appliquer l’article 972 CC qui prescrit : « Si le testament est reçu par deux notaires, il leur est dicté par le testateur et il doit être écrit par l’un de ces notaires, tel qu’il est dicté ». La jurisprudence se concentre sur cette dictée. Le testament, acte public doit donc être rédigé en français. Mais en Alsace, comme dans d’autres départements de l’Empire, les testateurs dictaient souvent dans une langue « étrangère ». Suivant la jurisprudence de la Cour de Cassation (Bruxelles 1806), la Cour d’appel de Colmar décide qu’est valable le testament dicté en allemand, devant des témoins ne connaissant que l’allemand et transcrit sur le champ en français par le notaire, texte français et interprétation ayant été lus au testateur qui a signifié qu’il les approuvait. (Ubersaal c/Hasslauer, 8/12/1809). Le notaire avait alors fait office d’interprète officiel. C’était d’ailleurs conforme à la jurisprudence de l’ancien Conseil souverain, qui cependant annulait les testaments dictés à des notaires ne sachant pas l’allemand et traduits par leurs clercs.

Sources - Bibliographie

ABR – 133 L 1 – Collection factice des lois et décrets, imprimés à Strasbourg, avec traduction allemande 6 août 1791 – 23 germinal an II.

ABR – 133 L 2. Collection de pièces – lettres patentes, lois, décrets, délibérations et arrêtés, circulaires et instructions ; imprimés à Paris et à Strasbourg et groupés par matières 1789 – an VII.

Bulletin officiel du département du Bas-Rhin, 1799 et s.

MERLIN, Répertoire, T.8, art. Langue française.

Jurisprudence de la Cour de Colmar 1811, p. 67 et s.

BRUNOT (Ferdinand),Histoire de la langue française, des origines à 1900 ; 9, 1-2, La Révolution et l’Empire. Le français, langue nationale, Paris, 1927-1937.

LEVY (Paul), Histoire linguistique d’Alsace et de Lorraine, Strasbourg, 1929.

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François Igersheim