Domesticité rurale (valet de labour ou de ferme) : Différence entre versions

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En dehors de quelques livres de raison qui consignent les contrats d’engagement ou le montant et la composition des gages des valets de ferme et à l’exception des archives judiciaires qui témoignent de leur existence, les domestiques de la campagne constituent un groupe social plus difficile à cerner que celui de la domesticité urbaine : du fait de leur analphabétisme, de leur mobilité géographique et du silence ou de l’absence des sources (fiscales, notariales ou réglementaires). Il s’agit d’un salariat théoriquement permanent, contrairement à celui qui caractérise le journalier ou manouvrier, avec lequel on le confond souvent et qui est un salarié occasionnel.
 
En dehors de quelques livres de raison qui consignent les contrats d’engagement ou le montant et la composition des gages des valets de ferme et à l’exception des archives judiciaires qui témoignent de leur existence, les domestiques de la campagne constituent un groupe social plus difficile à cerner que celui de la domesticité urbaine : du fait de leur analphabétisme, de leur mobilité géographique et du silence ou de l’absence des sources (fiscales, notariales ou réglementaires). Il s’agit d’un salariat théoriquement permanent, contrairement à celui qui caractérise le journalier ou manouvrier, avec lequel on le confond souvent et qui est un salarié occasionnel.
  
Or, au XVIII<sup>e</sup> siècle, période pour laquelle nous disposons d’un maximum de renseignements, un Alsacien sur dix et un actif sur cinq vivent dans l’état de domesticité à la campagne (entre 1-2 et 5-10 valets et servantes par exploitation embauchant des domestiques). La baisse du taux de domesticité, surtout à partir de la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, n’exclut pas la persistance d’une traditionnelle concentration au niveau des exploitations les plus importantes, ce qui traduit, dans le contexte d’une agriculture à faible technicité occupant de nombreux bras, une corrélation fondamentale entre l’importance de la ferme ([[Hof|''Hof'']]) et l’abondance de la main-d’oeuvre employée.
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Or, au XVIII<sup>e</sup> siècle, période pour laquelle nous disposons d’un maximum de renseignements, un Alsacien sur dix et un actif sur cinq vivent dans l’état de domesticité à la campagne (entre 1-2 et 5-10 valets et servantes par exploitation embauchant des domestiques). La baisse du taux de domesticité, surtout à partir de la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, n’exclut pas la persistance d’une traditionnelle concentration au niveau des exploitations les plus importantes, ce qui traduit, dans le contexte d’une agriculture à faible technicité occupant de nombreux bras, une corrélation fondamentale entre l’importance de la ferme ([[Hof_(ferme,_exploitation_agricole)|''Hof'']]) et l’abondance de la main-d’oeuvre employée.
  
 
La distinction par sexes s’impose d’emblée. Le domaine de la servante ([[Magd|''Magd'']]) couvre les tâches domestiques (ménage, lavage, filage de la laine ou du chanvre), les soins de la basse-cour ou de l’étable, en particulier en ce qui concerne le conditionnement du lait (traite, barattage, fabrication du fromage), occasionnellement certaines activités champêtres (fenaison, moisson, vendanges). Quant au valet de ferme ([[Knecht|''Knecht'']]), il s’occupe des gros travaux (labour, battage, charrois, soins des bovins et des chevaux). On assiste donc à une spécialisation des tâches, avec une évolution vers une relative féminisation, l’embauche des femmes se révélant moins onéreuse que celle des hommes.
 
La distinction par sexes s’impose d’emblée. Le domaine de la servante ([[Magd|''Magd'']]) couvre les tâches domestiques (ménage, lavage, filage de la laine ou du chanvre), les soins de la basse-cour ou de l’étable, en particulier en ce qui concerne le conditionnement du lait (traite, barattage, fabrication du fromage), occasionnellement certaines activités champêtres (fenaison, moisson, vendanges). Quant au valet de ferme ([[Knecht|''Knecht'']]), il s’occupe des gros travaux (labour, battage, charrois, soins des bovins et des chevaux). On assiste donc à une spécialisation des tâches, avec une évolution vers une relative féminisation, l’embauche des femmes se révélant moins onéreuse que celle des hommes.
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Version actuelle datée du 12 octobre 2021 à 11:44

Knecht-AckerknechtMagd, servante, valet

En dehors de quelques livres de raison qui consignent les contrats d’engagement ou le montant et la composition des gages des valets de ferme et à l’exception des archives judiciaires qui témoignent de leur existence, les domestiques de la campagne constituent un groupe social plus difficile à cerner que celui de la domesticité urbaine : du fait de leur analphabétisme, de leur mobilité géographique et du silence ou de l’absence des sources (fiscales, notariales ou réglementaires). Il s’agit d’un salariat théoriquement permanent, contrairement à celui qui caractérise le journalier ou manouvrier, avec lequel on le confond souvent et qui est un salarié occasionnel.

Or, au XVIIIe siècle, période pour laquelle nous disposons d’un maximum de renseignements, un Alsacien sur dix et un actif sur cinq vivent dans l’état de domesticité à la campagne (entre 1-2 et 5-10 valets et servantes par exploitation embauchant des domestiques). La baisse du taux de domesticité, surtout à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, n’exclut pas la persistance d’une traditionnelle concentration au niveau des exploitations les plus importantes, ce qui traduit, dans le contexte d’une agriculture à faible technicité occupant de nombreux bras, une corrélation fondamentale entre l’importance de la ferme (Hof) et l’abondance de la main-d’oeuvre employée.

La distinction par sexes s’impose d’emblée. Le domaine de la servante (Magd) couvre les tâches domestiques (ménage, lavage, filage de la laine ou du chanvre), les soins de la basse-cour ou de l’étable, en particulier en ce qui concerne le conditionnement du lait (traite, barattage, fabrication du fromage), occasionnellement certaines activités champêtres (fenaison, moisson, vendanges). Quant au valet de ferme (Knecht), il s’occupe des gros travaux (labour, battage, charrois, soins des bovins et des chevaux). On assiste donc à une spécialisation des tâches, avec une évolution vers une relative féminisation, l’embauche des femmes se révélant moins onéreuse que celle des hommes.

En dépit de ce que suggère, pour la région de Bouxwiller, le tableau de Charles François Marchal intitulé « La Foire aux servantes » (1864), l’engagement oral de gré à gré semble l’emporter en Alsace sur la traditionnelle louée publique lors des foires ou des fêtes villageoises. Les règles coutumières imposent une embauche annuelle, renouvelée ou non à la Saint-Etienne, jour où le domestique, à moins d’être reconduit, est invité, muni de son ballot (d’où le nom de Bündelestag, journée du balluchon), à changer de maître. Il arrive néanmoins à certains d’entre eux de muter plusieurs fois par an.

La domesticité rurale revêt trois caractéristiques essentielles : une forte mobilité, une relative jeunesse souvent associée à l’état de célibat, enfin un appréciable sentiment de sécurité tempéré par une réelle dépendance et un penchant prononcé pour la hiérarchisation des statuts et des fonctions dans une société particulièrement sensible aux rangs.

Ce n’est que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle que grossit le contingent des valets originaires du pays par rapport à ceux venus de l’étranger, nombreux un siècle plus tôt : expression d’une forte surcharge démographique, parfois accompagnée de paupérisation, qui est responsable d’une offre ancillaire croissante. Il s’agit, en tout cas, d’une population jeune : l’âge idéal se situant entre 15 et 25 ans, les domestiques masculins ont pour la plupart plus de 20 ans, tandis que l’âge de la domesticité féminine se situe fréquemment en deçà de la vingtaine.

La hiérarchisation, au sein de la ferme elle-même, se reflète dans la pyramide des gages annuels, en argent et en nature, que perçoivent les domestiques et dont le montant est réglé par l’usage : entre 40 et 100 livres tournois, avantages en nature non compris, pour le maître-valet ou Grossknecht ; de 30 à 40 pour le Mittelknecht si toutefois sa présence est attestée ; entre 20 et 40 pour les garçons de labour qui, eux-mêmes, se distinguent les uns des autres en fonction de leur ancienneté (Grossbub, Bub, Kleinbub) ; une vingtaine de livres tournois pour la servante (plus ou moins selon qu’elle est Grossmagd ou simple Magd), encore que les chances de promotion ne soient pas inexistantes. Il s’agit là d’un schéma théorique qui ne se vérifie que pour les grosses exploitations, les autres ne bénéficiant pas de la totalité d’une telle hiérarchie. Peu à peu, la rémunération en argent se substitue à la fourniture de victuailles ou d’effets vestimentaires, marquant le passage d’une domesticité « récompensée » à une domesticité « gagée » qui évolue progressivement vers le salariat, même si l’octroi des avantages en nature perdure partiellement. Contrairement au journalier, qui peut se targuer d’une réelle autonomie à la tête de son propre foyer, le domestique bénéficie du gîte – au-dessus de l’écurie pour le valet et dans la maison pour la servante – et du couvert sur place, avantages appréciables en période de cherté ou de variation brutale du coût des denrées alimentaires. Faisant suite à des périodes de crise, la pression démographique du XVIe puis du XVIIIe siècle ne lui est guère favorable, du fait de l’augmentation de l’offre de main-d’oeuvre qui se solde en général par la compression des gages. Le « feu » du maître, dont les domestiques font partie intégrante, dans le cadre de la Hausgemeinschaft chère à Albrecht Strobel, se révèle donc particulièrement sécurisant en contrepartie d’une étroite allégeance au chef de l’exploitation et d’une faible intégration dans la communauté d’habitants, puisque, parlant et agissant au nom du maître, ils semblent abdiquer leur propre personnalité au profit de celle du patron dont ils dépendent. Cependant l’état transitoire de la domesticité, que Strobel, pour le pays de Bade, qualifie de Übergangsstadium, ne se vérifie que rarement en Alsace, tant il est difficile à un valet de ferme d’acquérir une véritable autonomie en devenant un exploitant indépendant.

Il arrive que le terme de Knecht soit détourné de son sens initial. Le « maître-valet », installé pour le compte d’un grand propriétaire absentéiste, en général aux abords immédiats d’une ville dans le cadre d’une politique d’emprise foncière, n’a rien d’un domestique. Sa condition sociale le situant aux antipodes de celle du valet de ferme, il n’est en fait qu’un fermier déguisé, véritable chef de culture au service d’un propriétaire noble ou bourgeois. Dans un tout autre domaine, celui des traditions populaires, c’est selon une coutume durable en particulier dans le pays de Hanau, que les trois « valets de Pentecôte » (Pfingstknechte) sont préposés, le jour ou le lendemain de la Pentecôte, au ramassage dans les fermes du village de victuailles diverses (pain, oeufs, lard), ce tribut étant destiné à organiser un festin pour l’ensemble des jeunes du village.

 

Bibliographie

HANAUER (Auguste-Charles), Etudes économiques sur l’Alsace ancienne et moderne, 2 t., Paris, Strasbourg, 1876-1878, t. II, p. 514-518.

HOFFMANN (Charles), L’Alsace au XVIIIe siècle, 1906, t. I, p. 195.

RAPP (Francis), « L’aristocratie paysanne à la fin du Moyen Âge et au début des Temps modernes », Bulletin philologique et historique du CTHS, 1969, p. 439-450.

STROBEL (Albrecht), Agrarverfassung im Übergang. Studien zur Agrargeschichte des badischen Breisgaus vom Beginn des 16. bis Ausgang des 18. Jahrhunderts, Freiburg / München, 1972, p. 156-159.

FRITSCH (Thiébaut), Une famille de laboureurs de l’arrière-Kochersberg, les Fritsch de Zeinheim, mém. maîtr. dactyl., Strasbourg, 1989, p. 25-26.

GUTTON (Jean-Pierre), Domestiques et serviteurs de la France de l’Ancien Régime, Paris, 1981.

BOEHLER (Jean-Michel), La paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), 3 vol., Strasbourg, 1994, t. II, p. 1035-1058.

Pour les valets de Pentecôte, voir la notice « calendrier » proposée par SARG (Freddy), avec bibliographie afférente, pour l’Encyclopédie d’Alsace, Strasbourg, 1983, t. II, p. 979 et 982.

 

Notices connexes

Feu

Haus - Maison

Jean-Michel Boehler