Dentiste

De DHIALSACE
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Zahnarzt, Mundarzt

L’étude des crânes humains issus des sites archéologiques alsaciens nous permet d’écrire l’histoire dentaire de la région depuis la préhistoire (Kroepfli). Si les hommes de l’Âge de pierre ont peu de caries, celles-ci deviennent plus fréquentes à l’époque romaine, en raison des habitudes alimentaires nouvelles. Ces pratiques se perpétuant, les dentures médiévales témoignent de l’augmentation des caries. Les hommes du Moyen Âge et de l’époque moderne, comme leurs ancêtres, cherchent naturellement des remèdes face aux douleurs dentaires. Les professionnels vers lesquels ils se tournent ne sont pas encore des dentistes. Même si le terme de dentiste (dentatores) apparaît au XIVe siècle sous la plume du médecin français Guy de Chauliac, ce sont les barbiers-chirurgiens qui pratiquent alors les soins bucco-dentaires. Il s’agit d’une de leurs nombreuses prestations, qui laisse peu de traces dans les sources. Ainsi, un règlement strasbourgeois de 1535 précise que le chirurgien en charge de l’hospice des orphelins de la fondation Saint-Marc est tenu d’arracher les dents, de faire des saignées et de couper les cheveux. On trouve autour de 1500 certains spécialistes de l’arrachage des dents (Zahnbrecher) qui acquièrent le droit de bourgeoisie à Strasbourg : Hug Muller, de Berstett, rejoint la tribu des Barbiers (1472) ; Lamprecht Ruoderer, de Noerdlingen, celle du Miroir (1515). C’est dans ce contexte de début de spécialisation que l’art dentaire bénéficie des progrès de la chirurgie strasbourgeoise. En 1497, Hieronymus Brunschwig consacre plusieurs chapitres de sa Cirurgia aux blessures de la bouche. Vers 1544, le controversé Walter Herrmann Ryff s’inscrit parmi les « précurseurs » de l’art dentaire (Vetter) en rédigeant un Nützlicher Bericht, wie man die Augen, Mund, Zähne und Biller frisch, rein und fest erhalten möge. Enfin, il existe des opuscules destinés aux pauvres. Ils traitent notamment de remèdes contre les aphtes, les maux de dents, la mauvaise haleine : en 1500, une série de recettes réunies par Johann Tollat von Vochenberg paraît chez Kistler. Au XVIIe siècle, l’art dentaire entre à la faculté de Médecine de Strasbourg avec l’organisation par Melchior II Sebiz de quatre disputes (disputationes) sur les dents (1644). Au cours de la troisième, il est fait mention d’une coutume consistant à suspendre une dent de loup au cou des bébés pour favoriser l’éruption dentaire. Le charlatanisme en matière de soins dentaires est alors largement répandu et la Ville de Strasbourg s’efforce de le combattre par différents décrets. Le premier, en 1598, demande aux Zahnbrecher d’acquérir le droit de bourgeoisie et de subir un examen par-devant six jurés, dont deux « physiciens » (médecins) de la Ville. En 1626, un arrêté interdit aux charlatans et aux arracheurs de dents de fréquenter les marchés hebdomadaires et les foires annuelles, sauf celles de Saint-Jean et de Noël. Il est répété en 1659, 1688 et 1708. Les actes notariés du XVIIe siècle nous permettent également d’appréhender concrètement l’activité dentaire des barbiers-chirurgiens : dans l’inventaire après décès de l’épouse d’un barbier d’Obernai (1608/09), on trouve trois daviers et un écarteur de bouche.

C’est au XVIIIe siècle que l’art dentaire acquiert ses lettres de noblesse, avec le Parisien Pierre Fauchard, auteur du Chirurgien-Dentiste (1728), qui lui vaut le titre de « père de la dentisterie moderne » (Lefébure). Le dentiste apparaît alors comme un nouveau personnage du monde médical, appelé en Alsace Zahnarzt ou Mundarzt, à ne pas confondre avec Wundarzt, qui désigne le chirurgien : le dentiste strasbourgeois Jean Daniel Schröder est qualifié en 1756 dans son inventaire après décès (ABR 6E41/387) de « Zahn- und Mundartzt ». On ne trouve pas de dentistes dans toute l’Alsace, loin de là. Les soins sont chers et les « experts pour les dents » se concentrent sur une clientèle urbaine très limitée. L’apparition de spécialistes n’élimine donc pas les soins bucco-dentaires du champ d’activité des barbiers-chirurgiens. D’après un règlement de 1718, celui de l’hôpital de Mulhouse est ainsi tenu d’effectuer les lavages de gorge et les nettoyages de la langue ; certains coiffeurs pratiquent encore l’arrachage des dents au début du XXe siècle (Hildwein). Les seuls dentistes du XVIIIe siècle que nous connaissions sont ceux de Strasbourg, grâce aux recherches exhaustives menées par René Droz, qui recense 10 dentistes connus entre 1711 et 1789 : 8 sont installés avec la permission du Magistrat entre 1743 et 1784, dont 6 à partir de 1765, cette augmentation répondant à la croissance démographique. Ils sont inscrits dans différentes corporations. La catégorie des chirurgiens-dentistes est instaurée dans le royaume de France en 1699 par « les Statuts des Maîtres en l’Art et Sciences de Chirurgie de Paris », qui requièrent l’obligation d’être reçu « expert » (herniste, oculiste, bandagiste, dentiste, etc.) pour pouvoir exercer. La même disposition est étendue aux provinces en 1730, mais les privilèges de la Ville de Strasbourg permettent à ses chirurgiens d’échapper à la juridiction du premier chirurgien du roi. Ils rédigent eux-mêmes les règlements de leur Communauté, ratifiés par le Magistrat. Renouvelés en 1757, leurs statuts précisent que la Communauté examine et accepte les chirurgiens, mais pas les experts. Le Magistrat encourage quelquefois l’installation définitive de dentistes venant des autres provinces françaises ou des Etats allemands par l’octroi gratuit du droit de bourgeoisie ou l’attribution d’une pension. Les dentistes itinérants ne sont tolérés que de manière très limitée et leur présence se fait plus rare à partir des années 1760. Il arrive aussi que les dentistes strasbourgeois partent quelque temps prodiguer leurs soins ailleurs. Pendant la Révolution, l’officier municipal Bernard Frédéric Turckheim informe le Comité de salubrité de l’Assemblée nationale que « les chirurgiens [de Strasbourg] exerçant toutes les différentes parties de leur état, n’ont jamais admis les personnes qui se sont vouées à une partie seulement, à l’exception de trois dentistes et quatre ventouseurs, que le Magistrat a reçus sans avoir été examinés ni agrégés au Collège des Chirurgiens ». Les bouleversements de la Révolution favorisent les abus. Le charlatanisme prospère. En 1798, on trouve un fabricant d’instruments de chirurgie et de machines pour les cordonniers qui place également des bandages herniaires et des dents artificielles. La loi du 19 ventôse de l’An XI met provisoirement un terme à cette situation, en réservant aux seuls diplômés l’exercice de l’art dentaire.

La formation professionnelle des dentistes strasbourgeois du XVIIIe siècle se fait auprès de maîtres réputés, à Paris ou à Nancy, mais aussi au sein de la famille. On trouve plusieurs familles de dentistes (Schröder, Kutsche, Laforgue), avec transmission du savoir du père au fils, mais aussi du mari à l’épouse. En 1756, au décès de Jean Daniel Schröder (lui-même fils de dentiste), son épouse prend la relève. La veuve de Jean Claude Fidèle Laforgue fait de même à la mort de son époux (1802) jusqu’à ce que la loi du 19 ventôse de l’An XI l’en empêche. Les dentistes changent fréquemment de domicile, s’installant de préférence au centre de la ville (actuelle place Kléber), où se trouve leur clientèle. Ils choisissent des édifices connus du public (demeure d’un noble, d’un artisan, d’un commerçant). Une grande dent accrochée à la porte d’entrée peut servir d’enseigne (Kutsche père et fils). Les clients sont attirés par une abondante publicité : Jean Claude Fidèle Laforgue insère plus de 70 annonces dans les Affiches de Strasbourg entre 1767 et 1801. La présence de dentistes ambulants vient réduire la clientèle des dentistes sédentaires : Hugo Laflotte se plaint en 1715 de la concurrence de ces « coureurs ». L’un d’eux, André Morel, est expulsé en 1765 par décision du Conseil des XXI, malgré la protection que lui accordait le Maréchal de Contades. Cela n’empêche pas son père, appelé en Alsace en 1767 pour deux opérations difficiles, de venir exercer quelques jours chez le perruquier Baldner. Dans un contexte général de progrès de la chirurgie dentaire, Strasbourg n’est pas en reste. Si la thèse De Dentibus de Johann Georg Thenn (1708) n’est qu’ « un travail de compilation qui n’apporte aucun progrès », une thèse soutenue en 1766 par Franz Ernest Glaubrecht « donne un parfait aperçu de l’art dentaire et des traitements usuels chez les Anciens et les Modernes » (Vetter). René Droz présente un tableau très concret des évolutions importantes des pratiques chez les dentistes strasbourgeois. En 1764, André Morel propose pour la première fois à Strasbourg la transplantation d’une dent « d’une bouche étrangère dans une autre ». A partir de 1771, Kutsche fils confectionne des dents artificielles émaillées. Les remèdes concoctés sont légion et représentent pour les dentistes une importante source de revenus. Il s’agit essentiellement de baumes destinés à soulager les douleurs dentaires, mais les Kutsche père et fils vendent aussi des remèdes contre les goitres et la surdité. L’hygiène dentaire apparaissant au XVIIIe siècle comme une nécessité absolue, l’usage de la brosse à dents commence à se répandre à Strasbourg à partir des années 1770.

 

Bibliographie

KROEPFLI (Fredy), Untersuchungen über die Karieshäufigkeit innerhalb des Zeitraumes von der jüngeren Steinzeit an bis zum Beginn des Mittelalters im alemannischen Gebiet des Elsasses unter gleichzeitiger Berücksichtigung anderer Gebisserkrankungen, Fribourg-en-Brisgau, 1944, thèse de chirurgie dentaire.

MIEG (Philippe), « Les médecins et chirurgiens du Vieux-Mulhouse », Bulletin du Musée Historique de Mulhouse, 1953, N°94, p. 65-129.

VETTER (Théodore), « Aspects de l’art dentaire à Strasbourg (XVe-XIXe siècle) », Atti del XXI Congresso della Societa Internazionale de Storia della Medicina, Siena, 1968, Rome, 1968, vol. 1, p. 775-799.

DROZ (René), « Aperçu sur les dentistes strasbourgeois aux XVIIIe et XIXe siècles », LIVET (Georges) et SCHAFF (Georges) (Dir.), Médecine et assistance en Alsace, XVIe-XXe siècle, Strasbourg, 1976, p. 211-233.

DROZ (René), « Dentistes et dentisterie à Strasbourg au XVIIIe siècle », Annuaire de la Société des Amis du Vieux Strasbourg, 1976, p. 101-117, et 1977, pp. 29-51.

HILDWEIN (Odile), Les précurseurs des chirurgiens dentistes, les barbiers-chirurgiens au Moyen Âge et à la Renaissance en Alsace, Strasbourg, 1983, thèse de chirurgie dentaire.

HOLLENDER (Louis-François) et DURING-HOLLENDER (Emmanuelle), Chirurgiens et chirurgie à Strasbourg, Strasbourg, 2000.

LEFÉBURE (Christophe), Une histoire de l’art dentaire, Toulouse, 2001.

MULLER (Christine), « Notes sur deux inventaires de chirurgiens-barbiers à Obernai », Annuaire de la Société d’Histoire et d’Archéologie Dambach Barr Obernai, 2005, p. 17-32.

 

Notices connexes

Barbier

Chirurgien

Eric Ettwiller