Déposition

De DHIALSACE
Révision datée du 30 septembre 2020 à 08:03 par Mhubert (discussion | contributions) (correction du style)
Aller à : navigation, rechercher

ritus depositionis, deposition

A l’instar des universités les plus anciennes, et notamment de celles de l’Empire, Strasbourg adopte des traditions et des modes qui concourent à son identité institutionnelle. La plus spectaculaire d’entre elles est le ritus depositionis, une sorte de bizutage officiellement instauré par le Convent en 1594 et validé quatre ans plus tard par le Magistrat, malgré les protestations des étudiants étrangers – français, anglais ou hongrois – qui avaient fait appel de cette mesure inutile à leurs yeux. Pour la majorité de ceux qui souhaitaient poursuivre leurs études dans une faculté allemande, ce rite de passage équivalait à un laissez-passer précieux. En effet, il s’agissait d’une cérémonie publique au cours de laquelle le nouvel arrivé, appelé béjaune (bec jaune) ou beanus, bacchant, renard (fuchs) ou rémouleur (scherenschleifer) devait se soumettre à un certain nombre d’épreuves, précédées par le paiement d’une certaine somme d’argent – la depositio proprement dite, au profit du collège ou de l’université – et suivie d’un banquet.

Le sobriquet beanus, probablement issu du français bec jaune, qui désigne un oisillon, mais qui évoque aussi l’assonance Johannes, une allusion à la décollation de saint Jean-Baptiste, était lu comme l’acrostiche de Beanus est animal nesciens vitam studiosorum (le béjaune est un animal qui ignore la vie des étudiants).

Le candidat était livré aux mains d’un de ses aînés, le depositor : vêtu d’un sac, il était coiffé d’un bonnet à cornes, pourvu d’une queue de renard, d’oreilles d’âne, serrait dans ses mâchoires une dent de sanglier, pour marquer l’état sauvage dans lequel il se trouvait. Au cours d’un simulacre d’examen, ponctué par des questions absurdes, on procédait à des opérations de dégrossissage avec toute une série d’outils symboliques : des tenailles, une lime, un rabot, une scie, une hache, une cuiller à oreille, etc. Il fallait alors se prosterner devant les maîtres et les condisciples déjà admis en signe de soumission, puis s’engager à vivre en bonne harmonie et renoncer aux voix de la séduction, par exemple aux jeux de hasard. Cette scène grandguignolesque était suivie d’une parodie de baptême par le vin de la gaieté et le sel de la sagesse, après quoi le béjaune, affublé d’une fausse barbe, était jugé digne de poursuivre ses études.

Le rite de la déposition est resté en vigueur à Strasbourg jusqu’en 1792. Il est particulièrement bien connu pour avoir fait l’objet d’une planche de Jacob van der Heyden dans le Speculum Cornelianum (récit des déboires d’un étudiant dissipé, Strasbourg 1618), puis d’une série de vingt gravures publiées par Pierre Aubry en 1666 sous le titre De ritu depositionis, à l’occasion du centenaire de l’Académie de Strasbourg. Mettant en scène les professeurs et leurs élèves, il est censé contribuer à la naissance d’un esprit de corps qui se révèle à d’autres occasions, notamment sous la forme de réseaux d’amitiés et de carrières. L’attestation délivrée au nouvel « initié », le Signum depositionis ou Depositionsschein, facilitait son admission dans une autre université allemande. Dans ces dernières, Leipzig, Iéna, Marburg, la tradition (contestée au XVIIIe siècle) s’est prolongée au sein des corporations d’étudiants (Burschenschaften) qui en ont repris le vocabulaire et certaines pratiques.

Bibliographie

BERGER (Denise), « Iconographie et histoire des mentalités. Le bizutage dans les universités allemandes du XVe au XVIIIe s. », Nouvelles de l’Estampe, 109, 1990, p. 4 et suiv.

FÜSSEL (Marian), « Riten der Gewalt. Zur Geschichte der akademischen Deposition und des Pennalismus in der frühen Neuzeit », Zeitschrift für Historische Forschung, 32, H. 4, 2005, p. 605-648.

Notices connexes

Académie

Convent

Gymnase

Georges Bischoff