Cultes (Tolérance des)

De DHIALSACE
Révision datée du 28 septembre 2021 à 13:01 par Cpereira (discussion | contributions)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à : navigation, rechercher

Rapports entre les différents cultes pratiqués en Alsace, en tenant compte de l’application du principe « cujus regio ejus religio » qui impose à tous les sujets le seul culte choisi par le souverain (ville, prince, seigneur) dans son territoire, et à l’exclusion du régime interne aux différentes confessions face aux attitudes déviantes (blasphèmes, non-respect des obligations religieuses, contraventions aux règles de bonne conduite, etc…). Parmi elles, nous rangerons les procès faits aux Vaudois strasbourgeois en 1400 qui se concluent par le bannissement d’un vingtaine de personnes, dont des membres du Conseil (Modestin), ou encore les poursuites intentées aux personnes accusées de sorcellerie.

L’Alsace est soumise à partir de 1555 à la clause de la Paix d’Augsbourg qui impose la règle cuius regio eius religio, ce qui entraîne en Alsace une géographie confessionnelle qui a subsisté jusqu’à la plus grande mobilité au XIXe siècle. Cette clause a été maintenue par les Traités de Westphalie et reconnue par Louis XIV qui a tenté de la contourner après 1680.

Il y a lieu de distinguer catholiques et protestants et chez les protestants entre luthériens et réformés. Pour les catholiques, portés par la vague de la Contre-Réforme, la mission consiste dans la reconquête et non dans la tolérance des protestants perçus comme des hérétiques à ramener à la vraie foi et non à accepter, sauf si le contexte politique ne le permet pas. Entre 1600 et 1608, plusieurs chevaliers d’Empire reprennent aux protestants une demi-douzaine de villages dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’Alsace Bossue (Krumme Elsass) et une quinzaine dans la plaine. Dans les années 1620, le culte protestant est interdit à Sélestat, Haguenau et en 1628 à Colmar où il est rétabli quatre ans plus tard par les Suédois.

Après les malheurs de la guerre de Trente Ans, les soucis de la reconstruction favorisent une certaine tolérance jusque vers 1680. C’est alors qu’intervient Louis XIV par une politique agressive contre les protestants. Dans la mesure où la révocation de l’édit de Nantes (1685) n’a pas touché l’Alsace, celle-ci a longtemps constitué « l’exception française », mais l’esprit de tolérance n’a pas toujours prévalu pour autant. Toutes les fonctions judiciaires et administratives de la monarchie sont réservées aux seuls catholiques (Conseil souverain en particulier). Une propagande active est orchestrée par l’appareil administratif et militaire français qui accorde de multiples faveurs d’ordre fiscal, financier et économique aux nouveaux convertis. Louis XIV institue l’alternative qui impose l’égalité entre catholiques et protestants dans les Magistrats des villes protestantes. La politique royale facilita l’implantation de communautés catholiques dans les localités protestantes, dans lesquelles on instaura le simultaneum. Dans toutes les localités protestantes où se trouvent au moins sept familles catholiques, le choeur de l’église leur est attribué (simultaneum). On encourage les conversions individuelles de notables, dont on attend qu’elles servent d’exemples à l’ensemble de la bourgeoisie. Il s’agit d’obtenir l’abjuration, la conversion de gré ou de force. Dans les campagnes, on pratique la « méthode Louvois » avec le recours aux « douces violences » : vexations fréquentes, installation de curés royaux comme agents missionnaires et quelques grâces (moratoire de dettes, allègement de charges diverses, exemption de logement et de la subsistance des gens de guerre). Cette politique a connu son paroxysme dans le comté de Nassau-Sarrewerden « réuni » à la France de 1680 à 1697 et dans les deux seigneuries wurtembergeoises de Haute-Alsace (Horbourg et Riquewihr), où les pasteurs ont été expulsés de trois églises interdites désormais aux protestants. Cette politique s’atténue quelque peu après 1689. Le bilan de cette « décennie noire », qui constitue une rupture dans l’histoire religieuse de l’Alsace, est très difficile à évaluer. Dans le diocèse de Strasbourg, 22 villages passent en entier au catholicisme entre 1680 et 1715, dont 14 pour les seules années 1686 et 1687. Le nombre de luthériens convertis entre 1680 et 1700 est estimé par L. Châtellier à environ 10 000, dont la moitié autour de 1685-1688. Au XVIIIe siècle, les conversions ne tiennent qu’une place modeste. L’abjuration est devenue un fait individuel de militaires en garnison et de travailleurs étrangers de passage en Alsace. Les Alsaciens ne sont plus qu’une minorité motivée par la perspective d’un mariage en milieu catholique ou d’une fonction au service de la monarchie.

L’intolérance existe aussi en sens inverse, mais elle est limitée dans l’espace et concerne surtout Strasbourg avant 1681, où la messe est abolie en 1529 ; jusqu’en 1681, hormis la période de « l’intérim » (1549-1559), il n’y eut plus d’office catholique régulier qu’à la commanderie de Saint-Jean, soustraite à l’immixtion municipale par son immédiateté d’Empire, et au couvent de Sainte-Madeleine ; la majorité des couvents sont fermés et leurs biens saisis, la Chartreuse démolie. Les réformateurs poussèrent également le Magistrat à sévir contre les anabaptistes et d’autres dissidents.

Concernant les réformés, le Magistrat de Strasbourg, poussé par le Convent, par crainte d’une menace pour l’orthodoxie luthérienne, décide de fermer en 1563 l’église francophone fondée par Calvin en 1538 et d’interdire aux réformés strasbourgeois de célébrer des offices en ville, ce qui les oblige à se rendre régulièrement le dimanche à Bischwiller, où le calvinisme est introduit en 1588 comme dans l’ensemble du duché de Deux-Ponts, puis, à partir de 1654, à Wolfisheim, où le comte de Hanau-Lichtenberg les autorise à construire un temple. Les réformés, bien que reconnus officiellement comme troisième confession dans l’Empire par les traités de Westphalie, continuent néanmoins d’être exposés à des mesquineries diverses à Strasbourg, que déploie tout particulièrement le Magistrat de la ville lors de la présence de troupes suisses à Strasbourg de 1675 à 1678.

Après 1680, le pouvoir monarchique interdit de célébrer des cultes en français en Alsace et impose des prédications obligatoirement en allemand, par crainte d’un éventuel prosélytisme et aussi par crainte d’attirer des huguenots que la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685 prive de tout lieu de culte dans « l’intérieur » du royaume.

Au cours du XVIIIe siècle, la situation des réformés demeure souvent précaire, malgré le soutien des cantons suisses protestants. En 1762, le ministre Choiseul se borne à maintenir le statu quo pour l’exercice du culte, dont le rétablissement est interdit partout où il a été supprimé. Le rétablissement à Oberseebach en 1783 n’est dû qu’à l’action diplomatique du roi de Prusse Frédéric II. Ce n’est qu’au lendemain de l’Edit de tolérance de Louis XVI (1787) que la communauté réformée de Strasbourg obtient un lieu de culte sur place : un simple oratoire, sans cloche, rue du Bouclier. Seule la ville de Mulhouse peut demeurer réformée grâce à son statut de ville alliée de la Confédération helvétique. Mais la République de Mulhouse pratique en sens inverse la même politique : elle n’autorise jusqu’à son rattachement à la France en 1798 aucun lieu de culte d’une autre confession.

Les hétérodoxes, anabaptistes surtout, sont poursuivis, voire pourchassés dans l’Empire et en Suisse au XVIe siècle. Leurs offices sont interdits. Ils sont contraints de se réfugier dans la clandestinité et ils disparaissent vers 1560. Mais ils peuvent se réfugier dans le Sundgau catholique et s’implantent à nouveau après 1650, sous le nom de mennonites ; leurs communautés ont perduré jusqu’à aujourd’hui. S’ils sont protégés par plusieurs seigneurs, dont les Ribeaupierre, seigneurs d’une bande de territoire entre Sainte-Marie-aux-Mines et le Rhin, ils sont constamment à la merci d’une expulsion suscitée par des esprits jaloux de leur prospérité, comme en 1712 dans la vallée de la Lièpvre. Ils s’installent surtout dans les régions isolées des vallées vosgiennes, où ils s’imposent par leur réussite dans l’agriculture et l’élevage.

Quant aux juifs, ils bénéficient de l’exercice de leur culte dans certains territoires, tant catholiques (évêché de Strasbourg) que protestants (Hanau-Lichtenberg), après que la grande Peste de 1349 a entrainé les massacres et expulsions de nombreuses villes et les a obligés à résider dans les territoires ruraux (v. Archives israélites). Ainsi ils demeurent interdits jusqu’à la Révolution à Strasbourg, dont la communauté résidait à Bischheim et où le riche fournisseur aux armées Cerf Berr avait obtenu le privilège de résidence au XVIIIe siècle avec sa famille et ses employés. Ce n’est qu’en 1791 que l’Assemblée nationale leur accorde l’égalité civique des droits avec tous les citoyens du royaume, mais les structures religieuses anciennes reconnues sont supprimées.

La Révolution impose un statut public nouveau à l’Eglise catholique dont les biens sont nationalisés le 2 novembre 1789, ce qui conduit à la suppression de tous les monastères et chapitres. Ensuite la Constitution civile du clergé du 12 juillet 1790, qui prévoit le paiement des ministres du culte par l’Etat, impose la création d’un évêché par département, l’élection par tous les citoyens des évêques et des curés. Les évêques et les prêtres élus doivent prêter un serment constitutionnel (v. Clergé réfractaire, Constitution civile du clergé). En Alsace, le cardinal Louis de Rohan, réfugié à Ettenheim dans l’Ortenau qui faisait partie de son ancien diocèse, ainsi que l’évêque de Bâle dont le diocèse s’étendait jusque-là sur la Haute-Alsace, s’opposent au serment avec véhémence et la plus grande partie des prêtres refusent d’être des « jureurs » et sont chassés de leur paroisse. Ces prêtres « réfractaires » deviennent des clandestins. A Strasbourg, François Brendel est élu évêque constitutionnel du Bas-Rhin et à Colmar l’élection d’Arbogast Martin est difficile.

La résistance du clergé réfractaire et de la population qui le soutient entraîne de la part des autorités publiques des mesures de répression de plus en plus sévères. A l’automne 1793 : tous les cultes sont interdits, qu’ils soient chrétiens ou juifs, tous les édifices cultuels sont fermés et les objets cultuels sont confisqués et souvent détruits, les sonneries de cloches sont interdites, ce qui cependant n’a pas amené en Alsace de destruction de clochers comme ailleurs, bien qu’il ait été question d’abattre la flèche de la cathédrale, sauvée par son bonnet phrygien. Des édifices cultuels sont transformés en magasins de vivres, comme Saint-Thomas à Strasbourg, puis Saint-Pierre-le-Jeune ; d’autres sont loués ou vendus ou transformés en temples de la Raison. La cathédrale de Strasbourg devient le Temple de la Raison, puis celui de l’Être suprême sous Robespierre et enfin le temple décadaire sous le Directoire. Ordre est donné de détruire toutes les statues en pierre de cet édifice sous la Terreur. L’évêque Brendel renonce à titre définitif et devient « chef de bureau des archives du département ». Selon Sébastien Bottin qui raconte son enterrement purement civil le 3 prairial an VII (22 mai 1799), « il est mort républicain » sous les sarcasmes des partisans des « prêtres rebelles » (Annuaire de l’An VIII, p. 380-381). Sous la Terreur, prêtres, pasteurs et rabbins sont persécutés et contraints d’abjurer leur ministère. Beaucoup sont arrêtés et incarcérés au Grand Séminaire, transformé en prison. Le pasteur de Dorlisheim, Johann Fischer, est décapité sur la place d’Armes (future place Kléber) le 24 novembre 1793. Jean-Frédéric Oberlin au Ban de la Roche a eu l’idée de transformer son église en club des Jacobins, mais il a quand même été arrêté en juillet 1794, puis rapidement libéré à la suite de la mort de Robespierre. Les réfractaires doivent se cacher et sont souvent protégés par la population, car s’ils sont pris, ils sont déportés à Cayenne, du moins si les Anglais laissent passer les navires. Cinq d’entre eux ont été exécutés et six sont morts en réclusion ou en déportation.

Après la chute de Robespierre en juillet 1794, un décret du 3 ventôse an III (5 février 1795) autorise la reprise des cérémonies religieuses, mais sans grand effet dans le Bas-Rhin, car le culte catholique devait être constitutionnel. Le prêtre réfractaire François Stackler est guillotiné sur la place d’armes (Kléber) le 2 février 1796 pour être revenu dans sa paroisse du Val de Villé. Dans le Haut-Rhin, la reprise a été un peu plus effective, grâce à l’élection de Marc-Antoine Berdolet comme évêque constitutionnel à Colmar en 1796. Mais une nouvelle vague de persécutions se produit sous le Directoire, accrue après le coup d’Etat du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) qui impose le « serment de haine à la royauté ». Deux prêtres sont fusillés et six meurent en déportation ou en réclusion, alors que 25 ne sont pas revenus de leur détention dans des conditions inhumaines à l’île de Ré.

Alors que la Convention thermidorienne avait décrété la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le Consulat de Bonaparte impose la négociation du Concordat avec le Saint-Siège et son application par des Articles organiques joints à ceux qui organisent les cultes protestants en 1802, puis en 1808, le décret réglementant le culte israélite, et institue ainsi la reconnaissance et la rémunération des différents cultes reconnus.

 

Sources - Bibliographie

OBERLIN (Jérémie-Jacques), Almanach de l’Alsace pour les années 1782 à 1788 et 1792 (pour le début du problème des réfractaires).

BOTTIN (Sébastien), Annuaire politique et économique du département du Bas-Rhin VIIIe année (1799-1800).

Recueil des actes de l’autorité publique dans le département du Bas-Rhin, Strasbourg, An IX (1801), II, p. 378-380.

LEVY (Joseph), « La démolition des croix dans le canton de Neuf-Brisach pendant la grande Révolution (1793-1796) », R.C.A. 1905, p. 325-333.

GASS (Joseph),Vom konstitutionellem Kultus und Klerus im Elsass, Strasbourg, 1921.

LEVY (Joseph), « La rage antireligieuse de la Révolution en Alsace », RCA, 1923, p. 205-216, 334-344.

BRAUNER (Joseph), « Die religiöse Lage der Katholiken Colmars im Juni 1792 », AEKG VI (1932), p. 416-418.

MOLZ (Hans), « Die kirchenfeindliche Publizistik im Unter-Elsass während der Revolutionsjahre 1789 bis 1792 », AEKG XIII (1938), p. 203-244.

FRITZ (Georg), « Zur Kirchengeschichte der Jahre 1790 bis 1810 », AEKG XVI (1943), p. 351-388.

JOACHIM (Jules), « Les “signes extérieurs d’un culte”. 1793-1794 », ASHS, 1953, p. 48-54.

CHATELLIER (Louis), Tradition chrétienne et renouveau catholique dans l’ancien diocèse de Strasbourg (1650-1770), Paris, 1981.

MULLER (Claude), ERBE (Michel), « Les vicissitudes du culte à Dorlisheim sous la Révolution », Ann. SHAME 1983, p. 109-117.

VOGLER (Bernard), Histoire des chrétiens d’Alsace, Paris, 1994.

MODESTIN (Georg), « Un procès pour hérésie à Strasbourg en 1400 », RA 2008, 355-367.

SCHLAEFLI (Louis), « Particularités des procès en sorcellerie intentés aux enfants à Molsheim au XVIIe siècle », RA, 2008, p. 213-229.

DÜSTERHAUS (Donatus), Die Revolution als Schwester des Krieges. Deutungen und Wahrnehmungen von Lutheranern im Elsaß in der Zeit der Französischen Revolution und des Napoleonischen Empires (1789-1815), Münster, 2011.

 

Notices connexes

V. Abjuration, Alternative, Constitution civile du clergé, Conversion, Cujus regio ejus religio, Intérim, Juifs, Protestantisme, Simultaneum, Tolérance.

Bernard Vogler et Louis Schlaefli