Croix-borne

De DHIALSACE
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Croix, crucifix ou Bildstock faisant fonction de marque de limite.

Du Moyen Age au XVIIIe siècle, l’Église est souvent associée aux affaires de limites, que ce soit à l’occasion de leur fixation ou encore lors de leurs reconnaissances périodiques. Ainsi, de manière assez significative, dans une affaire d’abornement entre Saint-Jean-lès-Saverne et Ernolsheim (1446), l’abbesse de Saint-Jean, portant un petit reliquaire, se rend personnellement sur les lieux, afin que les deux parties prêtent serment de respecter la nouvelle limite. Elle agit non seulement en tant que seigneur temporel, mais aussi comme représentante de la puissance spirituelle et morale de l’Église. L’intervention de cette dernière confère donc un surcroît de respectabilité aux limites et à leurs marques.

C’est probablement dans cet esprit qu’il convient de placer l’usage de la croix comme marque de limite, que ce soient les simples croix grecques gravées sur des rochers et des bornes anciennes ou les croix monumentales élevées aux confins des propriétés seigneuriales et communales. Une des plus anciennes mentions alsaciennes d’une croix-borne est donnée par la fausse charte dite de l’abbé Celsius, datée de 828, mais plus probablement un document du XIe siècle. Elle décrit la limite des terres de l’abbaye de Marmoutier, qui, au nord, suit le cours de la Zorn jusqu’à la croix de pierre (per fluvium Sornam, usque ad crucem petrinam), un endroit non encore localisé avec précision. Herr (Schenkung, 1906, p. 585) la place sur les bords de cette rivière, au pied du Haut-Barr. Plus près de nous, vers le début du XVIe siècle, la mention d’une croix-borne sur la limite entre les forêts de l’Oedenwald et de la Struth est très explicite : da stodt ein creüz, velches scheidt den Ödenwaldt, vnd das Khüe Berglin [lieu-dit de la forêt de la Struth]. Le souvenir, à la fois de la situation et de la fonction de telles croix, a parfois été conservé dans leur dénomination populaire. A Stutzheim la croix dite Bannendkritzel porte bien son nom puisqu’elle marquait une des limites du ban communal . Sous l’Ancien Régime, il n’est pas rare de trouver mention de telles croix-bornes sur les plans dits de l’Intendance d’Alsace ou dans les procès-verbaux d’abornement. En 1749, à l’occasion du renouvellement de l’abornement de Flexbourg, une pierre-borne est repérée par rapport au Bildstock qui se trouve à proximité immédiate : (…) in dem Vieheweeg, vier schùch von dem bildstöckel zù einem stein ohne zeichen der aber vor ein banns stein erkand worden (…). Un procès-verbal d’abornement de Lochwiller, de 1723, mentionne également deux croix implantées sur la limite communale : s’Schweinheimercreütz et la croix dite Evangelium Creütz, sur la limite avec Kleingoefft.

L’implantation de ces croix sur la limite même demeure cependant l’exception, car elles appartiennent rarement aux communes limitrophes de façon indivise. Le plus souvent elles ne sont éloignées de la limite que de quelques pas, placées du côté de la commune qui les a érigées et avec la face tournée vers celle-là . Dans tous les cas, mêmes si ces croix sont citées dans les procès-verbaux d’abornement, il semble qu’elles n’aient en général pas de valeur juridique en tant que marque de limite ; elles restent avant tout un repère topographique. Néanmoins, pour les croix qui remplissaient cette fonction, une pierre-borne leur est généralement associée.

Les croix-bornes marquaient également des limites juridiques ou de compétences. Les croix des bannis de la ville de Strasbourg en sont des exemples souvent cités. A quelques extrémités du territoire urbain, notamment au bord des principales voies d’accès, étaient placées des croix, Aechterkreuze, qui matérialisaient la limite en-deçà de laquelle les bannis n’avaient pas le droit de s’approcher de la ville. Mais d’autres limites pouvaient être signifiées. Ainsi à Marmoutier, une croix marquait la franchise de tout péage ou impôt. Dans le domaine des compétences, la croix des Morts (’s Todtekritzel) marquait celle du curé de Dieffenbach-au-Val. La croix est située à mi-chemin entre Neubois et Dieffenbach-au-Val. Le village de Neubois dépendait jusqu’en 1858 de la paroisse de Dieffenbach où se trouvait le cimetière commun aux deux villages. Lors de l’enterrement d’une personne de Neubois, le curé de Dieffenbach-au-Val venait chercher le cercueil à la croix des morts, où l’attendait le cortège funèbre, pour le conduire à l’église, puis au cimetière.

Comme les croix-bornes, celles placées aux extrémités du ban communal, où l’on se rendait lors des processions des Rogations, avaient des fonctions analogues de repères de limites. Ces croix sont souvent désignées comme Evangelium Creütz, car on y lisait l’Évangile. A Wingersheim, une telle croix, datée de 1687, porte l’inscription très explicite à cet égard : « wan man avf oster montag (…) vmb den ban gehet, das heilig evangelium verlest…». Dans une même localité, il n’est pas rare que ces croix soient individualisées par les noms des évangélistes, comme à Dachstein : Beim Marcus [Creütz], beim Mattheus [Creütz], etc.


Sources - Bibliographie

ABR H 653 ; G 1179 ; AMS VI 104/28.

HANAUER (Auguste), Les constitutions des campagnes de l’Alsace au Moyen Age. Recueil de documents inédits, Paris-Strasbourg, 1864, p. 374.

HERR (Emil), « Die Schenkung der Mark Maursmünster », ZGO 60, 1906, p. 527-600.

KOLLNIG (Karl Rudolf), Elsässische Weistümer, Frankfurt-am-Main, 1941, p. 130-131, 158.

WOLLBRETT (Alphonse), « Les croix-bornes », Pays d’Alsace, I, 1953, p. 12-14.

ENGEL (Roger), Croix rurales anciennes des environs de Saverne et du Kochersberg, Saverne, 1974.

HOLDERBACH (Jean-Marie), KIENTZLER (Arnold), Les monuments ruraux d’Alsace, Cat. expo., Strasbourg, 1988.


Notices annexes

Aechterkreutz

Bannprozession

Bannritt

Croix_rurales

Jean-Marie Holderbach