Corporation

De DHIALSACE
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Tribu, Zunft, artificium, societas, zunfta

La corporation est une institution réunissant les membres soit d’un même métier, soit de plusieurs métiers apparentés ou disparates. Le terme corporation, anachronique avant le XVIe siècle (il est issu du mot anglais corporation), est communément utilisé pour traduire le mot allemand Zunft, qui apparaît bien avant ce siècle. On rencontre parfois le vocable francisé « chonfe ». Avant l’apparition du terme Zunft dans les sources (et dans les faits) pour désigner un métier, ce dernier était indiqué par Handwerk, dont l’usage perdure en même temps que s’impose celui de Zunft. Handwerk désigne le métier manuel, l’activité, en tant que tels, Zunft l’entité à la fois politique, administrative et sociale. La frontière entre Handwerk et Zunft est parfois difficile à cerner, seul le contexte permet d’opter pour l’une ou l’autre acception. La corporation regarde les métiers de l’artisanat, l’agriculture et le commerce urbains. Dans bien des cas, les artisans exerçant dans les villages sont rattachés à la corporation respective de la ville la plus proche. Cependant, il existe aussi des corporations rurales si une activité est prédominante, la pêche, par exemple.

Les corporations sont l’une des conséquences du développement des villes fondé sur la croissance démographique, qui demandait que les métiers se structurent devant leurs responsabilités administratives et professionnelles, ainsi que leurs nouvelles fonctions politiques au sein du Magistrat, dans lequel leurs représentants forment le Conseil. Ce rôle se met en place au cours du XIVe siècle après des luttes pour l’obtention d’une part majeure du pouvoir dans le gouvernement des villes (Strasbourg, 1332, 25 représentants des métiers ; Mulhouse, 1340, 6 ; Colmar, 1347, 20). Les corporations pèsent ainsi de tout leur poids sur l’élaboration des constitutions urbaines. Leur accession au pouvoir et l’exercice de ce dernier sont qualifiés dans de nombreux ouvrages de Zunftrevolution. Cependant, dans les grandes villes, on assiste à l’émergence de deux sortes de représentants des corporations : les premiers, aux moyens financiers conséquents, sont dispensés de travailler et de ce fait très disponibles pour la gestion des grandes questions urbaines et corporatives ; les seconds, moins aisés, sont obligés de subvenir à leurs besoins par leur travail et peu enclins à donner de leur temps en participant aux assemblées. Par conséquent, le pouvoir des maîtres riches augmente, avec pour corollaire une tendance oligarchique des constitutions corporatives, faute d’une participation active des maîtres besogneux. En témoignent les listes de présence indiquant les nombreuses absences et amendes, qui ne suffisent pas à inverser la tendance. Ces maîtres, de moins en moins rompus aux arcanes de la législation et peu expérimentés, finissent par être écartés des décisions.

Dans les villes, à l’exception de quelques corporations très importantes par le nombre (par exemple les jardiniers, Gärtner, à Strasbourg), les corporations regroupent plusieurs métiers (les boulangers, les meuniers et les revendeurs forment à Colmar la corporation « A la Couronne », Zum Kränzchen). Dans ce dernier cas, le plus fréquent, chacun des métiers conserve son autonomie à l’intérieur de la « superstructure » qu’est la corporation. Devant des situations politiquement conflictuelles ou financières dégradées (les membres n’étant plus assez nombreux pour assurer l’entretien de leur poêle), le Magistrat intervient ça et là pour en définir le nombre (ainsi, à Colmar, en 1521, le nombre de corporations est réduit à 10 ; à Strasbourg, entre 1462 et 1482, il passe de 28 à 20 ; à Mulhouse, il est fixé à 6 en 1445). A plusieurs reprises, il détermine le montant du droit corporatif (Einung), décidant soit d’un montant unique pour tous les métiers, soit d’un montant différent selon la prééminence et la richesse des métiers. De même, il établit un rang pour chacune des corporations, en regard de leur représentation au Conseil, de leur place dans les processions et de leur importance militaire.

Tout habitant d’une ville doit obligatoirement s’affilier à une corporation, à l’exception des nobles et des clercs. Cette adhésion, marquée du serment d’en respecter le règlement, donne à la corporation un statut d’association jurée (conjuratio) et à ses membres des devoirs et des droits. Ainsi, il est du ressort des corporations de monter la garde aux portes et sur les murs de la ville de jour comme de nuit (Hut), de faire des rondes de nuit en ville (Scharwacht), de lutter contre les incendies et de prendre les armes en cas d’agression extérieure ou d’émeute, les membres les plus riches devant entretenir un ou plusieurs chevaux pour le service militaire. Les règlements de métier, agréés par le Conseil (où les corporations sont majoritaires) prévoient de ce fait l’obligation de posséder un seau et un équipement militaire plus ou moins complet. Ils spécifient par ailleurs les nombreuses obligations liées à l’exercice du métier, comme les modalités d’approvisionnement en matières premières et de fabrication des produits – leur qualité et leur conformité étant contrôlées par des vérificateurs (Schauer) – les lieux de vente, les conditions d’engagement des apprentis et des compagnons, les salaires, les poursuites en cas de rupture du contrat, les modalités d’accès à la maîtrise (tour de compagnonnage, chef-d’oeuvre), la tenue de registres des noms et des comptes, etc. Le but de ces obligations est aussi de garantir aux métiers le monopole de leurs fabrications. En cas de conflit interne ou avec un autre métier, le tribunal corporatif composé des échevins tranche ou élabore des solutions de compromis. A côté de ce volet administratif, la corporation tient un rôle social (avant ou en même temps que les confréries de métier) par la mise en place de dispositions en cas de maladie, de vieillesse, de manque d’argent. Ce rôle se double d’un aspect religieux comprenant l’assistance aux messes (en particulier de Requiem pour les membres défunts) et aux processions, qui sont le vecteur de l’honneur et de l’identité des métiers. Les corporations procèdent aussi au placement des compagnons autochtones ou étrangers dans un atelier choisi par l’échanson (Hauptkan), quand ce droit n’est pas du ressort des confréries de compagnons. Toute corporation possède des fonds, conservés dans la caisse, Büchse, leur gestion revenant à un ou plusieurs trésoriers, Büchsenmeister. La caisse était alimentée par les droits d’entrée, Einung, les cotisations trimestrielles, les dons et legs, ainsi que les amendes pour fautes ou délits.

Il existe aussi des corporations « topographiques », sans visées professionnelles. Ainsi, à Obernai, une corporation réunit les habitants d’un faubourg autour des rues Bühelbrunn et Mertzgasse, habitants qui, forcément, n’exercent pas tous le même métier. De même, certaines corporations, appelées également associations ou confréries, sont supralocales (les bergers, les potiers, les chaudronniers, par exemple) et n’ont pas de rôle politique. Elles s’attachent à réglementer un métier sous la protection d’un personnage important qui n’est pas leur maître pour autant (ainsi, les chaudronniers sont sous la protection des Rathsamhausen). Par ailleurs, un métier peut avoir plusieurs corporations, comme à Guebwiller, où il en existe trois de vignerons (de la ville haute, moyenne et basse) sur sept au total.

Les corporations disposent d’un poêle (Trinkstube), maison dont elles sont propriétaires ou locataires, où se déroulent les assemblées, les banquets, les repas des compagnons, lieu de convivialité, mais aussi de décision et de conservation des archives, des bannières, du matériel militaire. Le poêle est dirigé par un « président », secondé par des responsables divers, et possède son propre règlement, visant entre autres à la préservation des bonnes moeurs. Les poêles les plus riches engagent un gérant à demeure (Stubenwirt). Le poêle porte souvent un nom, qui désignera la corporation. Cependant, chacun des métiers peut également avoir son poêle spécifique, certains d’entre eux possédant plusieurs poêles, comme les maraîchers de Strasbourg, qui en détiennent quatre.

Bien qu’elles ne bénéficient pas d’un apprentissage régulier, les femmes ont accès aux corporations, en particulier dans les métiers liés au travail du fil, au petit commerce et à l’accueil dans les auberges. Les veuves reprenant l’activité de leur défunt mari deviennent des membres de plein droit, versent leurs cotisations, sans toutefois faire partie des instances dirigeantes, ni du Conseil. Les compagnons de métier épousant une veuve ou une fille d’artisan bénéficient ça et là d’une entrée gratuite ou d’un montant minoré dans une corporation.

Vers la fin du XVe siècle et au XVIe siècle, les corporations amendent leurs règlements en y incluant des clauses visant à « fermer » les métiers. Elles limitent ainsi l’accès à la maîtrise des compagnons, le marché du travail ne pouvant les absorber tous sans mettre en péril les acquis des maîtres. Ces mesures obligent les compagnons à effectuer des voyages plus longs, à réaliser un chef-d’oeuvre, souvent coûteux, restreignent le nombre d’apprentis et de compagnons dans un même atelier, augmentent la durée de résidence (et de travail) dans la même ville (Mutzeit), ainsi que le montant du droit d’adhésion à la corporation, dispositions souvent accompagnées d’autres conditions, comme celle de posséder plusieurs éléments d’une armure, voire une armure complète.

Les corporations sont supprimées par la loi des 2 et 17 mars 1791 (décret d’Allarde) et celle de Le Chapelier du 14 juin 1791.

L’histoire des corporations et celle des villes sont indissociables. Il convient de se reporter aux monographies consacrées à chacune d’elles.

Bibliographie

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Notices connexes

Ackerleutzunft (Mulhouse)

Ancre (corporation de l’-)

Artisanat

Bain (1. L’établissement de bains au Moyen Age)

Barbier (II. La corporation)

Batellerie

Batteurs de laine

Bergers (confrérie des)

Boucher

Boulangers

Büchse

Confrérie (de métier)

Magistrat

Poêle

Monique Debus Kehr