Constitution des municipalités de 1790

De DHIALSACE
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En 1787, Loménie de Brienne, contrôleur général des finances, avait déjà entrepris une réforme administrative, en instituant des municipalités élues dans toutes les villes et paroisses qui en étaient dépourvues. Composées d’un syndic et de notables désignés par tous les habitants de 25 ans révolus et payant impôt, mais présidées de droit par le seigneur (ou son représentant) assisté du curé (ou, en Alsace, du pasteur), ces municipalités avaient pour attributions essentielles la gestion des deniers de la communauté et l’établissement de l’assiette des impôts. Finalement, cette réforme se heurta à d’insurmontables difficultés dues à des conflits de pouvoirs entre nouvelles et anciennes structures qui se côtoyaient.

Après l’abolition des privilèges et particularismes (4 août 1789), l’une des réformes majeures rapidement introduite par l’Assemblée nationale constituante fut de supprimer, par décret du 14 décembre 1789, toutes les municipalités très diversifiées des villes, bourgs, paroisses et communautés pour les remplacer par de nouvelles municipalités de communes, organisées selon un même schéma (à l’exception de Paris), et dont les membres (y compris le maire) seront directement élus par les citoyens actifs de la commune et choisis parmi eux. De ce fait, toutes les communes du royaume, que ce fût Landau, Blancherupt, Colmar, Plougastel, Belfort ou Toulouse, peu importait leur taille, furent placées sur un pied d’égalité, jouissant des mêmes droits et des mêmes prérogatives. Toute distinction entre les villes et les communes rurales était ainsi supprimée. Parmi les attributions conférées aux nouvelles municipalités, la loi distinguait deux espèces de fonctions appartenant à des pouvoirs de nature différente : celles particulières au pouvoir municipal et celles propres à l’administration générale déléguées aux corps municipaux sous l’autorité des assemblées administratives supérieures (conseils ou directoires des district et département) auxquelles ils étaient alors subordonnés. Chaque municipalité était composée d’un maire, chef de la municipalité, d’officiers municipaux en nombre proportionnel à la population de la commune, formant ensemble le corps municipal, et de notables, selon le tableau d’attribution : 

Population de la commune

< 500 < 3 000 < 10 000 < 25 000 < 50 000 < 100 000

Nbre d'officiers municipaux (maire compris)

3 6 9 12 15 18

Nbre de notables

6 12 18 24 30 36

 

Réunis, corps municipal et notables constituaient alors le conseil général de la commune, assemblée délibérante, consultée pour toutes les affaires importantes. Le corps municipal en était l’organe exécutif permanent. Un procureur de la commune et – pour les villes dont la population excédait dix mille âmes, c’est-à-dire Strasbourg et Colmar – un substitut du procureur, étaient entendus, mais sans voix délibérative, sur tous les objets mis en débat, aussi bien au corps municipal qu’au conseil général. Un secrétaire-greffier, élu par le conseil général, tenait le plumitif.

Lorsque le corps municipal était composé de plus de trois membres (communes de plus de 500 âmes) il se divisait en bureau et conseil. Le bureau était formé du tiers des officiers municipaux, y compris le maire qui en faisait toujours partie, et les deux autres tiers formaient le conseil. Dans les villes de plus de 25 000 âmes, la municipalité pouvait s’organiser en départements, chacun administré par un officier municipal ; ainsi, à Strasbourg (seule ville concernée en Alsace) : département de police, subsistances, art et métiers, département des établissements publics et commerce, département des domaines et travaux publics et département des finances, impositions, approvisionnements publics.

Des modalités d’élections complexes et fastidieuses exigeaient la présence personnelle des citoyens actifs à des assemblées électorales, qui se tinrent, selon les communes, entre janvier et mars 1790. Une fois le bureau de l’assemblée constitué, on passa à l’élection du maire, à la majorité absolue au scrutin individuel, si nécessaire en trois tours, le dernier ne mettant en compétition que les deux candidats en tête au 2ème tour. Les officiers municipaux étaient ensuite élus au scrutin de liste double, à la majorité absolue, en un ou deux tours, et au besoin, en un 3ème tour à la majorité relative (ex. à Colmar), puis ce fut l’élection du procureur (et de son substitut pour Strasbourg et Colmar) selon les mêmes modalités que le maire. Les notables, dont l’élection s’opérait en dernier, étaient désignés à la majorité relative en un seul tour de scrutin de liste simple. Il convient de noter que ces élections se firent en l’absence de toute candidature déclarée ; se proposer, ou proposer quelqu’un au suffrage de ses concitoyens constituait alors une atteinte à la liberté de vote !

Dans les communes rurales, les opérations électorales furent généralement bouclées dans la journée : Berstett (19 janvier), Steinbourg (24 janvier), Zellwiller (26 janvier), Nußdorf (30 janvier), Heiligenstein (5 février), alors que, dans l’une ou l’autre, elles durèrent plus longtemps : Bavilliers (22 au 24 janvier), Westhoffen (28 janvier au 3 février), Blaesheim (28 au 30 janvier), Wolxheim (27 et 28 janvier). Plus la commune était importante, plus les opérations électorales pouvaient se prolonger dans le temps. Rares furent les villes où elles n’accaparèrent qu’une journée, comme à Saverne (25 janvier) ; ailleurs, plusieurs jours, avec parfois des interruptions, furent nécessaires : Cernay-Steinbach (25 au 27 janvier), Saint-Hippolyte (25 au 28 janvier), Soultz, Haut-Rhin (29 et 30 janvier), Neuf-Brisach (1er au 4 février), Belfort (3 au 6 février), Colmar (3 au 13 février), Strasbourg (4 février au 14 mars), Landau (8 au 16 février), Barr (8 au 18 février), Obernai (22 février au 13 mars), Lauterbourg (25 février au 2 mars), Haguenau (1er au 4 mars).

Les membres élus ne pouvaient cependant entrer en exercice de leurs places qu’après avoir juré de « maintenir de tout leur pouvoir la Constitution du Royaume, d’être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, et de bien remplir leurs fonctions ». Cette prestation de serment se fit devant la communauté assemblée, solennellement, voire en grande pompe, comme à Strasbourg (18 mars 1790).

Peu de communes d’Alsace ont conservé les procès-verbaux d’élection de leur première municipalité révolutionnaire, et ceux qui subsistent sont rarement complets, parfois même bâclés. Les quelques registres de délibérations qui nous sont parvenus, restent bien souvent muets sur le début de l’année 1790. Les âges, confessions, professions et antécédents des nouveaux élus ne sont presque jamais mentionnés dans les procès-verbaux, registres ou autres listes, pas plus que le nombre total des citoyens actifs ayant droit de vote. Cette indigence des sources ne permet guère de brosser un tableau d’ensemble des nouvelles municipalités d’Alsace. Cependant, même si une généralisation reste impossible, quelques aspects significatifs peuvent être relevés.

L’enjeu paraît avoir été suffisamment important pour entraîner une participation aussi nombreuse des citoyens actifs, surtout pour l’élection de leur maire : Strasbourg : 73 % lors du 1er tour et 76 % au second ; Barr : 79 % ; Lauterbourg : 81 % ; Landau : 83 % ; Westhoffen : 84 % ; Zellwiller : 91 % ; Haguenau : 94 % ; Wolxheim : 94 % ; Blaesheim : 95 % ; Heiligenstein : 97 % ; Saverne : 98 % ; Nußdorf : 100 % ; Wintzenheim : 100 %. Cette assiduité alla généralement en décroissant pour les élections des autres membres.

L’appartenance confessionnelle n’apparaissait plus dans le processus de désignation des membres des municipalités, bien que les juifs en fussent encore exclus ; « l’alternative », avec tous les tiraillements qu’elle avait générés, était abolie, ce qui explique, par exemple, que le premier corps municipal strasbourgeois fut à dominante protestante (12 sur 18 membres).

Dans les communes où avait été établie une municipalité en 1788, l’ancien syndic fut souvent élu maire de la nouvelle : François Léopold de Mayerhoffen à Saverne, Laurent Ostermann à Wintzenheim, Georges Ignace Rédé à Haguenau, Michel Sengel à Illkirch, Jacques Wamsganß à Nußdorf, etc. Les notables furent généralement élus officiers municipaux, ou membres du conseil général, alors que les baillis et prévôts ne retrouvèrent pratiquement jamais de fonction dans les nouvelles municipalités, mais à Belfort, le bailli François Genty fut élu maire. Dans les villes de la Décapole et à Strasbourg, la grande majorité des membres des anciens Magistrats fut aussi écartée, essentiellement au profit d’une bourgeoisie plus modeste et d’artisans. Si, dans les villes, il y eut rupture avec le passé, ce fut moins évident dans les campagnes, où une certaine forme de révolution municipale avait déjà eu lieu en 1788, du moins dans les esprits.

Les municipalités mises en place au début de l’année 1790 furent renouvelées par moitié lors d’élections en novembre, puis une nouvelle fois un an plus tard, avec des taux de participation décroissants. Après la chute de la monarchie, le 10 août 1792, la grande majorité d’entre elles fut destituée pour n’avoir pas suffisamment fait preuve d’enthousiasme pour la République, et généralement remplacée par des commissions provisoires composées de Jacobins venus d’ailleurs. De nouvelles élections au suffrage universel masculin (non censitaire) en décembre 1792, désignèrent dans l’ensemble les anciens municipaux qui avaient été écartés. Avec la Terreur qui s’installa en 1793, ces municipalités furent épurées et ré-épurées, suspendues ou destituées, parfois leurs membres emprisonnés. Il n’y eut plus d’élections. Des remplaçants furent nommés d’autorité, tant par les représentants du peuple en mission à l’armée du Rhin ou dans les départements que par les directoires de district ou de département, eux-mêmes préalablement épurés. La constitution de l’an I (24 juin 1793), jamais appliquée, avait bien repris le principe des officiers municipaux élus par les assemblées de communes, mais la nouvelle constitution de l’an III (25 septembre 1795) leur substitua des municipalités de canton élues par les citoyens payant une contribution et sachant lire et écrire.

Sources - Bibliographie

Décret de l’Assemblée nationale du 14 Décembre 1789 relatif à la constitution des Municipalités.

Instruction de l’Assemblée Nationale sur la formation des nouvelles Municipalités dans toute l’étendue du Royaume du 14 Décembre 1789.

GODECHOT (Jacques), Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, 1951 (4ème édition de 1999).

MARX (Roland), Recherches sur la vie politique de l’Alsace prérévolutionnaire et révolutionnaire, Strasbourg, 1966.

Notices connexes

Assemblée (des communautés villageoises, de district, de département)

Canton

Commune

Conseil de communauté-Dorfgericht

Municipalité

Claude Betzinger