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HEYBERGER (Laurent), ''La révolution des corps, décroissance et croissance staturale des villes et des campagnes en France 1780-1940'', Strasbourg, 2005.
 
HEYBERGER (Laurent), ''La révolution des corps, décroissance et croissance staturale des villes et des campagnes en France 1780-1940'', Strasbourg, 2005.
 
<p class="mw-parser-output" style="text-align: right">'''Claude Muller'''</p>   
 
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Einberufung, Musterung

La loi du 5 septembre 1798, dite loi Jourdan, ne fixe pas la durée du service militaire qui varie selon les nécessités du moment. En revanche, elle indique le nombre des conscrits – de vingt à vingt-cinq ans, avec des dispenses pour les hommes mariés – à incorporer, en principe quatre-vingt mille par an, qui forment le contingent. Des placards dans toutes les communes le rendent public. En 1806, par exemple, par trois décrets successifs, Napoléon Ier requiert cent soixante-cinq mille hommes en France.

Le département du Bas-Rhin doit en fournir mille vingt-deux, dont deux cent douze pour le canton de Wissembourg et dix-huit pour Lembach. En tout, l’Empereur fait appel à plus de deux millions et demi d’hommes, ce qui représente un tiers des mobilisables et environ sept pour cent de la population totale. Comment fonctionne le mécanisme de levée ? A Strasbourg, le maire donne lecture au conseil municipal de la lettre du préfet contenant toutes les indications du gouvernement concernant la désignation du nombre des appelés du contingent, fixé à l’avance, ainsi que les conditions de demandes d’exemption. Une liste nominative des conscrits est dressée. Ceux-ci passent devant un jury spécial, formé d’un commissaire, d’un médecin et de cinq pères de famille dont les fils servent déjà dans l’armée. En présence des conscrits convoqués par affiche et au tambour, le maire procède au tirage des « conscrits désignés pour l’armée » et « des conscrits non appelés », puis au tirage des conscrits pour la réserve. Il enregistre enfin les remplaçants.

En dehors de Strasbourg, le maire en personne dresse une liste des individus domiciliés dans la commune, en y incluant même les détenus. Une liste générale récapitulative par canton est affichée dans chaque localité. Des registres ouverts dans les mairies accueillent les réclamations, souvent d’ordre médical. Car, avant le tirage au sort, intervient le conseil de révision. Il élimine d’abord les jeunes gens qui ne sont pas assez grands. Il faut en effet mesurer plus de 1,57 mètre pour ne pas être « incapable par défaut de taille ». Les motifs de réforme sont : faible constitution, goitre, rachitisme, arrêt du développement, carie, taie sur l’oeil, ophtalmie, difformité, hernie, crétinisme et scorbut. Ainsi les registres des conseils de révision fournissent aux historiens de précieux renseignements sur l’état sanitaire de la population, qui constitue l’un des facteurs du développement économique. Nombre de ces carences permettent également de déterminer la situation alimentaire vingt ans auparavant : elle a été déterminante pour la croissance du futur conscrit.

Signalons quelques chiffres. A Lembach, entre 1805 et 1815, 69 hommes se voient exemptés sur un ensemble de 184 conscrits. A Strasbourg, en 1803, 39 réformés sur 89 conscrits ; 159 réformés sur 305 conscrits en 1814.

Après le passage devant la commission de révision vient le moment du tirage au sort. A Strasbourg, en 1802, il faut 25 conscrits. Les jeunes gens susceptibles d’être appelés observent une estrade où se trouvent deux roues. Dans l’une, un employé met les 25 billets portant l’inscription « conscrit désigné pour l’année », ainsi que 137 billets portant « conscrit non appelé ». Dans l’autre, il jette les 162 billets portant les noms de tous les conscrits présents. Deux enfants procèdent au tirage public. Des variantes existent. Les conscrits de Lembach se rendent au chef-lieu de canton, soit Wissembourg, à une date fixée huit jours à l’avance par voie d’affichage. Le jour fatidique, chaque conscrit participe au tirage au sort lui-même. Il s’avance vers l’urne pour tirer un bulletin, dont le chiffre décide de son sort. Ainsi le numéro 1 voue immanquablement au départ. Les numéros dépassant la centaine, en corollaire, le retardent. Tout n’est pas perdu pour celui qui tire le mauvais numéro. Sûr, mais onéreux et risqué, le système de remplacement permet d’échapper au service militaire. Pour permettre aux fils de famille de rester chez eux, les parents doivent débourser une somme comprise entre 1 000 et 1 500 francs. Encore faut-il trouver le jeune homme acceptant de partir à la place d’un autre et espérer qu’il ne déserte pas, car il faut fournir un autre homme dans un délai de quinze jours et le faire conduire au corps d’armée du déserteur « sous peine d’être contraint de marcher » soi-même. En juillet 1808, Guillaume Martin remplace un conscrit tiré au sort. « Marié à Haguenau, il est brouillé avec sa femme dont il a mangé une partie de sa fortune » (A.M. Haguenau, Hd 12). Par acte notarié enregistré à Strasbourg le 21 mai 1811, le père de Georges Hoerth s’engage à payer 2 400 francs au remplacement de son fils.

Les conscrits partent dans le courant du mois suivant, après avoir passé « la revue de départ » devant l’hôtel préfectoral. Une fois cette revue effectuée, les conscrits vont jusqu’à la ville, où réside l’unité à laquelle ils sont affectés. Les conscrits déclarés capables de servir, lorsqu’ils n’ont été désignés ni pour l’armée active, ni pour la réserve, forment « le dépôt » ; ils sont susceptibles d’être appelés. La ponction de jeunes non réformés exercée sur les classes d’âge alsaciennes – l’impôt du sang se répartit comme l’impôt direct entre arrondissements – n’est pas négligeable. Sur une classe d’âge masculine alsacienne qui se situe entre 7 000 et 10 000, ce sont environ 4 500 jeunes qui sont prélevés dans les premières années de l’Empire, soit 60 %, et près de 7 000 lors de l’appel aux Marie-Louise (1811 à 1814) soit 70 % des jeunes. Cette augmentation du nombre d’appelés fait croître le nombre de réfractaires. Il est pourtant difficile d’évaluer le nombre de conscrits désignés par tirage à faire partie de l’armée active et qui n’ont pas rejoint leurs corps. Le tribunal en juge 2 en 1804, 4 en 1806, 12 en 1807, 73 en 1810, 9 en 1811, mais 732 en 1814. Un réfractaire ou un déserteur est passible de l’amende, des travaux publics, du boulet ou de la mort. Signalons une battue en août 1811 dans la forêt de Haguenau dans laquelle les réfractaires se cachent (A.M. Haguenau Hd8), et l’attitude des anabaptistes alsaciens par rapport à la conscription. S’appuyant sur Matthieu 5, 29-32, ainsi que sur le sixième article de la confession de foi de Schleitheim, ils contestent le service armé. Napoléon Ier tranche le 29 avril 1812 par un arrêté dans lequel il est précisé « qu’il n’y a pas lieu de déroger aux lois sur la conscription en faveur des Français se disant anabaptistes ».

Sources - Bibliographie

ABR 1 RP 21 à 96 ; AHR L 497 à 491.

L’HUILLIER (Fernand), Recherches sur l’Alsace napoléonienne, Strasbourg, 1947.

HARSANY (Zoltan-Etienne), La vie à Strasbourg sous le Consulat et l’Empire, Strasbourg, 1976, p. 395-401.

RIEFFEL (Jean-Jacques), SCHLICK (Georges), « La conscription à Lembach (An XIV-1815) »,L’Outre-Forêt, 66, 1989, p. 43-49.

HEYBERGER (Laurent), « Les conscrits alsaciens de la Grande armée étaient-ils des nains ? Ou y a t-il une crise de surpopulation en Alsace à la fin du XVIIIe siècle ? Une tentative de réponse par l’histoire anthropométhrique », RA, 2003, 129, p. 42-67.

HEYBERGER (Laurent), La révolution des corps, décroissance et croissance staturale des villes et des campagnes en France 1780-1940, Strasbourg, 2005.

Claude Muller