Concubinage (des clercs)

De DHIALSACE
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L’Eglise catholique et le concubinage des clercs

S’il y a eu, dès les premiers siècles de l’Eglise latine, des décrets conciliaires préconisant le célibat pour les prêtres, l’ordination d’hommes mariés n’était pas interdite. Ainsi, jusqu’au XIe siècle, dans l’Eglise catholique d’Occident, les prêtres peuvent être mariés. Certes, le modèle monacal du célibat et de la chasteté s’impose comme norme pour les ministres du culte, en particulier sous le pontificat du moine Hildebrand (Grégoire VII). Ces réformes sont contestées.

Ainsi, l’évêque de Strasbourg Werner II von Achalm (1065-1077), nommé par l’empereur Henri IV est entré en conflit avec les papes parce que non seulement il avait pris femme, mais qu’il encourageait aussi les prêtres à en faire autant (Notice R. Bornert, NDBA, 40, 2002, 4193-4194).

L’interdiction d’ordonner des hommes mariés intervient au deuxième concile du Latran (1132). Latran II décrète également que les prêtres ne doivent pas cohabiter avec des femmes, sauf s’il s’agit de leur mère, leur tante, leur soeur, ou d’une « servante ayant atteint l’âge canonique » (c’est-à-dire ne pouvant plus avoir d’enfants). Autorités spirituelles et temporelles craignent en effet que les biens de l’Eglise ne puissent être accaparés par les enfants de prêtres.

Mais nombre d’évêques ferment les yeux sur le mariage des prêtres de leur diocèse. Le IVe concile de Latran (1215) ayant décrété la publicité des bans précédant le mariage, le mariage secret est désormais interdit aux prêtres qui, s’ils vivent avec une femme, vivent donc en concubinage.

Le nombre de prêtres qui vivent en concubinage varie fortement, ainsi que l’opinion des fidèles à l’égard des prêtres concubinaires. Sont-ils 30 %, chiffre avancé prudemment par Francis Rapp pour le clergé de la Préréforme ? Ils relevaient des poursuites pénales ecclésiastiques. Le nombre de clercs poursuivis est très faible et ils devaient observer le conseil donné par Wimpheling « que le prêtre pèche au moins en secret et qu’il prenne des précautions pour ne point offenser la pudeur et ne pas donner un mauvais exemple aux autres » (Rapp, p. 427). Un siècle plus tard, la situation n’a guère évolué. Dans le clergé alsacien, étudié par Chatellier, le nombre de concubinaires semble toujours aussi élevé, à ceci près, qu’ils sont plus souvent poursuivis devant l’officialité. C’est au cours du XVIIe que les évêques de la Contre-Réforme se livreront à « une véritable chasse aux servantes » et la norme finira pas s’imposer à la fin du XVIIe siècle (Chatellier, 174-179).

Dans le diocèse de Bâle, en application des peines prévues par le concile de Trente, les clercs concubinaires étaient frappés d’une amende correspondant à un tiers de leurs revenus annuels. En cas de récidive, elle équivalait à la totalité des revenus d’une année, voire davantage. Un compte particulier de l’officialité permet une synthèse de ces cas entre 1591/92 et 1623/24 : « Tabula accepti et expensi ratione transgressionis mandatorum de amovendis concubinis editorum in dioecesi Basiliensi ». Il n’existe pas de pareille vue d’ensemble pour le diocèse de Strasbourg, mais les cas sont évoqués dans les registres du Conseil Ecclésiastique, qui procédait aux nominations et aux mutations d’autorité. Il est assez amusant de constater qu’en cas de faute grave, les clercs fautifs étaient déplacés d’un bord du Rhin sur l’autre, d’Alsace vers les trois chapitres ruraux de l’Ortenau et inversement. Certains finissaient par être démis et réduits à se chercher une situation dans un autre diocèse.

Bibliographie

DURAND de MAILLANE (Pierre-Toussaint), Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale..., Lyon, 1787, II, p. 145-148.

NAZ (R.), Dictionnaire de droit canonique, Paris, 1935, III, col. 1516-1523.

PFLEGER (Lucien), Die elsässiche Pfarrei : Ihre Entstehung und Entwicklung. Ein Beitrag zur kirchlichen Rechts- und Kulturgeschichte..., Strassburg, 1936, p. 257-271.

CHEVRE (André), « L’officialité du diocèse de Bâle à Altkirch à l’époque de la contre-réforme 1565-1630 »,Zeitschrift für schweizerische Kirchengeschichte, Beiheft 4, Fribourg, 1946.

RAPP (Francis),Réformes et Réformation à Strasbourg, Strasbourg, 1974.

CHATELLIER (Louis), Tradition chrétienne et renouveau catholique dans l’ancien diocèse de Strasbourg, 1981.

François Igersheim

La Réformation et le concubinage ou mariage des clercs

Au tournant du XVe au XVIe siècle, la critique des moeurs du clergé se fait plus âpre parmi les laïcs. Ceux-ci s’en prennent en particulier au concubinage. Ils vilipendent la débauche des clercs et l’entretien de concubines, pourtant interdit par les lois de l’Eglise. Les prédicateurs acquis au mouvement évangélique ont repris ces critiques. Le sujet occupe une large place dans la Christliche Verantwortung, publiée en 1523 par Matthieu Zell, pléban à la cathédrale de Strasbourg. Il estime qu’un tiers des clercs de l’Eglise romaine vivent dans la fornication (k 4v°). Cela est dû à l’interdiction du mariage des clercs. Cette interdiction ne peut être justifiée par l’Ecriture sainte, où il est question du mariage des évêques, et ne sert ni la gloire de Dieu ni le salut des âmes. Par la foi, la sainteté peut se vivre aussi dans le mariage. Il n’est pas légitime d’opposer à la nature des interdictions et des voeux perpétuels.

Après Bucer, qui était arrivé marié à Strasbourg en avril 1523, sept autres clercs strasbourgeois, dont Firn, curé de Saint-Thomas, et Matthieu Zell se marièrent en 1523 et 1524. Les diverses mises en garde de l’évêque adressées au Sénat de la ville et aux clercs en question restent sans effet. Les 6 clercs mariés, cités à comparaître, n’obtempèrent pas. Les diverses prises de position, dont celle de Catherine Zell, épouse de Matthieu, font valoir que les autorités ecclésiales tolèrent le concubinage des clercs, mais veulent interdire le mariage, qui est pourtant proposé à tous les chrétiens par l’Ecriture sainte.

La Confession d’Augsbourg (1530, article XXIII) affirme que « certains de nos prêtres sont entrés dans l’état de mariage. Ils donnent pour raison qu’ils y ont été poussés et amenés par la grande détresse de leur conscience, étant donné que l’Ecriture annonce clairement que l’état de mariage a été institué par Dieu le Seigneur pour éviter l’impudicité ». La Confession invoque aussi l’histoire et les écrits des Pères, et rappelle que « c’est depuis quatre cents ans seulement qu’en Allemagne les prêtres ont été contraints par force de faire voeu de chasteté et de renoncer au mariage […] mais, alors que le célibat impur engendre un très grand nombre de scandales, d’adultères et d’autres crimes qui méritent le châtiment de l’honnête magistrat : malgré cela, il est étonnant qu’il ne s’exerce en aucun domaine une rigueur plus grande que contre le mariage des prêtres ». La Tétrapolitaine, confession présentée à Augsbourg par les Strasbourgeois et trois autres villes, s’exprime dans le même sens dans l’article XII. Par la suite les autorités font pression sur les pasteurs débutants pour les inciter à se marier dès que possible.

Sources - Bibliographie

ZELL (Matthieu), Christliche Verantwortung, 1523, reproduite dans WEYER (Michel), L’Apologie chrétienne du réformateur strasbourgeois Matthieu Zell, thèse, Strasbourg, 1981.

ZELL (Catherine), « Entschuldigung Katharina Schützinn für M. Matthes Zellen, iren Ehgemal », McKEE (Elsie Anne), Katarina Schütz Zell, t. II, The Writings, a critical edition, Leyden, 1999, p. 16-54.

BAUM (Adolf), Magistrat und Reformation in Strassburg bis 1529, Strasbourg, 1887.

BUCKWALTER (Stephen E.), Die Priesterehe in Flugschriften der frühen Reformation, Gütersloh, 1998.

BUCKWALTER (Stephen E.), « L’apologie du mariage dans les prédications de Bucer et d’autres Réformateurs », ARNOLD (Matthieu), Annoncer l’Evangile (XIe - XVIIe siècle). Permanences et mutations de la prédication, Paris, 2006, p. 279-292.

HEITZ-MULLER (Anne-Marie), Femmes et Réformation à Strasbourg (1521-1549), Paris, 2009.

Marc Lienhard