Concubinage

De DHIALSACE
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Konkubinat, Winkelehe

Vie maritale commune d’un homme et d’une femme non mariés.

La définition et les effets du concubinage dépendent de ceux du mariage. En droit romain, le concubinage d’un homme ou d’une femme l’un ou l’autre déjà marié et donc adultère est prohibé. Le concubinage d’hommes et de femmes non mariés est considéré comme illégitime et ne peut avoir d’effets : les conjoints survivants en cas de prédécès de l’un d’eux n’ont aucun droit ; leurs enfants sont illégitimes et n’ont aucun droit à la succession. Vers 550, intervient un adoucissement : le code Justinien admet que la concubine esclave est affranchie du fait du concubinage et les enfants légitimés. Le concubinage devient une forme de mariage dépourvu de formalités. Les leges des peuples germaniques (Goths, Burgondes, Francs saliens, Lombards, du Ve au VIIe siècle, Francs ripuaires, Alamans, Bavarois des VIIe et VIIIe siècles), de plus en plus influencées par la législation romaine, comprennent de nombreuses dispositions réglementant le mariage, mais elles excluent le mariage de libres et de non-libres ou celui entre eux de non-libres, à l’exception des lois wisigothes et lombardes du VIIIe siècle, influencées par le Code Justinien. L’Eglise ne parvient pas à imposer sa conception du mariage – indissolubilité, monogamie – et les rois et princes germaniques continuent d’entretenir des concubines en nombre. Les non-libres, qui constituent jusqu’au VIIIe siècle la très grande majorité de la population, sont exclus du mariage et contraints au concubinage. La doctrine de l’Eglise qui condamne les relations sexuelles hors mariage contribuera à leur conférer la « capacité juridique matrimoniale ». La loi salique subordonne le mariage des esclaves à l’autorisation du seigneur, et celui-ci peut y mettre fin, par exemple séparer les couples en cas de vente de terres ou de personnes. Mais l’évolution vers la féodalité et la seigneurie domaniale associée aux pressions de l’Eglise modifie la situation : il est de l’intérêt du seigneur domanial d’encourager les naissances de ses serfs et de ses vilains. Les difficultés viennent désormais de mariages entre personnes de conditions différentes ou serfs de seigneuries différentes (formariages). Le mariage est désormais un état civil normal, mais aussi un sacrement dans la loi des campagnes telle qu’elle est codifiée pour le sud des pays germaniques par le Schwabenspiegel (1275). Il est encore prévu que la femme libre qui se marie avec un serf devienne serve et ne revienne à la liberté que si son mari meurt avant elle (Kutz, ZGO, 2008). Mais si le concubinage de conjoints libres et non adultères est régularisé par le mariage, les enfants sont légitimés et ont droit à la succession (Schwabenspiegel, Drittes Landrecht 377). On peut rencontrer pour les mariages de personnes de statuts différents le terme de Kebsehe, mais il est généralement utilisé pour désigner le concubinage « polygame » ou l’entretien d’une autre femme (Nebenfrau) en sus de la femme légitime.

L’air de la ville libère-t-il ses habitants, bourgeois et manants ? Ce n’est pas tout de suite le cas pour les mariés de conditions différentes, qui doivent le Buteil dont ils ne sont affranchis que par la franchise accordée par l’empereur Henri V. A Worms, les serfs venus des territoires de l’abbaye de Murbach (Saint-Léger) sont si nombreux qu’ils se voient confier la défense d’une partie du rempart : Henri V leur donne la liberté de se marier avec un conjoint de statut ou d’origine différente (1114). Puis le droit se généralise : à Strasbourg (UBS, I), Colmar (Franchises de 1278). A Sélestat, la liberté de mariage, quelle que soit la condition des conjoints, est expressément mentionnée (Stadtrecht 1292, art. 13).

L’Eglise élève définitivement le mariage au rang des sacrements, désormais au nombre de sept, au concile de Latran (1215). Mais la période est aussi celle de la mise en valeur du célibat religieux orthodoxe ou hétérodoxe (cathare), tant chez les hommes que chez les femmes, avec le renouveau du monachisme, le développement des établissements et ordres religieux, et tout particulièrement ceux des femmes, l’essor des béguinages. L’essor de la poésie courtoise n’y change rien : l’amour que se vouent Tristan et Iseut n’est pas plus heureux dans le poème de Gottfried de Strasbourg que dans celui de ses inspirateurs anglais ou français, et tous ces poètes ne le situent pas dans le cadre conjugal, bien au contraire. Le mariage subit l’effet des catastrophes démographiques du XIVe siècle : il est plus tardif, ce qui se répercute sur les naissances, donne encore plus de liberté aux veufs et aux veuves, tout particulièrement à l’égard de l’activité professionnelle et renforce encore le développement des béguinages. Dans les campagnes où la liberté de mariage n’est pas encore acquise, mais où la main-d’oeuvre corvéable et taillable s’est faite plus rare, les seigneurs se lient par des traités autorisant le formariage des non-libres de leurs seigneuries respectives (Ehegenossame).

Est-ce dans ce cadre que s’insère le développement du concubinage dans les villes ? D’après Hatt (Strasbourg XVe), les philippiques de Geiler ne visent pas que les clercs concubinaires ; il se plaint tout autant des difficultés de la vie conjugale et en particulier des femmes, apparemment plus souvent harpies que douces compagnes. Certes, c’est surtout l’adultère qui est visé, celui que pratiquent maris et femmes (Hatt, Strasbourg, 172-175). Mais Francis Rapp nous rappelle que le Magistrat s’alarme de la dégradation des moeurs depuis le début du XVe siècle, bien avant les piques du célèbre imprécateur. Les ordonnances du Magistrat se succèdent au cours du XVe siècle, interdisant aux bourgeois concubinaires d’être membres des Conseils (Eheberg, 1433, 1469). Rapp nous montre qu’en 1514 encore, le Magistrat fait de ces ordonnances, si peu respectées, un code, promettant des peines d’amendes légères aux concubinaires non mariés s’ils régularisaient leurs liaisons, tout comme pour les relations adultères auxquelles les conjoints doivent mettre fin, alors qu’elles étaient jadis punies de peines infamantes et de bannissement. Et de décréter à nouveau l’exclusion des concubinaires des Conseils. La condamnation du concubinage des clercs doit être replacée dans ce contexte. Et ce souci d’ordre moral peut expliquer le succès de la Réformation à Strasbourg (Rapp, Mélanges Rouche).

Est-ce à dire que le concubinage disparaît avec le passage de Strasbourg à la Réforme ? Incontestablement, la politique répressive de la ville a porté ses fruits. Certes, les conceptions prénuptiales – fruits de concubinages avant mariage ? – se maintiennent à un taux élevé (de 3 à 6 %) et les couronnes de paille que portent en signe d’infamie les mariées enceintes n’avaient rien des peines encourues au Moyen Age. Plus probante encore, la faiblesse des naissances illégitimes. Dreyer-Roos cite le pourcentage de 1,46 % pour la décennie 1663 à 1673, soit celui des campagnes au contrôle social si serré. Christian Wolff signale que, dans les campagnes du XVIIe et du XVIIIe siècles, les ministres des cultes catholiques et protestants imposent un régime fort sévère à l’égard des « concubinaires ». Tantôt on jetait en prison les coupables pour les empêcher de fuir avant leur mariage imposé (Dambach-la-Ville, 22 novembre 1647), tantôt on les mettait à l’amende, après pénitence, et, lors de la cérémonie, comme à Strasbourg, la mariée était couronnée de paille. On voulait que leur honte fût publique, de manière à décourager de possibles imitateurs. Le plus souvent, le mariage intervenait quand la future était déjà enceinte, mais l’officiant qualifie mariée et enfants de noms infamants, rayant le qualificatif Jungfer devant le nom de la mariée, remplacé par Hure. A Jebsheim, il faut que le pasteur impose le mariage de conjoints concubinaires ayant déjà plusieurs enfants à une belle-mère qui s’oppose à leur mariage. Cette sévérité semble s’estomper au XVIIIe siècle.

Dans la ville restée catholique de Sélestat, où le concubinage est expressément interdit en 1401, nous voyons le Magistrat le condamner à nouveau en 1654 sous le nom de Winckelehe ou mariage clandestin, c’est-à-dire contracté sans publication de bans ni célébration publique, contrairement au décret Tametsi du concile de Trente. L’ordonnance du Magistrat prononce la nullité de ces mariages clandestins, ce qui est également la position de l’Eglise catholique. Les « mariages clandestins » que juge l’officialité au début du XVIIIe siècle sont majoritairement le fait de militaires et quelquefois même célébrés par le ministère d’aumôniers militaires (Blettner). Ils sont assimilés au concubinage.

Le rattachement de l’Alsace à la France introduit un droit beaucoup plus détaché devant ces déviances, comme en témoigne la formule de Ferrière : si le droit français n’a pas établi « des peines contre ceux qui vivent ensemble dans le concubinage, c’est que la faiblesse humaine semble diminuer devant les hommes la grandeur de ce péché qui d’ailleurs ne fait tort à personne… ». A Strasbourg, avec l’installation de la garnison, le nombre de naissances illégitimes s’établit à 16 % des naissances en 1785. Le « relâchement des moeurs » est attribué aux nouveaux Strasbourgeois, domestiques, militaires, car la vieille bourgeoisie luthérienne reste fort rigoriste. Et un certain nombre de nobles, officiers, fonctionnaires reconnaissent leurs enfants nés hors mariage. L’interdiction des mariages mixtes catholiques et protestants a-t-elle joué pour détourner du mariage ? Probablement moins que l’interdiction de mariage imposée aux soldats par l’ordonnance sur le service dans les places et quartiers de mars 1768, qui codifiait des instructions antérieures. Il n’en reste pas moins qu’un nombre appréciable de mariages proviennent de la régularisation de concubinages (Dreyer-Roos, p. 189). Le pourcentage de naissances illégitimes ne s’accroît guère sous la Révolution et l’Empire. Le code pénal de 1810 condamne l’adultère de la femme s’il est dénoncé par son mari, non pas l’adultère du mari, sauf si la concubine du mari est entretenue sous le toit conjugal. Triomphe du mâle ? Comme dans le droit matrimonial du code civil ? Mais pour le concubinage proprement dit, on en reste à la règle antérieure : indifférence du droit civil, condamnation par le droit canonique.

 

Sources - Bibliographie 

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UBS, t. I.

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Notices connexes

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