Cimetière

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Friedhof, Gottesacker, Kirchhof

Lieu où l’on enterre les morts.

L’origine du mot « cimetière » est à rechercher dans les termes grec koimètèrion (dortoir) et latin cimiterium qui servent, dès l’Antiquité, à désigner divers lieux funéraires, le plus souvent individuels.

Du Néolithique au haut Moyen Âge

Les premières nécropoles organisées apparaissent au Néolithique ancien avec la civilisation danubienne et la sédentarisation des populations d’agriculteurs et d’éleveurs qui colonisent la plaine d’Alsace vers 5500 avant J.-C. Localisées à proximité des villages, ces nécropoles se composent de tombes individuelles en fosses, creusées en pleine terre, qui accueillent le corps du défunt et le mobilier funéraire qui l’accompagne (ainsi à Ensisheim, Mulhouse-Est, Wettolsheim dans le Haut-Rhin, Rosheim, Hoenheim-Souffelweyersheim, Lingolsheim, Quatzenheim, Osthoffen dans le Bas-Rhin). Sa richesse et sa diversité sont liées non seulement au sexe, mais aussi au statut social du défunt. Les rites évoluent au gré de la succession des divers groupes humains qui peuplent la plaine d’Alsace au cours du Néolithique, mais l’inhumation avec dépôt de mobilier constitue la règle durant plusieurs millénaires.

La Protohistoire (2000 à 50 avant J.-C.) voit se développer de nouveaux rites funéraires : au Bronze final, la crémation domine et les cimetières regroupent, en vastes « Champs d’urnes », les récipients contenant les cendres et le mobilier funéraire où sont associés céramiques et objets en bronze. Les tombes sous tumulus forment également de grandes nécropoles établies près des villages dans les zones non cultivées. Des milliers de tertres en terre ont ainsi été repérés, groupés en ensembles plus ou moins importants, du nord au sud de l’Alsace. Les centaines de tumuli de la Forêt de Haguenau forment l’un des sites les plus connus. Les tombes à char de la période celtique se composent, quant à elles, de vastes chambres funéraires en bois où repose le défunt, associé à un char à deux ou quatre roues et à un imposant mobilier funéraire qui témoigne du caractère aristocratique et du rang social privilégié du défunt (ainsi à Hatten, Ohnenheim, Appenwihr...).

L’époque romaine voit se succéder, mais aussi coexister, la crémation, dominante aux Ier et IIe siècles après J.-C., puis l’inhumation, qui prend la relève aux deux siècles suivants. Les nécropoles se localisent de façon préférentielle le long des routes à la sortie des agglomérations (par exemple le long de la Route des Romains à Strasbourg-Koenigshoffen), conformément à la Loi des Douze Tables. Stèles funéraires sculptées du portrait des défunts, longues épitaphes gravées, sarcophages en pierre ou en plomb livrent de nombreuses informations sur la vie quotidienne et les croyances des Gallo-Romains.

À l’époque mérovingienne (Ve au VIIIe siècle), les « cimetières en rangées » se développent à la périphérie des villages et accueillent les défunts, inhumés avec leurs vêtements, leurs armes et leurs objets personnels dans de vastes cimetières de plusieurs centaines de tombes régulièrement disposées. Des enclos funéraires avec fossés, pourvus de vastes chambres en bois protégées par un tertre en terre, sont réservés à l’aristocratie et regroupent parfois les membres d’un même clan (Niedernai, Illkirch, Erstein…). Le dépôt de mobilier est de règle et est fonction du sexe et du rang social du défunt, bien que la christianisation tente de mettre fin à cette pratique.

Le cimetière médiéval

Le cimetière chrétien, tel que nous le connaissons aujourd’hui encore, apparaît avec le Moyen Âge. En rupture avec l’idée d’exclusion des défunts hors de la ville, l’Église va faire coexister durant de longs siècles les vivants et les morts au coeur des agglomérations rurales et urbaines. La première étape de ce rattachement est perceptible dès les VIIIe et IXe siècles, avec le souci des baptisés d’être inhumés ad sanctos, au plus près du lieu (chapelle ou église) où reposent le corps ou les reliques d’un saint, afin de bénéficier de son intercession auprès de Dieu. L’inhumation doit se faire impérativement en terre consacrée et le cimetière devient ainsi rapidement indissociable de l’église paroissiale (les premières sont souvent dédiées à saint Martin), dans et autour de laquelle les tombes trouvent tout naturellement leur place. Les païens, les hérétiques et les excommuniés sont interdits d’inhumation en terre chrétienne.

Le cimetière est, tout au long de la période médiévale, un lieu public où les membres de la communauté villageoise se rencontrent, se livrent à nombre d’activités diverses, et où, malgré les interdictions répétées de l’Église, se déroulent fêtes et danses. Le Magistrat de Haguenau interdit aux bourgeois d’y fendre du bois et de confectionner des cordes.

C’est aussi un lieu de refuge lors des périodes de troubles et d’insécurité. Plus de cent vingt cimetières fortifiés ont été recensés en Alsace (Hunawihr, Hartmanswiller, Châtenois, Balbronn...) ; ils constituent un phénomène de masse, répondant aux besoins des habitants de mettre en sécurité, dans un lieu de paix et d’asile, leurs biens les plus précieux. De nombreux cimetières alsaciens possèdent, dès le XIIe siècle, des « celliers » (ou Gaden) ; chaque famille du village a sa maisonnette à cave voûtée, adossée contre le mur d’enclos du cimetière, où sont stockés réserves alimentaires et biens précieux (l’un des exemples les mieux conservés est celui de Dossenheim-sur-Zinsel). Le clocher fortifié constitue un élément indissociable du lieu saint, à la fois tour d’observation d’où l’on peut sonner le tocsin, et lieu de défense et de refuge ultime. Le large développement de l’artillerie au cours du XVIIe siècle va mettre un point final à ce rôle défensif du cimetière fortifié.

Le cimetière abrite souvent aussi un ossuaire, où l’on dépose pieusement les ossements des défunts lors de la « vidange » régulière des sépultures. Chaque ossuaire possède sa chapelle, fréquemment dédiée à saint Michel, qui est tout à la fois le patron des cimetières et des mourants. Certains de ces bâtiments nous sont parvenus, parfois décorés de peintures murales rappelant leur condition aux mortels : parmi les plus connus, on peut citer Lupstein, Pfaffenheim, Kaysersberg, Wihr-au-Val ou encore Epfig ou Dambach.

La fouille de nécropoles médiévales s’est développée au cours des trente dernières années en Alsace en parallèle à l’aménagement du sous-sol des églises ou des grands travaux urbains qui touchent d’anciens cimetières ou sites de couvents. L’archéologie et l’anthropologie livrent une image renouvelée de la société médiévale, révélant la complexité des rites et gestes funéraires (construction des tombes, remplissage des cercueils avec des plantes odoriférantes ou de la chaux, dépôt de chapelets et médailles, traces d’embaumement, inhumation habillée pour les nobles...), mais aussi des données sur l’état sanitaire de la population (maladies chroniques, malnutrition, accidents, déformations osseuses...).

Les cimetières juifs

À partir du XIe siècle, les communautés juives créent, hors les murs, leurs propres espaces funéraires, car elles n’avaient pas le droit, jusqu’en 1789, d’inhumer les défunts dans l’enceinte des agglomérations. Ils inhument les décédés dans des cimetières autorisés par l’autorité seigneuriale, le plus souvent fort loin de leurs communautés. Ainsi, dans la nécropole d’Ettendorf, autorisée au début du XVIe siècle, sont inhumés les Juifs de plusieurs dizaines de communautés, sur une zone s’étendant de Wissembourg à Rosheim. Le cimetière de Rosenwiller est attesté dès 1366 dans une charte et des fragments de stèles provenant du cimetière juif de Strasbourg d’avant 1349 sont conservés dans les musées. La plupart des grandes nécropoles connues aujourd’hui remontent au XVIIe siècle (Jungholtz, Saverne, Ingwiller, Soultz-sous-Forêts…).

La Réforme protestante et les cimetières

La Réforme protestante change profondément la donne. Le cimetière cesse d’être le lieu d’intercession pour le défunt pour devenir le lieu de l’annonce de la Parole du réconfort pour la famille. Comme le lieu ne sanctifie plus le défunt, Luther peut recommander le transfert hors de la ville, pour raison hygiénique, ce qui est appliqué à Strasbourg dès le XVIe siècle, alors que, dans les bourgades, le cimetière continue à rester à côté de l’église, tant que la place le permet, souvent jusqu’au XIXe siècle. Seules les familles nobles et quelques universitaires, dont l’historien Schoepflin, bénéficient encore du droit d’être inhumés dans une église. Avec l’apparition du simultaneum à partir des années 1680, le cimetière est partagé en deux selon les confessions, une situation qui se maintient souvent jusqu’à l’heure actuelle (Bernard Vogler).

XVIIe et XVIIIe siècles

La dramatisation de la mort au cours des XVIIe et XVIIIe siècles se veut une pédagogie salutaire pour les vivants et un rappel constant de l’omniprésence de la mort. Les monuments funéraires conservés dans les églises mettent en scène « transis », squelettes, crânes et nombreux emblèmes funéraires qui rappellent tous la brièveté de la vie et la nécessité de se préparer sans relâche à l’échéance fatale.

Mais l’interdiction d’inhumer dans les églises, un privilège réservé jusqu’alors à l’aristocratie et au clergé avant de s’ouvrir peu à peu à la bourgeoisie urbaine, est prise le 17 mai 1776 par l’administration royale. Outre les préoccupations hygiénistes, s’y expriment une sensibilité nouvelle, au XVIIIe siècle, envers les défunts et l’émergence croissante du respect de l’individu, tout comme le souhait de pouvoir se recueillir sur une tombe bien identifiée. La nature est largement présente dans le mouvement de création qui s’amorce vers 1780 et qui voit naître les premiers cimetières extra-urbains.

Le cimetière urbain des XIXe et XXe siècles

Avec la laïcisation de la société et le recul de la crainte de la mort devant les progrès de l’hygiène et de la médecine, l’emprise de la religion décline progressivement. Une législation nouvelle est mise en place par le décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804) qui réglemente, en grande partie aujourd’hui encore, l’organisation des cimetières et des pompes funèbres. La gestion des cimetières est définitivement retirée à l’Église et confiée aux communes, entraînant de nombreuses créations de cimetières. Grand consommateur d’espace, le cimetière urbain se déplace alors vers la périphérie des villes, soit par translation du cimetière paroissial, soit par une création ex nihilo. Sa trame reconstitue l’organisation non seulement topographique, mais aussi sociale des villes, à tel point que le cimetière urbain du XIXe siècle peut être considéré comme un véritable reflet de la société des vivants.

Cette sécularisation va de pair avec la possibilité d’acquérir des concessions individuelles ou familiales. Celles-ci se multiplient dans la première moitié du XIXe siècle, à tel point qu’une gradation de leurs tarifs de vente (de la concession trentenaire à la concession perpétuelle) est instituée par les communes par la circulaire du Ministère de l’Intérieur du 20 juillet 1841 (qui tente en vain de freiner leur expansion) et par l’ordonnance royale du 6 décembre 1843. Cette dernière réaffirme fortement le caractère laïc du cimetière, dont la gestion et la police relèvent exclusivement de la commune.

La puissance de la religion continue toutefois à s’affirmer malgré tout dans la séparation entre les religions en un espace public (ou privé) où coexistent les différentes composantes religieuses de l’Alsace des XIXe et XXe siècles : espaces séparés dédiés aux tombes catholiques ou protestantes (luthériennes ou calvinistes), existence de cimetières juifs directement gérés par les Consistoires, cimetières mennonites établis dans des lieux reculés. Des cimetières inter-confessionnels sont créés par la circulaire de 1841, mais son application est parfois conflictuelle.

Un patrimoine menacé

Les cimetières constituent un domaine d’études vaste et diversifié et un lieu privilégié pour appréhender l’histoire d’une collectivité à travers les textes des épitaphes, mais aussi les portraits en buste ou en médaillon des personnalités qui ont marqué l’histoire politique, culturelle, économique ou religieuse de la cité.

Par l’évolution de leurs formes et de leurs décors, les monuments funéraires reflètent également les grands courants artistiques qui imprègnent l’art des siècles passés. Les formes architecturales évoluent au gré de l’esthétique de chaque époque : néo-classicisme, styles néo-roman ou néo-gothique, Art nouveau influencent tour à tour sculpteurs et marbriers. En Alsace, la tradition séculaire du travail du grès et la présence d’un réseau d’artisans qualifiés garantissent tout au long du XIXe siècle une réelle qualité et une grande créativité des formes et des décors, dans lesquels se déploie une symbolique funéraire riche et complexe.

La fragilité du patrimoine funéraire – liée au caractère juridique privé des monuments et au renouvellement constant des concessions échues – commence à être prise en compte et l’inventaire et la préservation des monuments les plus représentatifs sont venus répondre aux destructions périodiques des monuments. L’intérêt historique et artistique de l’art funéraire a été affirmé à travers de nombreuses actions individuelles ou collectives, dont le vaste recensement réalisé par la Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace dans le cadre de la commission « Inventaire et sauvegarde » en réponse à une directive de la Préfecture du Bas-Rhin (en 1985) pour le recensement des tombes antérieures à 1850, elle-même inspirée par une recommandation du Ministère de la Culture. La protection et le classement au titre du patrimoine et des sites de certains cimetières – tel le Cimetière central de Mulhouse – a ouvert la voie grâce à l’action de l’association « Mémoire mulhousienne ». De même, la création d’espaces spécifiques pour accueillir et regrouper les monuments anciens remarquables a été faite à Villé ou Rosheim par exemple. L’Écomusée d’Alsace a, pour sa part, créé un espace funéraire en 1995 avec l’association des marbriers du Haut-Rhin. Citons également la politique d’édition de guides de visite et d’expositions mise en oeuvre par le Département funéraire de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg depuis 2007 pour sensibiliser les propriétaires des monuments, mais aussi le grand public, à l’intérêt de ce patrimoine longtemps négligé.

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Guides des cimetières de la Ville de Strasbourg. Sont parus : n° 1 cimetière Saint-Urbain (2007) ; n° 2 cimetière Saint-Gall (2008) ; n° 3 cimetière Saint-Louis (2008) ; n° 4 cimetière Sainte-Hélène (2009) ; n° 5 cimetière Sud et cimetière du Polygone (2010).

Notices connexes

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