Burgfrieden : Différence entre versions

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<p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">paix castrale, ''pax castrensis''</p> <p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">Au Moyen Âge, toute maison bénéficie d’une paix spéciale, qui implique que tout acte de violence y est prohibé, et que les représentants de l’autorité publique ne peuvent y pénétrer qu’à certaines conditions. Tout château, en tant que maison, bénéfice de la même paix, mais c’est une maison dont les habitants sont armés, volontiers violents et souvent de mauvaise foi. Le maintien de la paix y est donc problématique. Mais s’il a donné lieu à des conventions écrites, c’est à cause d’une circonstance aggravante&nbsp;: beaucoup de châteaux sont partagés entre plusieurs ayants-droit, au départ parents proches (l’oncle et le neveu à Hohkoenigsbourg en 1147&nbsp;: MGH SS 26, p. 70), mais parents déjà éloignés à Hohegisheim dans la 2<sup>e</sup> moitié du XII<sup>e</sup> siècle (''RA'' 106, 1980, p. 30-31). C’est surtout à partir de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle que de tels partages se multiplient, notamment parce que beaucoup de fiefs sont tenus en communauté (''Samtlehen'') par tous les mâles d’un lignage&nbsp;; et plus l’économie monétaire se développe, plus souvent des parts de châteaux sont vendues ou mises en gage, de sorte qu’un château peut devenir la possession commune de nobles nombreux, en partie non apparentés entre eux&nbsp;; ils étaient 44 ou 46 à Ortenberg vers 1470 (AMS VI 144/10)&nbsp;; on les appelle en alémanique médiéval ''gemeiner'', en all. moderne [[Ganerben|''Ganerben'']], en fr. médiéval ''comparsonniers''. C’est dans ce contexte qu’apparaissent en Alsace vers la fin (ailleurs dès le milieu) du XIII<sup>e</sup> siècle des conventions jurées réglant les conditions de la jouissance commune d’un château partagé&nbsp;; depuis le 2<sup>e</sup> quart du XIV<sup>e</sup> siècle, elles portent le nom de ''Burgfrieden''. On pourrait les définir comme des règlements de copropriété, n’était le fait que beaucoup de châteaux ne sont pas tenus en propriété, mais en fief ou en gage. La première règle qu’ils imposent est le respect de la paix dans le château et dans un périmètre défini (''zirkel'') autour de celui-ci&nbsp;: dans cette zone, aucun habitant du château ne doit s’en prendre à la personne ni aux biens d’aucun autre, même si par ailleurs ils sont en guerre. Il s’agit ensuite de la délimitation des parties privatives et de l’accès aux parties communes, de la constitution de réserves de vivres, d’armes et de munitions, du paiement de la garnison et des travaux d’entretien. Au XV<sup>e</sup> siècle, le détail de ces questions est confié à un ou plusieurs [[Baumeister|''Baumeister'']], qui sont en quelque sorte des syndics de copropriété, en général désignés pour un an. Il arrive que les comparsonniers exercent cette charge par roulement. Plus souvent, le ''Baumeister'' sortant désigne son successeur, qui ne peut refuser la charge. Il tient la caisse commune et veille à ce que chaque coseigneur y verse sa contribution, ordonne les dépenses (travaux de construction et d’entretien, achat de matériel, salaire de la garnison…), convoque des assemblées de [[Gemeiner|''Gemeiner'']], et rend des comptes en fin de mandat.</p> <p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">Les paix castrales font une grande place au règlement des querelles&nbsp;: celles des comparsonniers sont arbitrées (par les autres, par le(s) ''Baumeister'', ou par un arbitre / ''obman'' extérieur au groupe des&nbsp;''Gemeiner'', et désigné par la paix castrale)&nbsp;; celles des valets sont passibles de prison, voire, en cas de coups et blessures, de mutilation (LA Speyer C 58/219&nbsp;: Schoeneck 1517) – ce qui montre que les coseigneurs exercent à l’intérieur de la zone de paix une juridiction étendue&nbsp;; seuls les homicides y échappent&nbsp;: les paix alsaciennes les renvoient toujours à la justice ordinaire, mais ce n’est pas toujours le cas ailleurs (Maurer 1976, 113-14).</p> <p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">La plupart des paix réglementent aussi les droits de séjour ([[Enthalt|''Enthalt'']], ''entheltnis''), c’est-à-dire l’ouverture (payante) du château à un tiers désireux de l’utiliser comme base pour sa guerre – pratique qui fait entrer de l’argent dans la caisse commune, mais fait courir des risques au château et entretient l’insécurité en facilitant la guerre privée à ceux qui n’ont pas eux-mêmes part à un château, y compris des non-nobles.</p> <p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">Lorsque le château est menacé, le ''Burgfrieden'' fait obligation aux co-seigneurs de le défendre ensemble, et s’il est pris, d’agir de concert pour le récupérer, sans conclure de paix séparée avec l’assaillant.</p> <p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">Lorsque le château est le centre d’une seigneurie tenue comme lui en commun, il arrive que le ''Burgfrieden'' finisse par devenir un règlement pour l’administration commune de celle-ci&nbsp;; ce n’est plus que d’elle qu’il s’agit p. ex. dans celui des Andlau en 1516 (ABR 39J 237), les châteaux eux-mêmes n’y jouant plus aucun rôle.</p> <p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">Les ''Burgfrieden'' étant des conventions privées, comment les faire respecter, à quelles sanctions recourir contre les violateurs, ou contre ceux qui font fi des arbitrages prévus&nbsp;? Ils sont déclarés parjures et sans honneur, ce qui devrait en principe les exclure de la société nobiliaire, mais celle-ci a parfois d’étranges tolérances. Ils sont aussi menacés d’énormes amendes, mais comment les faire rentrer&nbsp;? Les exclure du château, ou confisquer leur part au profit des autres [[Gemeiner|''Gemeiner'']], peut être efficace si aucun de ceux-ci ne se solidarise avec le coupable. Mais que faire quand un des deux coseigneurs d’un château en expulse l’autre, au mépris de la paix jurée&nbsp;? On voit là que les ''Burgfrieden'', rendus nécessaires par la faiblesse de l’autorité publique et des institutions judiciaires, ne peuvent y suppléer que si toutes les parties prenantes acceptent de s’y plier, ce qu’on ne saurait attendre d’un milieu aussi indiscipliné que la noblesse.</p>
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== <span style="font-size:x-large">Bibliographie</span> ==
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paix castrale, ''pax castrensis''
<p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">RAPP (Francis), «&nbsp;Le «&nbsp;Burgfrieden&nbsp;» du Nideck en 1422&nbsp;», in&nbsp;: ''RA'' 94, 1955, p. 94‑111.</p> <p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">MAURER (Hans-Martin), «&nbsp;Rechtsverhältnisse der hochmittelalterlichen Adelsburg, vornehmlich in Südwestdeutschland&nbsp;», in&nbsp;: PATZE (Hans) éd., ''Burgen im deutschen Sprachraum'' (Vorträge & Forschungen, 19), 1976, II, p. 77‑190, ici 104-16.</p> <p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">MENGUS (Nicolas), «&nbsp;Les paix castrales (Burgfrieden) dans les villes et châteaux alsaciens du Moyen Âge&nbsp;», in&nbsp;: ''RA'' 118, 1992, p. 11‑21.</p> <p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">RÖDEL (Volker), «&nbsp;Die Burg als Gemeinschaft&nbsp;: Burgmannen und Ganerben&nbsp;», in&nbsp;: CLEMENS (Lukas) & SCHMITT (Sigrid) éd., ''Zur Sozial- und Kunstgeschichte der mittelalterlichen Burg'', 2009, p. 109‑39.</p>
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== <span style="font-size:x-large">Notices connexes</span> ==
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Au Moyen Âge, toute maison bénéficie d’une paix spéciale, qui implique que tout acte de violence y est prohibé, et que les représentants de l’autorité publique ne peuvent y pénétrer qu’à certaines conditions. Tout château, en tant que maison, bénéfice de la même paix, mais c’est une maison dont les habitants sont armés, volontiers violents et souvent de mauvaise foi. Le maintien de la paix y est donc problématique. Mais s’il a donné lieu à des conventions écrites, c’est à cause d’une circonstance aggravante&nbsp;: beaucoup de châteaux sont partagés entre plusieurs ayants-droit, au départ parents proches (l’oncle et le neveu à Hohkoenigsbourg en 1147&nbsp;: MGH SS 26, p. 70), mais parents déjà éloignés à Hohegisheim dans la 2<sup>e</sup> moitié du XII<sup>e</sup> siècle (''RA'' 106, 1980, p. 30-31). C’est surtout à partir de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle que de tels partages se multiplient, notamment parce que beaucoup de fiefs sont tenus en communauté (''Samtlehen'') par tous les mâles d’un lignage&nbsp;; et plus l’économie monétaire se développe, plus souvent des parts de châteaux sont vendues ou mises en gage, de sorte qu’un château peut devenir la possession commune de nobles nombreux, en partie non apparentés entre eux&nbsp;; ils étaient 44 ou 46 à Ortenberg vers 1470 (AMS VI 144/10)&nbsp;; on les appelle en alémanique médiéval ''gemeiner'', en all. moderne [[Ganerben|''Ganerben'']], en fr. médiéval ''comparsonniers''. C’est dans ce contexte qu’apparaissent en Alsace vers la fin (ailleurs dès le milieu) du XIII<sup>e</sup> siècle des conventions jurées réglant les conditions de la jouissance commune d’un château partagé&nbsp;; depuis le 2<sup>e</sup> quart du XIV<sup>e</sup> siècle, elles portent le nom de ''Burgfrieden''. On pourrait les définir comme des règlements de copropriété, n’était le fait que beaucoup de châteaux ne sont pas tenus en propriété, mais en fief ou en gage. La première règle qu’ils imposent est le respect de la paix dans le château et dans un périmètre défini (''zirkel'') autour de celui-ci&nbsp;: dans cette zone, aucun habitant du château ne doit s’en prendre à la personne ni aux biens d’aucun autre, même si par ailleurs ils sont en guerre. Il s’agit ensuite de la délimitation des parties privatives et de l’accès aux parties communes, de la constitution de réserves de vivres, d’armes et de munitions, du paiement de la garnison et des travaux d’entretien. Au XV<sup>e</sup> siècle, le détail de ces questions est confié à un ou plusieurs [[Baumeister|''Baumeister'']], qui sont en quelque sorte des syndics de copropriété, en général désignés pour un an. Il arrive que les comparsonniers exercent cette charge par roulement. Plus souvent, le ''Baumeister'' sortant désigne son successeur, qui ne peut refuser la charge. Il tient la caisse commune et veille à ce que chaque coseigneur y verse sa contribution, ordonne les dépenses (travaux de construction et d’entretien, achat de matériel, salaire de la garnison…), convoque des assemblées de [[Gemeiner|''Gemeiner'']], et rend des comptes en fin de mandat.
<p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">[[Baumeister|''Baumeister'']]</p> <p class="mw-parser-output" style="text-align: justify">[[Friede|''Friede'']]</p> <p class="mw-parser-output" style="text-align: right">'''Bernhard Metz'''</p> 
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Les paix castrales font une grande place au règlement des querelles&nbsp;: celles des comparsonniers sont arbitrées (par les autres, par le(s) ''Baumeister'', ou par un arbitre / ''obman'' extérieur au groupe des&nbsp;''Gemeiner'', et désigné par la paix castrale)&nbsp;; celles des valets sont passibles de prison, voire, en cas de coups et blessures, de mutilation (LA Speyer C 58/219&nbsp;: Schoeneck 1517) – ce qui montre que les coseigneurs exercent à l’intérieur de la zone de paix une juridiction étendue&nbsp;; seuls les homicides y échappent&nbsp;: les paix alsaciennes les renvoient toujours à la justice ordinaire, mais ce n’est pas toujours le cas ailleurs (Maurer 1976, 113-14).
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La plupart des paix réglementent aussi les droits de séjour ([[Enthalt|''Enthalt'']], ''entheltnis''), c’est-à-dire l’ouverture (payante) du château à un tiers désireux de l’utiliser comme base pour sa guerre – pratique qui fait entrer de l’argent dans la caisse commune, mais fait courir des risques au château et entretient l’insécurité en facilitant la guerre privée à ceux qui n’ont pas eux-mêmes part à un château, y compris des non-nobles.
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Lorsque le château est menacé, le ''Burgfrieden'' fait obligation aux co-seigneurs de le défendre ensemble, et s’il est pris, d’agir de concert pour le récupérer, sans conclure de paix séparée avec l’assaillant.
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Lorsque le château est le centre d’une seigneurie tenue comme lui en commun, il arrive que le ''Burgfrieden'' finisse par devenir un règlement pour l’administration commune de celle-ci&nbsp;; ce n’est plus que d’elle qu’il s’agit p. ex. dans celui des Andlau en 1516 (ABR 39J 237), les châteaux eux-mêmes n’y jouant plus aucun rôle.
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Les ''Burgfrieden'' étant des conventions privées, comment les faire respecter, à quelles sanctions recourir contre les violateurs, ou contre ceux qui font fi des arbitrages prévus&nbsp;? Ils sont déclarés parjures et sans honneur, ce qui devrait en principe les exclure de la société nobiliaire, mais celle-ci a parfois d’étranges tolérances. Ils sont aussi menacés d’énormes amendes, mais comment les faire rentrer&nbsp;? Les exclure du château, ou confisquer leur part au profit des autres [[Gemeiner|''Gemeiner'']], peut être efficace si aucun de ceux-ci ne se solidarise avec le coupable. Mais que faire quand un des deux coseigneurs d’un château en expulse l’autre, au mépris de la paix jurée&nbsp;? On voit là que les ''Burgfrieden'', rendus nécessaires par la faiblesse de l’autorité publique et des institutions judiciaires, ne peuvent y suppléer que si toutes les parties prenantes acceptent de s’y plier, ce qu’on ne saurait attendre d’un milieu aussi indiscipliné que la noblesse.
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== Bibliographie ==
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RAPP (Francis), «&nbsp;Le «&nbsp;Burgfrieden&nbsp;» du Nideck en 1422&nbsp;», in&nbsp;: ''RA'' 94, 1955, p. 94‑111.
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MAURER (Hans-Martin), «&nbsp;Rechtsverhältnisse der hochmittelalterlichen Adelsburg, vornehmlich in Südwestdeutschland&nbsp;», in&nbsp;: PATZE (Hans) éd., ''Burgen im deutschen Sprachraum'' (Vorträge & Forschungen, 19), 1976, II, p. 77‑190, ici 104-16.
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MENGUS (Nicolas), «&nbsp;Les paix castrales (Burgfrieden) dans les villes et châteaux alsaciens du Moyen Âge&nbsp;», in&nbsp;: ''RA'' 118, 1992, p. 11‑21.
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RÖDEL (Volker), «&nbsp;Die Burg als Gemeinschaft&nbsp;: Burgmannen und Ganerben&nbsp;», in&nbsp;: CLEMENS (Lukas) & SCHMITT (Sigrid) éd., ''Zur Sozial- und Kunstgeschichte der mittelalterlichen Burg'', 2009, p. 109‑39.
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== Notices connexes ==
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[[Baumeister|''Baumeister'']]
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[[Friede|''Friede'']]
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<p class="mw-parser-output" style="text-align: right">'''Bernhard Metz'''</p>  
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[[Category:B]] [[Category:Droit (sources et pratique du droit) et Justice]] [[Category:Etat et pouvoirs]] [[Category:Guerres et armées]]

Version actuelle datée du 25 mai 2021 à 13:57

paix castrale, pax castrensis

Au Moyen Âge, toute maison bénéficie d’une paix spéciale, qui implique que tout acte de violence y est prohibé, et que les représentants de l’autorité publique ne peuvent y pénétrer qu’à certaines conditions. Tout château, en tant que maison, bénéfice de la même paix, mais c’est une maison dont les habitants sont armés, volontiers violents et souvent de mauvaise foi. Le maintien de la paix y est donc problématique. Mais s’il a donné lieu à des conventions écrites, c’est à cause d’une circonstance aggravante : beaucoup de châteaux sont partagés entre plusieurs ayants-droit, au départ parents proches (l’oncle et le neveu à Hohkoenigsbourg en 1147 : MGH SS 26, p. 70), mais parents déjà éloignés à Hohegisheim dans la 2e moitié du XIIe siècle (RA 106, 1980, p. 30-31). C’est surtout à partir de la fin du XIIIe siècle que de tels partages se multiplient, notamment parce que beaucoup de fiefs sont tenus en communauté (Samtlehen) par tous les mâles d’un lignage ; et plus l’économie monétaire se développe, plus souvent des parts de châteaux sont vendues ou mises en gage, de sorte qu’un château peut devenir la possession commune de nobles nombreux, en partie non apparentés entre eux ; ils étaient 44 ou 46 à Ortenberg vers 1470 (AMS VI 144/10) ; on les appelle en alémanique médiéval gemeiner, en all. moderne Ganerben, en fr. médiéval comparsonniers. C’est dans ce contexte qu’apparaissent en Alsace vers la fin (ailleurs dès le milieu) du XIIIe siècle des conventions jurées réglant les conditions de la jouissance commune d’un château partagé ; depuis le 2e quart du XIVe siècle, elles portent le nom de Burgfrieden. On pourrait les définir comme des règlements de copropriété, n’était le fait que beaucoup de châteaux ne sont pas tenus en propriété, mais en fief ou en gage. La première règle qu’ils imposent est le respect de la paix dans le château et dans un périmètre défini (zirkel) autour de celui-ci : dans cette zone, aucun habitant du château ne doit s’en prendre à la personne ni aux biens d’aucun autre, même si par ailleurs ils sont en guerre. Il s’agit ensuite de la délimitation des parties privatives et de l’accès aux parties communes, de la constitution de réserves de vivres, d’armes et de munitions, du paiement de la garnison et des travaux d’entretien. Au XVe siècle, le détail de ces questions est confié à un ou plusieurs Baumeister, qui sont en quelque sorte des syndics de copropriété, en général désignés pour un an. Il arrive que les comparsonniers exercent cette charge par roulement. Plus souvent, le Baumeister sortant désigne son successeur, qui ne peut refuser la charge. Il tient la caisse commune et veille à ce que chaque coseigneur y verse sa contribution, ordonne les dépenses (travaux de construction et d’entretien, achat de matériel, salaire de la garnison…), convoque des assemblées de Gemeiner, et rend des comptes en fin de mandat.

Les paix castrales font une grande place au règlement des querelles : celles des comparsonniers sont arbitrées (par les autres, par le(s) Baumeister, ou par un arbitre / obman extérieur au groupe des Gemeiner, et désigné par la paix castrale) ; celles des valets sont passibles de prison, voire, en cas de coups et blessures, de mutilation (LA Speyer C 58/219 : Schoeneck 1517) – ce qui montre que les coseigneurs exercent à l’intérieur de la zone de paix une juridiction étendue ; seuls les homicides y échappent : les paix alsaciennes les renvoient toujours à la justice ordinaire, mais ce n’est pas toujours le cas ailleurs (Maurer 1976, 113-14).

La plupart des paix réglementent aussi les droits de séjour (Enthalt, entheltnis), c’est-à-dire l’ouverture (payante) du château à un tiers désireux de l’utiliser comme base pour sa guerre – pratique qui fait entrer de l’argent dans la caisse commune, mais fait courir des risques au château et entretient l’insécurité en facilitant la guerre privée à ceux qui n’ont pas eux-mêmes part à un château, y compris des non-nobles.

Lorsque le château est menacé, le Burgfrieden fait obligation aux co-seigneurs de le défendre ensemble, et s’il est pris, d’agir de concert pour le récupérer, sans conclure de paix séparée avec l’assaillant.

Lorsque le château est le centre d’une seigneurie tenue comme lui en commun, il arrive que le Burgfrieden finisse par devenir un règlement pour l’administration commune de celle-ci ; ce n’est plus que d’elle qu’il s’agit p. ex. dans celui des Andlau en 1516 (ABR 39J 237), les châteaux eux-mêmes n’y jouant plus aucun rôle.

Les Burgfrieden étant des conventions privées, comment les faire respecter, à quelles sanctions recourir contre les violateurs, ou contre ceux qui font fi des arbitrages prévus ? Ils sont déclarés parjures et sans honneur, ce qui devrait en principe les exclure de la société nobiliaire, mais celle-ci a parfois d’étranges tolérances. Ils sont aussi menacés d’énormes amendes, mais comment les faire rentrer ? Les exclure du château, ou confisquer leur part au profit des autres Gemeiner, peut être efficace si aucun de ceux-ci ne se solidarise avec le coupable. Mais que faire quand un des deux coseigneurs d’un château en expulse l’autre, au mépris de la paix jurée ? On voit là que les Burgfrieden, rendus nécessaires par la faiblesse de l’autorité publique et des institutions judiciaires, ne peuvent y suppléer que si toutes les parties prenantes acceptent de s’y plier, ce qu’on ne saurait attendre d’un milieu aussi indiscipliné que la noblesse.

 

Bibliographie

RAPP (Francis), « Le « Burgfrieden » du Nideck en 1422 », in : RA 94, 1955, p. 94‑111.

MAURER (Hans-Martin), « Rechtsverhältnisse der hochmittelalterlichen Adelsburg, vornehmlich in Südwestdeutschland », in : PATZE (Hans) éd., Burgen im deutschen Sprachraum (Vorträge & Forschungen, 19), 1976, II, p. 77‑190, ici 104-16.

MENGUS (Nicolas), « Les paix castrales (Burgfrieden) dans les villes et châteaux alsaciens du Moyen Âge », in : RA 118, 1992, p. 11‑21.

RÖDEL (Volker), « Die Burg als Gemeinschaft : Burgmannen und Ganerben », in : CLEMENS (Lukas) & SCHMITT (Sigrid) éd., Zur Sozial- und Kunstgeschichte der mittelalterlichen Burg, 2009, p. 109‑39.

 

Notices connexes

Baumeister

Friede

Bernhard Metz