Bundschuh

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bundschuh, bundschuer, bundschuhlute

Considéré comme le symbole de l’homme du commun (der gemeine Mann), le soulier à lacets (Bundschuh) désigne une conspiration destinée à renverser les autorités en place, à instaurer une société égalitaire et à promouvoir la justice divine.

Les premières occurrences du mot seraient liées à des actes de résistance contre les Armagnacs (1439) ou de révolte contre des abus seigneuriaux (Schliengen, contre l’évêque de Bâle en 1443). Elles sont vraisemblablement issues d’une expression imagée (« faire Bundschuh » cité à Bergheim en 1430), qui associe les notions de lien (Bund : alliance, par extension serment) et de signal de départ. La bannière frappée de cet emblème (Bundschuhfahne) est attestée en 1502, et devient dès lors un signe de reconnaissance de la paysannerie jusqu’à l’insurrection générale de 1525. Le substantif Bundschuher apparaît au même moment (1502) ; il est rendu par « Bonshommes » dans les régions welsches de la Porte de Bourgogne, sans qu’on puisse établir une filiation – possible ? – avec le « Jacques Bonhomme » des Jacqueries d’Ile de France.

Les quatre principaux complots du Bundschuh concernent l’Alsace. Le tout premier dit « Bundschuh de Sélestat » se traduit par une réunion secrète au sommet de l’Ungersberg en mars 1493 et des préparatifs de soulèvement étouffés dans l’oeuf. Le nombre de conjurés, issus du vignoble proche (plus d’une centaine), et la personnalité de leurs chefs (le schultheis de Blienschwiller Jacob Hanser, l’ancien bourgmestre de Sélestat Hans Ulmann) justifient les inquiétudes durables des seigneurs de la région. Le soulèvement prévu dans la région de Bruchsal au printemps 1502 est interprété comme une résurgence du premier, et donne lieu à des répliques toujours plus fortes sur les deux rives du Rhin, dans le Brisgau autrichien en 1513 et, surtout, à la fin de l’été 1517, où, particulièrement en Basse-Alsace, il rassemble des milliers d’affidés.

Dénonçant des injustices anciennes (la servitude, les privilèges des nobles) ou des abus récents (les péages, les impôts), en réponse à une conjoncture difficile (endettement paysan), les insurgés s’attaquent tout spécialement aux juridictions d’appel et institutions judiciaires lointaines (la cour de justice impériale de Rottweil) ou détournées de leur fonction première (l’officialité diocésaine compétente dans des affaires civiles). Fondé sur une paix chrétienne garantie par l’empereur, leur projet politique vise à faire disparaître tous les pouvoirs intermédiaires et à réformer les moeurs, notamment ceux du clergé (interdiction du cumul des prébendes). L’expulsion des juifs, prévue par les conjurés de l’Ungersberg, mais occultée par la suite, réapparaît en 1519, dans une ultime tentative (limitée à Dangolsheim).

Sous la conduite de Joss Fritz, d’Untergrombach, instigateur du Bundschuh de 1502 et des mouvements ultérieurs jusqu’à sa disparition en 1517, les conspirateurs mettent au point des réseaux de mobilisation, avec un système d’alerte et de communications cryptées (mots de passe, signes de reconnaissance). Quarante messagers sont cités en 1502, soixante‑dix localités comptent des affidés en 1517. Le recours à la violence doit se traduire par la prise de villes, telles Sélestat en 1493, ou plus largement Rosheim, Molsheim, Haguenau ou Wissembourg en septembre 1517, en prélude à une extension de l’insurrection jusqu’à la Forêt‑Noire et par l’élimination physique des opposants, nobles et membres du clergé.

Le Bundschuh s’inscrit dans un environnement où se retrouvent des thèmes de la réforme religieuse et des pulsions millénaristes – il est contemporain de Savonarole – relayé par des écrits politiques inspirés (la Reformatio Sigismundi, le Livre des Cent chapitres) et par une mémoire libertaire. Les Confédérés suisses servent de modèles aux insurgés qui prétendent agir en concertation avec eux ; leurs adversaires insistent sur une telle collusion, en particulier le serment « more Svizerorum ».

La menace de cette révolution a un impact considérable sur les autorités qu’elle force à se concerter et à mettre au point des batteries de mesures préventives ou répressives. En Alsace, c’est en 1502 que s’engage ce processus qui va permettre à la préfecture impériale de Haguenau d’imposer de nouvelles formes de coopération régionale, surtout après son passage sous le contrôle des Habsbourg, en 1504.

Les trois rencontres de Sélestat, les 29 avril, 1er juin et 30 juin 1502, permettent aux villes et aux seigneurs immédiats d’Alsace et à leurs voisins de la rive droite du Rhin d’engager une coopération militaire et judiciaire contre les Bundschuher : surveillance des suspects, dénonciation, échange d’informations, contrôle des zones sensibles, opérations de police, réglementation. À l’échelle locale, les autorités prennent des mesures complémentaires, comme l’interdiction de rassemblements ou la limitation du nombre de participants à des processions (en 1502, la plus grande partie des hommes du Kochersberg sont consignés dans leur village au lieu de prendre part à la grande procession de la Pentecôte en direction de Strasbourg).

Bibliographie

ROSENKRANZ (Albert), Der Bundschuh, Heidelberg, 1927, 2 vol. dont un de documents.

RAPP (Francis), Réformes et réformation à Strasbourg, Strasbourg, 1974.

ROTT (Jean), « Documents inédits sur le Bundschuh et la Guerre des Paysans en Alsace », in : RA, 1979, p. 59‑66.

Bundschuh : Untergrombach 1502, das unruhige Reich und die Revolutionierbarkeit Europas. Dir. Peter BLICKLE, Thomas ADAM, Stuttgart, 2004.

BISCHOFF (Georges), La guerre des paysans, Strasbourg, 2010.

Notice connexe

Krieg (Moyen Age)

Georges Bischoff