Bibliothèque

De DHIALSACE
Révision datée du 28 mars 2021 à 15:16 par Cpereira (discussion | contributions)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à : navigation, rechercher

lat. bibliotheca, libraria, allmd.bücherei, librerey

1. Collection de livres.

2. Meuble dans lequel sont disposés les livres.

3. Pièce ou immeuble où sont réunis des livres, réservé à une institution ou ouvert au public.

Moyen Âge et Temps modernes

1. Les monastères et leurs bibliothèques

En Occident, au haut Moyen Âge, la culture lettrée est le propre des clercs et se concentre dans les établissements religieux, où les moines se consacrent à la prière, au travail manuel et à l’étude. Ce sont les clercs qui lisent, écrivent, étudient, commentent, fabriquent, conservent les livres. Archives et livres, remplissant des fonctions différentes, sont en règle générale conservés à part. À partir de la fin de l’Antiquité, le « codex » ou livre supplante les « rotules » ou rouleaux. Le codex ou livre manuscrit est formé de cahiers de feuilles de parchemin puis de papier, cousus puis reliés en un registre aux ais en bois, recouverts de cuir, quelquefois décorés de plaques de cuivre ou de métal précieux. Les livres sont placés à plat sur des rayonnages. Parfois ils sont cadenassés à une chaîne reliée à une barre qui court le long du rayonnage. Seul le supérieur ou le bibliothécaire détiennent la clé. Les abbayes disposent souvent d’ateliers de copie ou scriptoria, d’enluminure, de reliure d’ouvrages. Entre monastères, les livres s’échangent, s’achètent, se donnent. Des abbayes se spécialisent dans des types déterminés d’ouvrages.

Dans sa grande étude sur les monastères d’Alsace, René Bornert se livre à un examen attentif du contenu des bibliothèques : elles constituent une des raisons d’être de la vie monastique. La bibliothèque-type d’un établissement religieux de la fin du Moyen Âge se classe en ouvrages religieux : Bible (Révélation) - Liturgie (Célébration) - Patristique (Tradition) - Monachisme (Spiritualité) - Dogmatique (Réflexion) - Morale (Application) - Droit canonique (Réglementation). Aux temps modernes (XVIe - XVIIe siècles), on y trouve un fonds assez étendu de controverses : sources protestantes et réfutation catholique.

En Alsace, deux monastères se signalent par la richesse et l’ancienneté de leurs bibliothèques : Murbach et Wissembourg. Nous disposons de copies de deux catalogues de la bibliothèque de Murbach au milieu du IXe siècle : elle comprend près de 500 ouvrages, principalement des Pères de l’Église ; Augustin y occupe la place la plus importante, mais on y trouve également des auteurs « classiques », Cicéron, Virgile, Lucain, Lucrèce, Pline, Sénèque, et des historiens : Tite-Live, Salluste, Flavius Josèphe, ainsi que des traités de droit et de médecine. Au XVe siècle, nombre de ces ouvrages sont déjà perdus, mais l’on s’est efforcé de s’en procurer une copie, ce dont témoigne un catalogue de 1464, reproduit aussi en 1739 par Montfaucon dans sa Bibliotheca Bibliothecarum. En 1786, une partie de la bibliothèque est vendue à l’abbaye de Sankt-Blasien. Le reste est saisi par la Révolution et versé à la bibliothèque de l’Ecole centrale de Colmar, dont la succession sera assurée par la Bibliothèque Municipale de Colmar. Le catalogue de ses manuscrits est publié par Pierre Schmitt en 1969 dans le Catalogue général des Manuscrits des bibliothèques publiques de France - Colmar, Tome LVI, Paris, 1969. L’analyse des manuscrits subsistants témoigne de l’ancienneté de la bibliothèque de Murbach, dont les premiers livres, quelques dizaines, remontent au VIIIe siècle, et dont le scriptorium a probablement multiplié le nombre par dix en un siècle.

Le scriptorium le plus illustre d’Alsace est pourtant celui de Wissembourg. Il est actif, lui aussi depuis la fin du VIIIe siècle. Il connaît son apogée au milieu du IXe siècle, avec Otfrid de Wissembourg. À ce moment-là, la bibliothèque de Wissembourg comprenait 190 manuscrits, dont 81 produits à Wissembourg, les autres achetés ou échangés avec d’autres monastères, dont Saint-Gall. On voit des moines signer leurs copies. Otfrid semble s’être réservé la collation et le décor duLivre des Evangiles. Au courant du XIVe siècle, on inaugure un mode de classement qui deviendra commun ; les ouvrages de la bibliothèque furent cotés par lettres : B (Ancien Testament), C (commentaires de l’Ancien Testament), D (livres du Nouveau Testament), E (commentaires du Nouveau Testament), F (théologie, histoire de l’Église), G (droit canonique et civil), I (grammaire et littératures profanes). Ce qui avait été la bibliothèque monastique la plus riche d’Alsace fut dispersé et vendu lors de la fin de l’abbaye en 1524. L’essentiel est racheté au début du XVIIIe siècle par le duc de Brunswick-Wolfenbüttel et est conservé à Wolfenbüttel.

L’activité d’autres monastères s’est poursuivie jusqu’à la Révolution. Nous ne savons rien de la bibliothèque de Marmoutier, pourtant fondée au VIIIe siècle par les Mérovingiens. La Contre-Réforme catholique et le rayonnement du séminaire de Molsheim semblent revitaliser d’anciens monastères bénédictins. Ainsi, Marmoutier met en place un cycle d’études de théologie. Ce réveil s’accompagne au XVIIIe siècle d’un accroissement subit de sa bibliothèque qui compte 6 440 volumes lorsqu’elle est saisie en 1790. Même contraste pour Ebersmunster, fondé par les Etichonides, connu pour ses chartes, vraies et fausses, dont la bibliothèque ancienne semble avoir disparu : l’abbaye paraît renaître à la vie intellectuelle au XVIIe siècle et reconstitue sa bibliothèque.

L’abbaye de Munster se distingue par une activité plus régulière : appréciable au Moyen Âge, soutenue jusqu’à la Révolution. Certes, son scriptorium n’est pas aussi rayonnant que celui de Wissembourg, mais il pourvoit à ses besoins en bibles et ouvrages liturgiques. Il s’est même lancé dans la copie d’ouvrages d’histoire. En 1656, l’abbaye est rattachée à la congrégation lorraine de Saint-Vanne, engagée dans le renouveau des études monastiques. Dom Calmet, présent à Munster de 1690 à 1696, puis de 1704 à 1706, est le pilote de ce renouveau. La bibliothèque s’accroît de manuscrits (37), d’incunables (60) qui, avec les 4 688 imprimés, seront saisis en 1790. La bibliothèque d’Altorf connaît la même évolution : disparition au moment de la guerre des paysans, reconstitution au XVIIe siècle.

Au XVIIIe siècle, les Cisterciens connaissent également un réveil de la vie monastique, avec la reconstruction de leurs abbayes et une attention soutenue portée à leurs bibliothèques. Celle de l’abbaye de Neubourg fait l’objet d’un inventaire dressé par les commissaires des biens nationaux. Elle comprenait 1124 ouvrages dont une dizaine de manuscrits, psautiers, bibles, bréviaires. La bibliothèque de l’abbaye de Pairis avait péri dans les flammes en 1653. Les moines s’efforcent de la reconstituer. Un abbé actif fait acheter, au début de 1712, une trentaine d’ouvrages, dont le Journal de Trévoux, et donne à l’abbaye une vingtaine d’ouvrages. Le commissaire des saisies mettra la main sur 2 278 ouvrages en 1790, soit bibles et littérature biblique (200), liturgie (73), patristique (271), théologie (420), pastorale (120), histoire (487), spiritualité (269), langues et philosophie (189), sciences et divers (152).

Une grande partie de la bibliothèque de Lucelle avait péri dans les flammes en 1699, et elle ne comptait que 264 volumes. Des dons successifs permirent d’accroître ce maigre fonds initial. En 1768, l’abbé Grégoire Girardin acquiert près de 12 000 ouvrages (Bornert (René), Les Monastères d’Alsace des origines à la Révolution française, Strasbourg, 2010-2011). Les bâtiments enthousiasment les commissaires qui y projettent tout de suite une manufacture. Leur inventaire ne relèvera que 6 777 volumes, rangés en 39 casiers dans la bibliothèque : Pères de l’Église et Saintes Ecritures (313 ouvrages), Doctrine Chrétienne (214), Ecriture sainte et controverse (205), Commentaires de l’écriture sainte (208), médecine (86), histoire naturelle (53), sermons allemands (303), sermons latins (309), sermons français (171), ouvrages cisterciens, bréviaires et autres classiques (246), dictionnaires, auteurs classiques – Cicéron, Horace –, poésie et rhétorique (89), histoire sainte (530), livres ascétiques (1100), géographie (98), livres de spiritualité (509), et divers (200). En outre, chaque moine disposait dans sa cellule d’un rayonnage avec des livres. Ces livres seront vendus par lots lors des ventes aux enchères des biens de l’abbaye. (Claerr-Stamm (Gabrielle), Les riches heures de l’abbaye de Lucelle, au temps de Nicolas Delfis, SHS, 2008).

Les inventaires des bibliothèques à la commanderie de Malte d’Issenheim, de Soultz, de Sélestat, ou de l’ordre Teutonique à Rouffach seront faits à la livraison des livres au chef-lieu. Pour les Dominicains de Guebwiller, l’on précise que « la bibliothèque est peu considérable et peu précieuse. La plupart des livres qui la composent sont vieux et dépareillés : le catalogue n’en sera point dressé ». Jean‑Luc Eichenlaub a mené à bien l’entreprise du décompte des manuscrits provenant des Dominicains relevés dans le catalogue des manuscrits de la bibliothèque de Colmar et en dénombre 113, pour les Dominicains de Colmar, 17 pour ceux de Guebwiller (dont on a vu avec quel soin ils avaient été traités) et 60 pour celui d’Unterlinden. On pourra difficilement conclure sur l’importance des bibliothèques avant les saisies. Rien non plus chez les Clarisses d’Alspach : des meubles, de la vaisselle, des titres, des rentes : là encore une partie de la bibliothèque a été détournée avant saisie et des manuscrits donnés vers 1905 au Grand Séminaire de Strasbourg.

Sources - Bibliographie

ADHR. Inventaires Série H. 13 H 1 Marbach, 27 H 10 Schoenensteinbach, 1 H 28 Pairis. Série Q. I Q 342 vente d’immeubles situés à Lucelle. I Q 828-835. Inventaires des biens de première origine. Alspach, Lucelle, Saint-Morand, Schonensteinbach, collège de Colmar, ordre de Malte. 1 Q 589-611. Inventaires des biens de première origine. District de Colmar.

EICHENLAUB (Jean-Luc), « Note sur les livres manuscrits des établissements dominicains de Colmar et Guebwiller », in : EICHENLAUB (Jean-Luc) éd., Dominicains et Dominicaines en Alsace XIIIe - XXe siècle. Actes du Colloque de Guebwiller 1994, Colmar, 1996.

CLAERR STAMM (Gabrielle), Les riches heures de l’abbaye de Lucelle, au temps de Nicolas Delfis, SHS, 2008.

BORNERT (René), Les Monastères d’Alsace. Abbayes de Bénédictins, des origines à la Révolution française, Strasbourg, 2009.

2. Les villes : chapitres, couvents

Avec la renaissance de la vie urbaine, les villes concentrent au Moyen Âge un nombre de plus en plus important d’établissements religieux avec leurs bibliothèques. À Strasbourg, la plus importante est celle de la cathédrale, c’est-à-dire celle de l’évêque. Elle semble s’être constituée dès la fin du VIIIe siècle, mais ne prend de l’importance qu’avec l’évêque Erckenbald, auteur de la célèbre chronologie des évêques de Strasbourg, qui la dote d’ouvrages des Pères de l’Église, et des Vies de Martyrs. Werner (1001-1027) poursuit son oeuvre et, outre les bibles, ouvrages liturgiques ou théologiques, accroît le fonds d’ouvrages de l’Antiquité classique et d’ouvrages scientifiques. La bibliothèque compterait 91 volumes en 1372. Au XIVe siècle, les livres de la cathédrale se donnent, se volent et se vendent. Pourtant, à la fin du XVe siècle, la bibliothèque a trouvé un local digne d’elle au-dessus de la salle capitulaire, ce qui encourage de nouveaux donateurs. À la fin du XVIe siècle, elle est dispersée : une partie est vendue à l’Académie protestante (1592), l’autre est achetée par l’ambassadeur de France à Strasbourg, Bongars, un bibliophile passionné, et de là, par dons successifs, parvient à la bibliothèque de Berne, enfin une troisième partie est achetée par le comte palatin, Frédéric Casimir de Deux-Ponts (Gass). Après celle de la cathédrale, la bibliothèque la mieux fournie est celle du chapitre Saint-Thomas. Le catalogue qu’en a dressé le chanoine Twinger de Koenigshoven relève 40 ouvrages, bibles, ouvrages liturgiques, droit canonique, Pères de l’Église et ouvrages scientifiques. En 1480, le chapitre se dote d’une bibliothèque neuve et aux ouvrages manuscrits (43), s’ajoutent désormais des ouvrages imprimés (23). La plupart des chanoines se firent protestants, mais la bibliothèque fut dispersée : on se serait attendu à ce qu’elle passe à la Haute Ecole.

Le catalogue du chapitre de Saint-Pierre-le-Jeune, établi en 1688, illustre l’évolution que connaissent les fonds d’une bibliothèque après l’invention de l’imprimerie. En 1474, la chronique de Twinger de Koenigshoven, cet auteur à succès de l’édition manuscrite, mort en 1420, est imprimée pour la première fois à Augsbourg. La bibliothèque de Saint-Pierre-le-Jeune comptait avant la Réforme (1529), 20 manuscrits et 200 incunables (soit des ouvrages imprimés avant 1500). S’y ajoutent près de 400 ouvrages imprimés ultérieurement. À eux seuls, ces chiffres témoignent de la prodigieuse révolution qu’a entraînée l’imprimerie. La bibliothèque réunit surtout des ouvrages de droit canonique, des ouvrages scolaires (dictionnaires latins), des vies de saints, des ouvrages liturgiques, mais aussi des missels, antiphonaires, psautiers, bréviaires, rituels et calendriers liturgiques (généralement conservés à part dans un meuble des sacristies et souvent non recensés par les catalogues), en outre, des livres d’histoire ancienne, allant de Thucydide à Suétone, et des livres de médecine.

L’examen des bibliothèques des couvents strasbourgeois présente un tableau contrasté, dû pour l’essentiel au manque de sources. Les Franciscains avaient établi à Strasbourg leur studium generale, mais on ne sait à peu près rien de leur bibliothèque, qui aurait cependant compté les oeuvres de Duns Scot. Lestudium generale des Dominicains était situé à Cologne et le couvent de Strasbourg n’assure qu’un studium artium pourtant fort réputé aux XIIIe et XIVe siècles. Accueillant Maître Eckart et Jean Tauler, le Strasbourg des dominicains et dominicaines est un centre du mysticisme rhénan. Pourtant, à l’exception d’une donation considérable de 100 ouvrages manuscrits (1420), on ne sait rien de précis sur leur bibliothèque. On estime à 500 le nombre de livres du couvent des Dominicains.

Voir TURCK (Sandrine), Les Dominicains à Strasbourg, entre prêche, prière et mendicité (1244-1420), Strasbourg, 2002.

Données très fragmentaires également pour les bibliothèques des Augustins. C’est hors les murs qu’il faut chercher les grandes bibliothèques. À la Chartreuse de Strasbourg d’abord. Il est vrai que leurs statuts faisaient des chartreux des moines copistes et ils ont utilisé une imprimerie. La Chartreuse est démolie en 1591. Sa bibliothèque inventoriée peu auparavant, vraisemblablement par Jean Pappus, comprenait 342 ouvrages manuscrits et 83 imprimés (Charles Schmidt). Les Chartreux établis à Molsheim intentent un procès à la ville et obtiennent par transaction la restitution de la bibliothèque – avec des pertes – en 1600 (René Bornert). Plus importante, la bibliothèque des Johannites. Devant son origine au mystique Merswin, cette commanderie comprenait les manuscrits de son fondateur et les oeuvres de Maître Eckhart et de Suso. Le catalogue établi en 1746, lorsque sa bibliothèque s’accroît de celle de la commanderie de Sélestat, recense 889 manuscrits, dont le plus ancien remontait à 1312. Sciences, théologie, philosophie, droit, médecine, mathématiques, astronomie, toutes les branches du savoir médiéval étaient représentées. Mais elle comprenait également des classiques latins et des oeuvres allemandes, dont un exemplaire de la Chronique de Koenigshoven.

Les bibliothèques des couvents de femmes semblent avoir été moins fournies et s’être cantonnées aux oeuvres d’édification.

Des particuliers peuvent disposer de bibliothèques et l’abondance de certaines donations témoigne de leur importance. Geiler, Wimpheling sont connus pour leurs bibliothèques, qui dépassent sans doute la centaine d’ouvrages. Constituée de dons de savants humanistes, la bibliothèque de Sélestat le démontre également.

La bibliothèque de la Chartreuse de Molsheim avait donc pris à partir de 1600, le relais de celle de Strasbourg, tout comme Molsheim devenait pour un siècle le centre intellectuel que le catholicisme alsacien opposait à la ville forte protestante de Strasbourg. Le 13 juillet 1790, la municipalité de Molsheim dresse l’inventaire sommaire de la bibliothèque : elle contenait 486 manuscrits, 184 liasses d’archives et 4 133 volumes imprimés. En tête figure le celèbre Hortus Deliciarum, de l’abbesse de Sainte-Odile, Herrade (René Bornert).

3. La ville universitaire

En 1529, la célébration de la messe est interdite à Strasbourg et la plupart des couvents fermés : leurs locaux doivent accueillir des écoles, que supervisent les prefecti scholarium. En 1531, pour permettre aux enseignants qui n’avaient pas les moyens de s’acheter leurs livres, d’étudier, il est décidé de créer une « bibliothèque ». Elle est ouverte au-dessus du cloître de l’église des Dominicains (1535). Elle déménagera en 1609 dans le choeur de l’église. Les enseignants de la Haute-Ecole ont accès trois fois par semaine à la bibliothèque et peuvent même emporter des livres chez eux. En 1612, un professeur de la Haute-Ecole est nommé bibliothécaire ; il en gère le fonds et les acquisitions. En 1615, la bibliothèque s’accroît de la très riche bibliothèque du président du Convent Pappus (plus de 7 000 ouvrages). Le professeur Cluthenius, nommé bibliothécaire à vie, peut dresser le catalogue d’une bibliothèque convenable pour la nouvelle Université créée par transformation de la Haute-Ecole en 1621. L’on dispose de crédits pour les acquisitions, mais les fonds s’accroissent surtout par les achats et les dons de bibliothèques des professeurs, qui continuent à se constituer des bibliothèques pour leurs recherches. Ainsi, de la bibliothèque de Bernegger (1636), du théologien Dannhauer (1668), du juriste Rebhan (1689), du diplomate Marc Otto (1692). Au XVIIIe siècle s’y ajoutent la bibliothèque du mathématicien Hartenstein (1726), du médecin Scheid (1731) des archivistes de la ville, les Wencker (1771).

Bibliographie

SCHMIDT (Charles), « Livres et bibliothèques à Strasbourg au moyen âge », in : RA, 1877, p. 433‑454, 59‑85.

GASS (Joseph), Strassburgs Bibliotheken, ein Rück-und Überblick auf Entwicklung und Bestand, Strasbourg, 1902.

BORNERT (René), Les Monastères d’Alsace, des origines à la Révolution française, Strasbourg, 2010-2011.

4. Le retour des institutions catholiques

Avec le rattachement de Strasbourg à la France, le clergé catholique et ses institutions font leur retour dans la ville. Le Grand Séminaire et Collège des Jésuites comprennent une bibliothèque richement dotée par les évêques, par de riches donateurs, par d’anciens recteurs jésuites, enfin par le versement de la bibliothèque du Séminaire et de l’Université épiscopale de Molsheim. Mais la Compagnie est dissoute avant que ne soit inaugurée la belle bibliothèque du Grand Séminaire (1768) qui comprend alors 25 000 ouvrages. Confisqués en 1791, ces ouvrages sont transportés au Temple-Neuf en 1806, alors que les Facultés de Médecine et de Droit s’installent dans les locaux de l’ancien Grand Séminaire.

5. La première bibliothèque « publique » de Strasbourg

À la fin du XVIIIe siècle, Schoepflin donne sa bibliothèque à la ville contre une rente viagère de 2 400 livres ; elle compte 11 400 ouvrages, avec un nombre important de manuscrits, dont les « chroniques bourgeoises » rédigées par des magistrats ou secrétaires de villes d’Alsace. Son catalogue est imprimé dans la Bibliothèque historique de la France de Lelong remise à jour par Fevret de Fontette (1777). La bibliothèque de la ville, dont les ouvrages voisinent au Temple-Neuf, avec ceux de l’université protestante est la première bibliothèque publique d’Alsace. Confiée aux professeurs Koch et Oberlin, elle est ouverte trois fois par semaine pendant deux heures.

6. Bibliothèques bourgeoises à Colmar et Mulhouse

Les collèges catholiques et les gymnases luthériens disposent de bibliothèques scolaires. Lors de la suppression des Jésuites, les livres des collèges jésuites sont repris par les collèges municipaux. À Sélestat, pourtant, les Jésuites organisent une vente avant saisie qui peut bien préfigurer les procédés qui se reproduiront pendant la Révolution (décembre 1764) (Gény 1896).

À Colmar, les conseillers à la Cour souveraine amassaient d’importantes bibliothèques. La succession du président Corberon comprend 708 ouvrages en 1729, celle du conseiller Demougé 564. Tous les conseillers n’ont pas autant aimé les livres ! (Umbrecht). La nouveauté à Colmar, c’est la greffe d’une bibliothèque sur l’activité d’une société littéraire. Société de lecture protestante d’abord, fondée en 1760, qui réunit 2 100 volumes, qui seront remis en 1806 au nouveau Consistoire protestant de Colmar. Société philosophique à partir de 1785, la Tabagie littéraire est ouverte aux notables libéraux de toutes confessions. Le catalogue de sa bibliothèque est établi en 1787 par l’imprimeur du roi Jean Henri Decker. Elle comptait 241 ouvrages. Mais la répartition des ouvrages par centres d’intérêt nous fournit une indication précieuse sur les mutations des goûts des lecteurs éclairés de la bourgeoisie alsacienne à la veille de la Révolution. Les domaines de l’histoire et de la géographie contenaient 68 titres dont 8 en allemand ; l’histoire naturelle et la physique, 9 titres dont un en allemand ; les Belles Lettres et les Beaux Arts, 64 titres dont 2 en anglais et 10 en allemand ; enfin la philosophie, les périodiques et « mélés », 100 titres dont 15 en allemand. (BMC, Ms 701, Catalogue des livres qui se trouvent dans la bibliothèque de la Tabagie littéraire de Colmar 1787, imprimé par Jean Henri Decker, Imprimeur du Roi). Une bibliothèque somme toute modeste, mais où dominent les titres français. Plus original : la Tabagie littéraire est abonnée à un nombre appréciable de revues françaises, le Mercure de France, le Journal de Paris, le Moniteur, le Courrier de l’Europe, que l’on vient lire le soir, quand il n’y a pas de séance de conférences (Braeuner, 1994).

Mulhouse compte une « bibliothèque municipale » depuis 1643, confiée aux pasteurs et ouverte une heure par semaine le jeudi. Ses livres auraient été « détruits par les vers et la négligence des administrateurs ». En 1747, nouvel essai, toujours pour une heure par semaine : nouvel échec. Les livres sont vendus en 1798. Il ne semble pas que la Société patriotique, société « philanthropique » fondée en 1775, qui se réunit à l’Hôtel de Ville, ait eu une bibliothèque ou pris des abonnements. Ses membres devaient sans doute se procurer leurs propres livres. La bibliothèque de Josué Hofer, le greffier-syndic de Mulhouse comptera 1 416 titres ; elle dépasse de loin en importance celle de Corberon et l’histoire y occupe la première place (Schreck, 1993).

Bibliographie

GENY (Joseph), Die Jahrbücher der Jesuiten zu Schlettstadt und Rufach 1615-1765, Strasbourg, 1896, p. 716-717.

BRAEUNER (Gabriel), Pfeffel l’Européen, Strasbourg, 1994.

LIVET (Georges), WILSDORF (Nicole), Le Conseil souverain d’Alsace au XVIIe siècle, Strasbourg, 1997.

UMBRECHT (Véronique), Entre Empire et royaume, les MM. du Conseil souverain et leurs demeures au XVIIIe siècle en Alsace. Thèse multig., Strasbourg, 2008.

SCHRECK (Nicolas), La République de Mulhouse et l’Europe des Lumières, Strasbourg, 1993.

La Révolution : les saisies ; les bibliothèques publiques

Le 2 novembre 1789, les biens du clergé sont mis à la disposition de la Nation et ses biens immobiliers sont destinés à être vendus. Mais dès le 27 octobre 1790, l’on interdit la vente des bibliothèques, dont les livres doivent être réunis et mis à la disposition du public. On songe d’abord à créer avec ces fonds des bibliothèques de district, mais avec la création des Écoles centrales en 1795, l’on se décide pour des bibliothèques départementales rattachées aux Écoles. En 1803, ces bibliothèques sont mises à la disposition des municipalités des chefs-lieux du département.

Le but des Assemblées révolutionnaires avait été de créer des bibliothèques ouvertes au public ; la nature des ouvrages, principalement de théologie ou d’ouvrages pieux, avait réduit à peu de chose ce projet, d’autant plus qu’on mettra des décennies à venir à bout du catalogage indispensable.

1. Dans le département du Bas-Rhin

Dans les départements, les commissaires aux saisies se mettent en route et organisent les charrois qui centralisent les livres dans les chefs-lieux. Sylvie Gueth a évalué l’importance des bibliothèques dans le département du Bas‑Rhin, d’après les inventaires des saisies opérées, soit sur place, soit au moment de leur réception à Strasbourg. Les commissaires devaient distinguer les imprimés et les manuscrits, ils ne l’ont pas toujours fait et sont souvent restés fort vagues. Les chiffres qui résultent de leurs inventaires ne peuvent donc qu’être fort approximatifs, mais ils fournissent des indices de l’importance des bibliothèques. Ainsi les saisies opérées ont donné au Palais épiscopal 2 964 ouvrages et 30 000 au Grand séminaire, chez les Augustins de Landau, plusieurs milliers ; chez ceux de Haguenau, 884 ; chez les Bénédictins d’Ebersmunster, 10 000 imprimés et 30 manuscrits ; chez ceux de Marmoutier, 6 440 imprimés et 68 manuscrits ; chez ceux d’Altorf, 1 067 imprimés ; chez les Cisterciens de Neubourg, 1 012 imprimés et 7 manuscrits ; chez les Chartreux de Molsheim, 4 635 imprimés et 504 manuscrits ; chez les Capucins de Molsheim, une centaine d’imprimés ; chez ceux de Wasselonne, 63 imprimés ; et 1 086 imprimés au grand couvent des Capucins de Strasbourg, mais rien au petit couvent des Capucins de Strasbourg ; 1 752 imprimés chez les Récollets de la ville de Strasbourg, mais rien chez les Récollets de la Citadelle de Strasbourg pas plus que chez ceux d’Hermolsheim. Le chapitre de Saint-Pierre-le-Jeune, 180 imprimés, et celui de Saint-Pierre-le-Vieux, 60 imprimés semblent avoir perdu leurs riches bibliothèques. Dans les couvents de femmes, les bibliothèques sont fort réduites : 1 700 à la Congrégation Notre-Dame et 1 059 chez les Visitandines de Saint-Etienne, 1 000 à 1 500 dans la Congrégation du Saint-Sauveur, mais 644 chez les Dominicaines et 164 chez les Augustines. L’ensemble de ces ouvrages est acheminé à Strasbourg et entreposé après un dénombrement sommaire soit au Grand Séminaire (jusqu’en 1802), soit à l’Hôtel de la Noblesse Immédiate de Basse-Alsace, place Saint-Etienne.

Viennent ensuite les bibliothèques des émigrés, dont les biens sont mis sous séquestre : celles de plus de 90 émigrés ont été confisquées. En 1793 déjà, on cite celle de Reich de Reichenstein, de Klinglin, des maréchaux de camp (généraux de brigade) Haag, Dubois, du baron de Berstett, de Samson d’Oberkirch, de l’abbé Boug, d’un Wangen de Geroldseck, d’un prince de Hohenlohe, de Kentzinger, du Prince de Hesse-Darmstadt, de l’ancien Ammeister Zopfel, etc. En tout, ce sont près de 80 000 à 100 000 volumes qui ont été saisis dans cette opération.

Bibliographie

GUETH (Sylvie), La constitution des bibliothèques publiques dans le département du Bas-Rhin, 1789-1803, Mémoire de l’Institut d’études politiques de Grenoble II, 1991.

2. Dans le département du Haut-Rhin

Nous ne disposons pas d’un tableau aussi précis des inventaires de saisies opérées en Haute-Alsace et il est vraisemblable qu’il sera fort difficile à établir, si nous en jugeons par les sondages opérés, tant les commissaires ont semblé peu intéressés par les livres (ou dans certains cas complices de ceux qui les avaient fait disparaître auparavant). À l’exception des bibliothèques des abbayes de Munster et de Pairis, dont les commissaires ont dressé un inventaire sommaire, la provenance des livres ne sera relevée qu’à la réception. Les bibliothécaires établiront que les saisies ont ramené environ 50 000 volumes imprimés, et environ 500 manuscrits latins, 70 allemands, 25 français, 5 italiens. Ils proviennent du chapitre de Guebwiller, de l’abbaye bénédictine de Munster, de l’abbaye cistercienne de Lucelle, de l’abbaye de Pairis, de celle de Marbach, de la commanderie d’Issenheim, des Dominicains de Guebwiller, de Colmar, des Dominicaines de Colmar (Unterlinden et Sainte-Catherine), des Récollets de Colmar, des Augustins de Colmar, de la Collégiale Saint-Martin, du prieuré de Thierenbach, de l’abbaye de Schoenensteinbach. S’y ajoutent les bibliothèques des émigrés : Ribeaupierre, Boug, de Radius, secrétaire des comtes de Ribeaupierre, de Rathsamhausen à Neuf-Brisach, avec quelques centaines de manuscrits, à quoi s’ajoute la petite bibliothèque de la Tabagie littéraire saisie elle aussi, comme celles de toutes les sociétés savantes de France en 1793. Seul un tableau des manuscrits sera établi par les bibliothécaires successifs, Hugot puis Thomas. Ce dernier fait le 27 juin 1870, un tableau succinct des saisies opérées pendant la période révolutionnaire ! (ADHR. 4 T 60 Bibliothèques municipales de Colmar et de Belfort : enquêtes, personnel, règlement intérieur, accroissement des collections, cession et échange d’ouvrages, confection des catalogues 1825-1870).

3. À Strasbourg : les bibliothèques de la Ville

La bibliothèque de l’Université et celle du séminaire protestant, localisées dans le choeur du Temple-Neuf, sont réunies en 1803 dans les locaux d’une bibliothèque de la Ville de Strasbourg qui finance ses conservateurs, professeurs de l’Académie ou des Facultés. Après les collaborateurs de Schoepflin, Koch et Oberlin, exerce Schweighaeuser fils, archéologue de talent, qui rédigera les mémoires des « Antiquités de l’Alsace ». Elle a ses lecteurs : le plus assidu est Goerres qui y passe le plus clair du temps de son séjour à Strasbourg (1819-1826), mais aussi l’historien Chrétien Engelhardt, « chef de la police de Strasbourg », Adam-Walter Strobel, puis, dans la première moitié du XIXe siècle, tous les érudits français (Kentzinger, Golbéry, Bastard), et allemands (Mone, Gfroerer, Böhmer, Pertz, Hegel, etc.) venus avant tout pour les chroniques manuscrites. En 1832, le maire Frédéric de Turckheim fait refaire la bibliothèque du Temple-Neuf par l’architecte de la ville Villot, sur le modèle de celle de Goettingen. Elle renferme alors 200 000 volumes et son catalogue des manuscrits est dressé par Jung. En 1845, à la suite de la querelle du chapitre de Saint-Thomas, un partage est fait entre la bibliothèque du Séminaire et celle de la ville, qui ont désormais chacune son bibliothécaire. La bibliothèque de l’internat Saint-Guillaume a grandi avec le Collegium wilhelmitanum fondé en 1545 dans les anciens locaux du couvent des Guillemites à côté de l’église Saint-Guillaume ; elle a été jointe en 1660 à la bibliothèque de l’Université dans le choeur du Temple Neuf. Elle en est détachée en 1860 et transférée dans les locaux du Séminaire protestant, quai Saint-Thomas. Elle a donc été préservée en 1870 et se trouve actuellement au rez-de-chaussée du Stift au quai Saint-Thomas. Cette bibliothèque est centrée sur les ouvrages de l’humanisme, de la Réforme et de l’histoire protestante jusqu’au XIXe siècle. Elle a été alimentée surtout par des legs de pasteurs.

La création de l’Académie de Strasbourg avec ses facultés, entraîne la constitution d’une bibliothèque universitaire, sise dans le bâtiment de l’Académie. Les ouvrages de droit et de médecine de l’ancienne Université lui sont attribués, et elle s’accroît encore par l’achat de la bibliothèque de l’ancien maire de Strasbourg, Jean Herrmann (12 000 ouvrages). Elle comptera 40 000 volumes en 1870, et son dernier bibliothécaire, l’antiquaire Piton, la met à l’abri du bombardement.

La bibliothèque du Séminaire catholique est en partie restituée à cet établissement en 1827 (8 000 ouvrages recouvrant 20 000 volumes et 120 manuscrits). Là aussi, la bibliothèque allait s’accroître par les dons des évêques, professeurs et curés.

Bibliographie

KOCH (Gustave), Patrimoine des bibliothèques de France, volume 4, Alsace-Franche-Comté, Paris, 1995.

GASS (Joseph),Die Bibliothek des Priesterseminars von Strassburg, eine historische Skizze, Strasbourg, 1902.

4. La bibliothèque de Colmar

Dans le Haut-Rhin, la bibliothèque de Colmar a pour siège l’École centrale devenu Collège municipal. Les bibliothécaires chargés de ces dépôts sont Marquaire, qui sera Président de la Cour d’Appel, puis le professeur à l’école centrale Butenschoen, auquel succède son collègue Hornung. Ce dernier tente de dresser un catalogue des manuscrits. Le travail sera repris par son successeur, l’abbé Reichstetter, nommé en 1817. Le maire Morel, un médecin, se plaint amèrement de l’inutilité pour le public d’une bibliothèque faite d’ouvrages de théologie et d’apologétique. Les rares visiteurs signalés viennent pour voir les tableaux du musée, alors attribués à Albrecht Dürer. Elle ne s’ouvre au public qu’à la suite des circulaires Salvandy de 1839. Cette bibliothèque va former le premier fonds de la future bibliothèque municipale de Colmar, qui aura en 1870, 50 000 ouvrages et un catalogue de manuscrits prestigieux, qui ne brûleront pas… Quant à Mulhouse, vers 1830, la Société industrielle assure le service d’une bibliothèque municipale fort peu fournie.

Bibliographie

IGERSHEIM (François), L’Alsace et ses historiens 1680-1914, Strasbourg, 2006.

Notices connexes

Buchdrucker

Drücker

Imprimeur

Livre

Papier

 

François Igersheim