Batellerie

De DHIALSACE
Aller à : navigation, rechercher

Schifffahrt

En préalable, il convient de dire que, jusqu’au XVIIIe siècle, l’état des routes est désastreux. Aussi le transport des personnes et des biens est-il bien plus rapide et plus sûr par l’eau, en particulier celui des marchandises fragiles et pondéreuses. Par exemple, il suffisait d’une nuit de bateau pour se rendre de Metz à Trêves. Même les cours d’eau modestes, comme la Thur, sont utilisés à des fins de transport par le biais de petites barques.

Sur le Rhin, l’Ill et aussi certains affluents de ces cours d’eau, les transports ont été un élément important de la vie économique. De 72 avant J.‑C. à l’an 453, le Rhin est une voie fréquemment utilisée par l’ennemi, qui pénètre ainsi en Alsace : on connaît la traversée du Rhin par Arioviste, roi des Suèves, les Alamans et les Huns. Mais ce n’est qu’au VIIIe siècle que la navigation rhénane connaît une évolution importante. Le commerce sur l’eau se développe sous Charlemagne, qui accorde aux sujets de l’Église de Strasbourg des privilèges douaniers, notamment des exemptions de péage. Le transport de marchandises par voie d’eau se fait avec des étapes vers Mayence, Francfort et jusqu’à Cologne.

Le port romain, où a été trouvé un autel dédié au « Père Rhin » se situe à Strasbourg, près du quai Saint-Nicolas. Un autre point de chargement et de déchargement se trouve à La Wantzenau, port d’attache traditionnel des négociants strasbourgeois, en raison de la proximité de l’embouchure de l’Ill. Sans doute utilisé dès l’époque romaine, il acquiert une très grande importance au Moyen Âge, et explique sans doute l’extraordinaire richesse de l’abbaye de Honau qui semble avoir contrôlé ce passage du Rhin et l’embouchure de l’Ill.

Les difficultés du métier de batelier sont illustrées par l’adage : « que nul ne se donne pour un batelier s’il n’a pas vu son gouvernail maintes fois mis en pièces ; que nul ne se prétende un héros si sa peau est encore intacte ».

Au Moyen Âge, il existait trois sortes de bateliers : ceux qui étaient rétribués pour leur activité (lohnschiffleute), les marchands qui transportaient leurs propres biens sur leurs propres bateaux, et les timoniers (steuerschiffleute) qui conduisaient les bateaux étrangers sur une distance donnée. Le monopole du transport, lié au paiement de l’adhésion à la corporation (einung) et octroyé par le Magistrat de Strasbourg, ne concerne que les premiers (lohnschiffleute). Ce montant est de 30 schillings au milieu du XIVe siècle (AMS, III, 10/1). En 1789, ces derniers affirment qu’ils ne sont organisés en métier que depuis 1333 (AMS, IV, 102/8). Le deuxième Stadtrecht de Strasbourg les oblige à transporter les Strasbourgeois gratuitement ; en contre-partie, ceux qui se sont vu accorder un lieu d’embarquement par le bailli obtiennent le monopole du transport des personnes (UB, I, 617, §§ 33‑35). Avant l’entrée des bateliers au Conseil en 1332, les sources sont absentes. Toutefois, leur position ne semble pas avoir été dominante comme elle le sera plus tard. Ce n’est qu’en 1392, puis en 1444 qu’ils possèdent, après les merciers, le plus grand nombre d’étalons et de chevaux. Le monopole du transport dont ils bénéficient est souple, dans la mesure où les non-adhérents à la corporation peuvent transporter jusqu’à quatre foudres de marchandises étrangères s’ils disposent de place sur leur bateau. Par ailleurs, les bateliers rémunérés voient leur activité restreinte, dans la mesure où ils ne peuvent affréter que deux bateaux, alors que le transport des marchandises propres est illimité. Ces bateliers rémunérés ne sont pas les charpentiers de bateau, qui ont leur propre corporation.

Il existait trois poêles principaux de bateliers :

– Le poêle « À l’Ancre », qui donnera plus tard son nom à la corporation, pourrait être celui des marchands transportant leurs propres biens. Il est attesté depuis 1398 (AMS, KS, Bd 1, folios 49 et suivants). Il se confond éventuellement avec le poêle dénommé stupa zů dem Schiffe mentionné en 1333 (UB VII, 40) ;

– Le poêle Zum Schiff, attesté en 1366 et 1458, probablement dissout en 1476 (il deviendra celui des pêcheurs). Il regroupe les timoniers qui faisaient avancer les bateaux étrangers sur une distance donnée (UB, VII, 1913) ;

– Le poêle Zum Hirtzhorn, dénommé aussi Hümpelerstube, sis dans la Krutenau, attesté vers 1410 et existant toujours en 1477 (AMS, III, 10/1). Il s’agit apparemment du poêle des lohnschiffleute.

Le poêle « À l’Ancre » se commuera en corporation ; elle connaîtra une ascension qui la placera en tête des corporations strasbourgeoises. Cette prédominance permettra à ses représentants d’occuper les postes clés au Conseil (11 ammeister avec 15 ans d’exercice entre 1349 et 1450 ; merciers : 4 avec 13 ans d’exercice).

Cependant, les bateliers rémunérés et les timoniers ne s’allièrent pas pour affaiblir les bateliers marchands, mais se combattirent en concurrents. Les timoniers tentèrent de créer un monopole sur le Rhin et entrèrent en conflit avec d’autres villes, en particulier Bâle. Le noeud du problème était le transport des personnes, surtout celui des pèlerins se rendant à Einsiedeln, dont le transport faisait l’objet d’un tirage au sort entre les bateliers, marchands exclus. Un règlement corporatif du milieu du XVe siècle (AMS, III, 185/6) retire aux timoniers la liberté de passer contrat et concède le droit aux bateliers rémunérés de distribuer les contrats entre eux et de fixer le montant de la prestation. Dans les années 1470, les timoniers se fondirent dans la corporation « À l’Ancre » dominée socialement et économiquement par les marchands.

Les bateliers disposaient de leur propre confrérie de piété (Brucker, pp. 448 et suivantes).

La circulation sur le Rhin n’est pas un monopole alsacien. Le long du fleuve, certaines villes disposent d’un droit d’étape, ou étape (stapelrecht). Il était accordé par une autorité supérieure (l’archevêque, à Cologne, par une charte de 1169, l’empereur, à Mayence), qui permettait à ces villes d’obliger les marchands passant sur le fleuve à s’y arrêter, à y débarquer leurs marchandises et à les y vendre pendant quelques jours (après leur soustraction de la tutelle de l’archevêque, Cologne imposa son droit par des accords avec les territoires voisins).

Les péages, dont une partie des revenus est destinée au financement de la batellerie (construction des bateaux, rémunération des valets (gabelknechte), entretien des chemins de halage (leinpfäde), sondage du Rhin), apportent un frein au développement de la navigation.

Pendant la Guerre de Trente Ans et les guerres de Louis XIV, le commerce, et donc la batellerie, est plus ou moins paralysé.

Les traités de Westphalie (1648) proclament, certes, la liberté de navigation sur le Rhin et assurent la reprise du trafic, mais la surabondance de professionnels contraint le Magistrat de Strasbourg à organiser un roulement de service (umgang), afin d’assurer à chaque batelier un chargement. Face à cette crise, les bateliers s’adonnent à un trafic clandestin pour leur propre compte.

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, Mayence étend son activité commerciale tant en aval qu’en amont de la ville. Afin d’accélérer les transports et d’éviter les nombreux péages, l’archevêque de Mayence décide de créer un monopole d’embarquement pour ses propres bateliers et défend « aux négociants de ses terres de confier dorénavant leurs marchandises aux bateaux étrangers ».

Il en résulte un conflit avec les Strasbourgeois. S’y ajoutent les tentatives des princes allemands de faire de Kehl un centre concurrent de Strasbourg. En définitive, la conjoncture d’éléments politiques et économiques défavorables est à l’origine d’un fort déclin de la batellerie strasbourgeoise à la fin de l’Ancien Régime.

En 1729, les bateliers de Strasbourg, qui ont le privilège de la navigation entre Strasbourg et Bâle, font défendre, par ordonnance de l’intendant Feydeau de Brou, aux marchands de Haute-Alsace, à peine de confiscation, de faire transporter leurs marchandises sur le Rhin par des bateliers non alsaciens (ordonnance du 11 avril 1729). Une seconde ordonnance du 8 novembre 1729 étend ces mêmes dispositions aux marchands de Basse‑Alsace.

La Révolution française abolit la corporation et proclame la libre circulation sur le Rhin.

Pendant les périodes d’intense activité de transport, le réseau fluvial est augmenté de canaux pour le transport tant des personnes que des marchandises ou à des fins militaires. Ainsi, l’on peut citer le canal Vauban, aujourd’hui partiellement comblé, le canal du Rhône au Rhin, le canal de la Bruche ou encore le canal « des Français » entre Strasbourg et Fort-Louis, où était installée une garnison de Vauban. Il existe également, dans de nombreuses villes, des canaux usiniers (destinés, par exemple, à l’activité des moulins) ou des canaux de drainage.

Sources - Bibliographie

Lexikon des Mittelalters, II, Binnenschiffahrt, p. 197 ; VIII, Stapelrecht, p. 59.

LOEPER (Carl), Die Rheinschifffahrt Strassburgs in früherer Zeit und die Strassburger Schiffleutzunft, 1877, p. 181 et suivantes.

ENGELHARDT (Edouard), « La tribu des bateliers de Strasbourg et les collèges de nautes gallo-romains », Revue Alsacienne, NS 10, 1887, p. 441‑448 ; 505-507 ; 568‑572.

BRUCKER (Johann Karl), Straßburger Zunft- und Polizeiverordnungen des 14. und 15. Jahrhunderts, Strasbourg, 1889, p. 448 et suivantes.

REUSS (Rodolphe), L’Alsace au XVIIIe siècle. La navigation sur le Rhin, 1898, p. 677‑678 ; 683‑686.

STRAUB (K. J.), « Die Oberrheinschifffahrt im Mittelalter mit besonders Rücksicht auf Basel », in : Schriften des Vereins für Geschichte des Bodensees, 41, 1912, p. 70 et suivantes.

LIBAULT (A.), Le Rhin et le Grand Canal d’Alsace, Paris, 1924, p. 26, 79 et suivantes.

KOENIG (Claude), « Les bateliers strasbourgeois sur le Rhin au XVIIIe siècle », in : Annuaire des Amis du Vieux Strasbourg, 1975 ; « Batellerie strasbourgeoise et navigation rhénane », in : Saisons d’Alsace, 1965, 16, p. 187, 190, 487 et 490.

HATT (Jean-Jacques), Présence de Strasbourg, 1980, p. 9, 11 et suivantes.

HATT (Jean-Jacques), « L’Alsace romaine », in : DOLLINGER (Philippe), Histoire d’Alsace, Toulouse, 1983, p. 27 et s.

ALIOTH (Martin), Gruppen an der Macht : Zünfte und Patriziat in Straßburg im 14. und 15. Jahrhundert, Bâle et Frankfurt/Main, 2 vol., 1988, p. 358‑362.

Notices connexes

Ancre (corporation de l')

Canaux

Commerce

Ehn ou Ergers (rivière)

Embarquement (monopole d')

Etape (Droit d')

Fecht (rivière)

Fertiger

Flottage

Foires

Gabelknecht

Harrer

Ill

Kehl

Navigation

Péage

Marcel Thomann, Monique Debus Kehr