Assignat

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Assignat

  1. Destination particulière d’une propriété au paiement annuel d’une rente : le débiteur indique expréssement à son créancier le montant de la rente gagée sur une propriété bien définie. Par extension, titre qui ouvre droit à cette rente.
  2. Monnaie papier gagée sur les biens nationaux. Les décrets de l’Assemblée nationale des 19 et 21 décembre 1789 créent une « Caisse de l’Extraordinaire » qui encaisse le produit de la vente des biens nationaux, et émet des bons de 1000 livres portant intérêt de 5%, assignés sur la valeur des biens nationaux et admis de préférence pour l’achat desdits biens. Ils doivent être détruits au fur et à mesure qu’ils reviennent à la caisse de l’Extraordinaire. Mais le 30 septembre 1790, la Constituante institue le cours forcé de l’assignat, désormais émis en coupures de 50 et 100 livres et donc devenu du papier-monnaie. Le 6 mai 1791, on procède à l’émission d’assignats de 5 livres. En juillet 1794, le montant des assignats en circulation atteint 6 milliards de livres.

Comme dans le reste du pays, les effets de l’assignat sont mitigés en Alsace. Libérés des droits féodaux et de la dîme, les paysans doivent pouvoir payer en assignats les nouveaux impôts (impôts fonciers dont la création est votée le 23 nov. 1790), et les artisans et bailleurs la contribution mobilière et la patente (création en janvier et mars 1791), perçus par les receveurs municipaux, qui rechignent à les accepter au pair. Le fermage des biens nationaux est également acquitté en assignats, ce qui diminue d’autant la valeur des baux. En 1791 et 1792, les achats de biens nationaux, à régler sur 12 annuités, sont payés en assignats.

 

En Alsace, une dépréciation plus forte

En Alsace, la circulation des assignats est plus difficile que dans les autres départements français et leur dépréciation est bien plus accentuée qu’ailleurs (voir le graphique comparant le cours de l’assignat de 100 livres du département du Haut-Rhin avec celui des Vosges et de la Meuse). En fait le cours de l’assignat, tant dans le Bas-Rhin que dans le Haut-Rhin est celui fixé par les places de Bâle et accessoirement de Mulhouse. Dès décembre 1790, le Directoire du département relève que les receveurs publics exigent de la monnaie métallique, achètent des assignats au cours réel et effectuent leurs paiements au cours forcé : il souhaite qu’il soit tenu compte de ces différences. Pourtant, l’exportation de numéraire métallique, qui est interdite dès septembre 1791, a néanmoins lieu en grandes quantités. Dès août 1790, l’économie vit sous le régime du double prix de l’ensemble des transactions (privées ou publiques), l’un pour les assignats, l’autre pour le numéraire. Le prix en assignats est « valorisé », pour tenir compte de sa décote. Ceci vaut aussi pour les achats de biens nationaux, dont les enchères revalorisent les prix. A l’été 1792, le voyageur venu de « l’intérieur » de la France constate que l’assignat y est refusé, et que les prix, y compris en monnaie métallique, ont fortement augmenté. La Convention a donc décidé de financer la guerre par l’inflation. Par contre, en Alsace, l’armée est obligée de demander au gouvernement de prévoir un pourcentage de monnaie métallique pour le financement des troupes, pour tenir compte de la situation locale. A la fin de 1792, les autorités qui paient en assignats (traitements, pensions, marchés publics, travaux, etc.) acceptent le principe de la « valorisation » et prévoient une indemnité compensatrice de la dépréciation de l’assignat. En avril 1793, la Convention interdit les transactions en numéraire, impose les paiements en assignats au pair, sous peine de sanctions exemplaires. Mais ausitôt les prix augmentent pour tenir compte de la dépréciation. Comme les paysans refusent les assignats, les autorités sont contraintes de violer les décrets de la Convention et de continuer à payer les troupes en numéraire. Dans le Haut-Rhin, les ouvriers (Logelbach, Wesserling, Sainte-Marie, Munster) qu’on tente de payer en assignats cessent le travail, quoique leur salaire en assignats ait été fortement augmenté. Le 4 mai 1793, la Convention décrète la taxe des grains (première loi du maximum). Les paysans ne portent plus leurs récoltes au marché et ne vendent plus que clandestinement. Les réquisitions n’y changent rien. La disette s’étend, et le troc (vin contre grains) se généralise, alors que les récoltes de 1793 ont été bonnes.

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Septembre 1793 : maximum et terreur

En septembre 1793 est promulgué le maximum général : les prix de toutes les denrées sont arrêtés au niveau de ceux de 1789 majorés de 33 %, et les municipalités sont chargées d’arrêter la taxe des salaires. La répression engagée par les représentants en mission et les accusateurs publics du Haut-Rhin (Yves) et du Bas-Rhin (Euloge Schneider), soutenus par la surveillance exercée par les sociétés populaires (Clubs de Jacobins) vise d’abord les « contre-révolutionnaires, fanatiques, accapareurs et agioteurs » (Hérault de Séchelles, 8 novembre 1793). Comme dans le reste de la France, la politique de la Terreur rend quelque vigueur à l’économie. Les assignats circulent à nouveau, et comme les affaires reprennent quelque peu, le cours de l’assignat à Bâle lui-même remonte fortement (ainsi que son cours à la Trésorerie de Paris). Mais avec la disparition de fait des juridictions révolutionnaires (mars 1794, décret de mai 1794), le maximum n’est plus appliqué, l’assignat recommence à se déprécier et le double prix à s’afficher. Foussedoire, le représentant en mission dans les Vosges et le Haut-Rhin, décide bien un échange forcé de 5 millions de livres d’assignats contre du numéraire (6 février 1794), à répartir entre les districts et les communes du département du Haut-Rhin, mais il doit bientôt convenir que le cours de l’assignat ne peut être soutenu que par la terreur des tribunaux révolutionnaires.

Exemple d'assignat

De plus, la situation s’aggrave du fait de la circulation, en quantités de plus en plus importantes, de faux assignats, tant dans le Bas-Rhin que dans le Haut-Rhin. De nouveaux représentants en mission, Hentz et Goujon, décident alors, pour remédier à « l’avilissement de l’assignat » dans les départements du Rhin, l’application des arrêtés d’échange forcé de numéraire (arrêté du 4 thermidor pour le Bas-Rhin). La taxation fut fort arbitraire et dans certaines localités, l’on taxa principalement les juifs. Elle ne devait pas rapporter les 5 millions espérés, mais environ 10 % de cette somme (octobre à novembre 1794). L’abolition des décrets sur le maximum des prix à payer en assignats (24 décembre 1794) provoque la reprise immédiate des transactions en numéraire. Mais les récoltes de 1794 avaient été fort mauvaises et la hausse des prix encouragée par l’abandon de la politique répressive est très forte. Le cours de l’assignat s’effondre : en mars 1795, l’assignat de 100 livres en vaut 14. Les transactions en assignats sont « revalorisées » pour les ventes aux enchères de biens nationaux effectuées pendant cette période, ce qui affecta particulièrement la petite paysannerie désireuse de se porter acquéreuse et qui s’endette lourdement.

 

La liquidation des assignats  : un effet frontière déterminant 

La loi de ventôse an IV remplace l’assignat par le mandat territorial, qui fut fort peu utilisé et, dès le 29 messidor an IV (17 juillet 1796), on en revient au numéraire. Restait donc à évaluer en numéraire les créances en assignats encore pendantes, dont le montant devait tenir compte de la dépréciation de l’assignat au jour de l’engagement. Chaque département doit adopter un tableau du cours de l’assignat, soit de « sa valeur d’opinion » du 1er janvier 1791 au 1er juillet 1796. Le cours du papier-monnaie à Paris, d’après les « notes de trésorerie », est annexé à la loi demandant à établir le tableau départemental. Les commissions des deux départements du Rhin déclarent se fonder principalement sur les cours fixés par la place de Bâle. On constate qu’elles ont la sagesse d’en exclure la brève pointe spéculative reprise par l’assignat du fait de la Terreur. En fait, les courbes du cours de l’assignat dans les départements du Rhin sont identiques à celles du cours de l’assignat établi par les « notes de la Trésorerie pour ses achats de numéraire ». Dans les départements du Rhin, on s’en tient en 1796 à la valeur du numéraire pour établir celle de l’assignat, comme on avait fait pendant toute la période révolutionnaire : la situation frontalière avait été déterminante.

Quelles furent les conséquences économiques et sociales de la politique monétaire de la Révolution et donc de l’assignat ? On ne peut que l’insérer dans une politique d’ensemble. Dans un premier temps la masse des prélèvements fonciers (impôts, paiements des biens nationaux, fermages) se trouve allégée d’autant, pour le paysan riche et moyen, ainsi que pour les citadins aisés qui renforcent leur emprise sur les campagnes, par l’achat de biens nationaux, dont ils réclament les fermages en numéraire. Dans la période de forte inflation, le paysan qui refuse de vendre sa production en assignats est-il gagnant devant la hausse des prix, compte tenu du fait que son revenu est constamment ponctionné par les réquisitions ? Dans les villes, il semble bien que l’artisan ou le commerçant, plus surveillé, que dans les campagnes n’aient pas gagné à l’inflation, pas plus que l’ouvrier, même s’il refuse d’être payé en assignats. La masse des plaintes retranscrites dans les procès-verbaux des sociétés populaires traduit bien ce mécontentement. La dénonciation des « agioteurs » et « accapareurs » donne lieu, à nouveau, aux vagues d’antisémitisme. Elles visent les prêteurs juifs qui s’aventurent dans le petit prêt à gros risque à l’intention des paysans modestes qui veulent à tout prix être propriétaires et qui, d’après Roland Marx, furent les principales victimes de l’assignat.

Bibliographie

CARON (V.), Tableaux de dépréciation du papier-monnaie. Recueil de textes publié par la Commission de recherche et de publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution, Paris, 1912.

HUBRECHT (Georges), Les assignats dans le Haut-Rhin, Strasbourg, 1932.

MARX (Roland), La Révolution et les classes sociales en Basse-Alsace. : structures agraires et vente des biens nationaux, Paris, 1974.

BRAUDEL (Fernand.), LABROUSSE (Ernest), Histoire économique et sociale de la France, t. III (1789-1880), Paris, 1976, t. III, p. 24-28.

Notice connexe

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François Igersheim