Armoiries

De DHIALSACE
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Arma, Stemma, Stemmata, Wappen.

Les armoiries (ou armes ; allemand Wappen : latin médiéval arma, latin humaniste sing. stemma, plur. stemmata) sont des signes de reconnaissance que les chevaliers prennent au XIIe siècle l’habitude de porter sur leur bouclier (écu, Schild, scutum, clipeus), leur heaume (sous la forme d’un cimier, all. médiéval kleinod, all. mod.Helmzier) et leur bannière (vane, Fahne).

Insignes personnels et familial

Ce sont des insignes personnels, mais qui en même temps manifestent l’appartenance à un groupe – le plus souvent familial, mais parfois aussi féodal : de nombreux ministériaux d’Empire ont un écu à l’aigle, plusieurs ministériaux de Murbach portent comme l’abbaye un lévrier (Hungerstein, Ostein, Schultheiss von Gebwilre, Ungersheim), et plusieurs ministériaux de l’évêché de Strasbourg ont repris son écu de gueules à la bande d’argent (Wetzel, Kageneck, Achenheim) ; les Burgmannen de Brumath ont presque tous un écu parti avec à senestre une étoile en chef (qui n’est pas celui de leur seigneur, le landgrave de Werde).

Mais le plus souvent, les armoiries sont propres à un groupe familial plus ou moins étendu, au point qu’elles finissent par être considérées comme expression de l’identité familiale au même titre que le nom : mines schildes und helmes est employé au sens de « de ma famille », tout comme mines stammes und namens. En 1435, les comtes de Tierstein (du Sisgau) et les sires autrichiens d’Ebersdorf, découvrant par hasard qu’ils ont les mêmes armes, en concluent contre toute vraisemblance qu’ils sont parents, et s’instituent mutuellement héritiers en cas d’extinction de leurs lignées respectives (D.A. Christ, Zwischen Kooperation und Konkurrenz, 1998, p. 146-150). Le fait est que jusqu’au XVe siècle au moins, la transmission des armoiries, pas plus que celle des noms, n’est régie par des règles strictes, de sorte qu’on trouve des frères qui n’ont pas le même patronyme, et d’autres qui n’ont pas les mêmes armes ; aux générations suivantes, on trouve des armes communes à plusieurs patronymes et des patronymes auxquels correspondent plusieurs armoiries différentes - quatre chez les Mittelhausen, trois chez les Wasigenstein, les Ostein, les Heidwiller, etc. On ne peut pas dire que le nom soit un meilleur marqueur de l’identité familiale que les armes, ni l’inverse. Chaque cas doit être étudié individuellement, mais il est rare que les sources permettent de trancher. L’origine de ce que nous percevons comme des anomalies pourrait être qu’un individu reprend parfois le nom ou les armes de sa mère, ou du second mari de sa mère, voire de sa femme.

Même si de tels cas ne sont pas rares, il n’en reste pas moins que, le plus souvent, les armes, comme le nom, se transmettent de père en fils et identifient ensemble la famille. Néanmoins, les armes offrent à l’individu une possibilité de se distinguer sans renier son appartenance : la brisure, qui modifie les armes du lignage, soit en en changeant les couleurs, soit en ajoutant un meuble – une étoile pour une branche des Hattstatt, une rose pour un rameau des Winstein – soit en adoptant un autre cimier. Les Müllenheim, p. ex., qui ont formé 24 branches, ont au moins autant de cimiers connus (Familienbuch der Freiherren von Müllenheim-Rechberg, I-III/1, 1896-1915, planches en fin de chaque vol.). On connaît un accord (d’ailleurs obscur) entre trois branches des Hattstatt portant sur les brisures par lesquelles leurs armes et leurs bannières doivent se distinguer (vers 1265, éd. in F. Hauptmann, Das Wappenrecht, 1896, 452).

L’évolution de l’armement a conduit à réduire la taille de l’écu, puis à l’abandonner à partir du XVe siècle, et à renoncer encore plus tôt à l’incommode cimier, sauf dans les tournois. Les armoiries n’ont pas pour autant disparu de la tenue du chevalier, prenant place sur la cotte d’armes et la housse du destrier. Mais surtout, leur succès a fait qu’on les a représentées un peu partout, sur des vêtements et des pièces d’orfèvrerie, sur des pierres tombales, des vitraux et des tableaux, sur des tapisseries, des meubles, des édifices, et surtout sur des sceaux, qui sont aujourd’hui notre source la plus abondante sur l’héraldique médiévale, source bien imparfaite, puisqu’il lui manque la couleur, élément essentiel du blason.

 

XIVe siècle : les brevets d'armoiries

A la faveur de cette évolution, les armoiries se sont étendues bien au-delà du milieu de l’aristocratie, dans laquelle elles étaient nées. Des seigneuries ecclésiastiques, des villes, des corporations, des bourgeois et des paysans en ont adopté. Ils l’ont fait en toute liberté : la seule règle est de ne pas adopter les armes d’autrui sans son accord ; encore n’est-elle applicable que dans un cadre régional, comme le montre le cas des Tierstein et des Ebersdorf. On aurait tort de croire les armoiries régies ou même sérieusement influencées par une autorité supérieure. Ce n’est qu’au XIVe siècle que les souverains commencent à délivrer quelques rares brevets d’armoiries (Wappenbriefe), soit qu’ils confèrent des armes à qui n’en avait pas, soit plus souvent qu’ils « améliorent » des armoiries existantes (Wappenbesserung). La question reste à étudier, mais il semblerait que l’initiative vienne en général des impétrants, et que ceux-ci jouent parfois d’une confusion entre brevet d’armoiries et de noblesse, à l’exemple de Philipp Hage de Strasbourg, prétendant (sans succès) être admis au poêle noble du Hohensteg en vertu du brevet d’armoiries obtenu par son père (ARA 1J 648) ou des Würmlin de Colmar, dont le roi a confirmé les armoiries en 1433 (AMC JJ F 278 ; RI XI/2, 9873), ce dont ils concluent en 1436 das sù fùrer mee wappens genos sien und fry sitzen sollent (qu’ils ont désormais droit à des armoiries et à l’exemption d’impôts : CSR 223 n° 178) ; leurs sceaux montrent d’ailleurs qu’ils avaient déjà des armes en 1351 (AHR 31H 26).

 

L'armorial général de la France et l'Alsace

A partir du XVIe siècle, les empereurs délèguent le droit de conférer des armoiries aux comtes palatins auliques (Hofpfalzgrafen). A l’époque moderne, les progrès de l’autorité royale se traduisent également par des interventions plus nombreuses dans le domaine héraldique ; leur sommet est l’édit de 1697 obligeant tous les notables et institutions de France à faire enregistrer leurs armes ; ceux qui n’en avaient pas s’en voient pourvus, qu’ils le désirent ou non ; le but de l’opération est de prélever des taxes, non de mettre de l’ordre dans le monde foisonnant du blason ; aussi bien la création hâtive de centaines d’armoiries par un personnel peu formé ne pouvait-elle rien donner de bon. Le résultat de l’entreprise est l’Armorial Général de la France, dont la partie concernant l’Alsace a été publiée, non sans erreur. Parmi les armes alors enregistrées figurent celles de bourgeois, de coqs de village, de curés de campagne, de communes et de corporations : on voit donc que la monarchie absolue, ne serait-ce que par intérêt fiscal, ne cherche nullement à limiter les armoiries à la noblesse. C’est donc sans raison objective que la Révolution les considérera comme des « marques de féodalité » et les poursuivra d’une haine vandale.

 

Les règles du blason

Donc, pendant des siècles, les règles relatives à l’adoption et à la transmission des armoiries relèvent du consensus social et sont par conséquent très souples. Il en est de même de leur représentation, qui est beaucoup moins normée au Moyen Age qu’à l’époque moderne : qu’une bande soit mince ou large, que la langue et les griffes d’un lion aient ou non une autre couleur que son corps, qu’une étoile ait six ou huit rais, qu’une figure soit tournée vers la gauche ou la droite, tout cela est resté pendant des siècles à l’appréciation de chaque artisan amené à peindre, sculpter ou graver un écu.

Les règles du blason (c’est-à-dire de la création, de la représentation et de la description des armoiries), elles-mêmes ne sont guère connues en-dehors de l’aristocratie ; les roturiers n’en tiennent souvent aucun compte quand ils adoptent des armoiries, l’exemple le plus grossier étant ces linteaux sculptés d’un écu qui contient un millésime et/ou les initiales du bâtisseur en plus ou à la place de son emblème professionnel.

Les figures héraldiques sont tantôt abstraites (bande, pal, croix, bordure...), tantôt elles figurent des êtres vivants ou des objets. La question de ce qu’elles signifient est donc souvent posée. La réponse est double, un peu comme pour les représentations des chapiteaux romans ou des bordures de manuscrits : une croix de saint André, une étoile, un dragon, un anneau ne veulent rien dire de précis ; mais la prédilection pour certaines figures est révélatrice d’une mentalité, et leur choix n’est pas l’effet du hasard, même si nous n’en démêlons les motifs que dans une petite minorité de cas. Parmi ceux-ci figurent les armes « politiques » comme l’aigle d’Empire et les lys de France, dans quelques cas du moins ; mais si les Arnsberg et les Girsberg portent un aigle, c’est sans doute plutôt parce qu’arn veut dire « aigle » et gir « oiseau de proie », et des familles alsaciennes comme les Echery ou les Dicka zu Spesburg n’ont sûrement pas songé aux Capétiens en mettant des fleurs de lys dans leur écu. Un autre cas est celui des emblèmes professionnels : un tailleur de pierre s’arme volontiers d’un marteau, un boucher d’un tranchet, un vigneron d’une serpette, un laboureur d’un soc de charrue. Enfin, les « armes parlantes », c’est-à-dire faisant allusion au nom de leur porteur, sont nombreuses et parfois très anciennes, comme les deux bars des comtes de Bar, repris par les comtes de Montbéliard et de Ferrette (branches de ceux de Bar), bien que pour eux ces armes ne « parlent » plus. D’autres ne « parlent » que par allusion, comme la meule des von der Weitenmühle, le sanglier (swin) des Merswin, ou les massues (Kolben) de Stephan Kolbeck. Et bien plus nombreuses sont les armes sans aucun rapport perceptible avec le nom ou l’activité de leur premier porteur.

Sur leur sceau, les personnes physiques mettent en général leurs armes, quand elles en ont ; mais il y a des exceptions (notamment chez les clercs), et celles-ci sont plus nombreuses pour les personnes morales. C’est ainsi qu’une commune met volontiers dans le champ de son sceau une figure évoquant son seigneur (l’aigle à Colmar, le lion à Sélestat, le lévrier à Guebwiller, etc.), ou son saint patron, ceci à une date où, souvent, elle n’a pas encore d’armoiries. Plus tard, elle peut en adopter de tout autres (Colmar : parti et molette d’éperon ; Guebwiller : bonnet albanais), mais il est souvent arrivé que l’Armorial Général lui donne comme figure héraldique, bien à tort, sa figure sigillaire.

Comme les armoiries sont un code aristocratique international, le passage de l’Alsace du monde germanique au monde français n’a posé ici aucun problème. Si problème il y a, c’est plutôt que leur succès les a fait adopter par une foule de gens qui n’en maîtrisaient pas le code ; c’est aussi que le blason est né d’une esthétique et d’une mentalité médiévales, pour lesquelles l’époque moderne n’a plus guère de compréhension, ce qui la conduit à compliquer inutilement les armoiries et à en affadir le style.

 

Bibliographie

BARTHÉLÉMY (Anatole de) (édit.),Armorial de la Généralité d’Alsace, Strasbourg, 1861.

NEUBECKER (Ottfried), Deutsch und Französisch für Heraldiker, 1934 [bon lexique bilingue].

PASTOUREAU (Michel),Traité d’héraldique, Paris, 1979 [avec la bibl. antérieure ; renouvelle le sujet].

Armorial des communes du Haut-Rhin [éd. par les AHR], 2e éd., Colmar, 1984.

Armorial des communes du Bas-Rhin [éd. par les ABR], 2e éd., Strasbourg, 1995.

Un répertoire héraldique de l’Alsace reste à créer. Pour une partie de la noblesse et du patriciat, on peut utiliser les planches d’armoiries à la fin de deux ouvrages de KINDLER von KNOBLOCH (Julius) : Der alte Adel im Oberelsaß, Berlin, 1882, et Das Goldene Buch von Straßburg, Wien, 1886 ; mais on se méfiera des déductions de l’auteur quant aux familles ayant plusieurs armes et aux armes communes à plusieurs lignages.

 

Notice connexe

Héraldique

Bernhard Metz