Église (propriété et entretien)

De DHIALSACE
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Au haut Moyen Âge, la plupart des églises ont été bâties par des seigneurs laïcs ou ecclésiastiques, souvent dans l’emprise de leur cour domaniale. Ces églises restaient leur propriété (Eigenkirchen) ; ils en nommaient le desservant, en percevaient la dîme et en assuraient l’entretien. La réforme dite grégorienne remet en cause le droit des laïcs à posséder des églises, mais ne peut guère faire plus que changer le vocabulaire : en droit, le propriétaire de toute église est désormais son saint patron (der Heilige) ; l’ancien Eigenkirchenherr n’est désormais plus que le patron ou collateur (patronus, Satzherr), mais il garde une grande partie de la dîme. Pour l’entretien de l’église sont désormais mises à contribution la dîme, la fabrique et la dot.

La dot d’une église (dos ecclesie, Wittum, widem, gwidem) consiste en terres lui appartenant inaliénablement, et dont son desservant a la jouissance, à charge de contribuer à son entretien, en général à celui du choeur (Pfleger, p. 274).

Les biens de la fabrique (fabrica ; das Werk pour les grandes églises urbaines, der Heilige pour les autres) proviennent de legs, donations et fondations pieuses. Ils sont gérés en principe par un conseil de fabrique, en fait le plus souvent par un unique marguillier ou fabricien (procurator fabrice ; Kirchen- ou Heiligenpfleger, -meier, -schaffner ou –mann ; Werkmeister pour les églises importantes), dont le contrôle est l’objet de litiges récurrents entre le clergé, la commune et le seigneur. Les biens de la fabrique sont destinés à financer le culte, mais aussi le bâtiment, puisqu’aussi bien fabrica signifie « chantier » (Pfleger, p. 280-281).

Le quart de la dîme dans le diocèse de Bâle, ou le tiers dans celui de Strasbourg, est théoriquement destiné à l’entretien et l’embellissement de l’église (Pfleger, p. 296). Dans la pratique, ceux qui se partagent la dîme se partagent aussi l’entretien – et, le cas échéant, la reconstruction ou l’agrandissement – du bâtiment (Kirchenbaupflicht ou -last) ; souvent, le curé doit entretenir le choeur, le collateur la nef. Mais ce dernier arrive souvent à se défausser sur les paroissiens d’une partie au moins de sa charge (l’avant de la nef à Lutterbach, son côté Sud à Gresswiller, son côté Nord à Gildwiller et Munchhouse). Dans les diocèses de Strasbourg et de Bâle finit par prévaloir la règle que le décimateur entretient le choeur, la sacristie, le clocher (uniquement s’il est sur le choeur ou sur la sacristie) et la cure ; et que l’entretien de la nef, du clocher (s’il n’est ni sur le choeur ni sur la sacristie) et du cimetière incombe aux paroissiens (1ère mention indirecte, pour la nef, à Woffenheim avant 1236). Mais les exceptions sont nombreuses. Dès 1329, Etival ne contribue plus que « par grâce » à l’entretien de l’église de Kientzheim, et, en 1342, la commune de Boersch se charge d’entretenir la sienne en entier, moyennant cession d’une forêt (ABR 8E 52/48/1, cité de 2e main). À Logelheim, les Girsberg, collateurs, « couvrent » la nef, le curé la tour, et les habitants entretiennent le clocher et la charpente de la nef (Grimm, Weisthümer, IV, p. 148). En 1450, Eschau, collateur de Fegersheim, parvient à limiter à 3 lb. sa contribution aux réparations de l’église. Dès 1430, Lucelle obtient de la commune de Morschwiller-le-Bas qu’elle se charge à l’avenir d’entretenir nef, choeur et tour (Trouillat V, p. 766), ce qui est aussi la coutume à Hohatzenheim en 1492 (ABR E 1752 fo 33r). Le fait que les textes médiévaux ne parlent généralement que de la couverture de l’église (tachung, decken ; il faut supposer que tout l’entretien est compris sous ce mot) est exploité par les décimateurs au XVIIIe siècle (et par le curé de Pfetterhouse dès 1511 : AHR 10H 119) pour refuser de payer plus que les travaux de toiture. Ce n’est qu’à Ingersheim en 1762 (AAEB A 19b/4 p. 1599) qu’on distingue l’entretien – du choeur par Saint-Dié, de la nef, de la tour et de la sacristie [!] par la commune – et la reconstruction (la commune transporte les matériaux et paie la charpente, Saint-Dié la maçonnerie et les vitres).

Les sources se contentent le plus souvent de préciser ce que « les paroissiens » ou « les habitants » ont à financer, sans indiquer dans quelle caisse ils prennent le montant des travaux à leur charge. En 1459, ce sont les kirchenpfleger de Friesen qui sont en procès contre les décimateurs (AHR 34H 3/21). À Pfetterhouse, en 1511, ce sont die underthanen oder kirchenpfleger qui doivent entretenir la nef (AHR 10H 119). À Zeiskam (Palatinat), en 1587, l’église est en partie entretenue aus den kirchengefällen. À Huttenheim, c’est la commune qui transforme le clocher en 1582, mais elle jouit, nescitur quo titulo, des revenus de la fabrique (ABR D 3/19). Le plus souvent, c’est de la commune seule qu’il est question, soit que la fabrique n’ait pas eu les ressources nécessaires, soit qu’elle soit traitée comme une émanation de la commune, ce qu’elle n’était pas en droit, mais souvent en fait.

La part croissante de la commune à l’entretien de l’église est donc le fait marquant de l’évolution. Sa montée en puissance au bas Moyen Âge et sa tendance – à la campagne comme en ville – à considérer la religion comme de son ressort ont été mises à profit par les décimateurs pour se soustraire à tout ou partie de leurs obligations. On peut supposer que, voyant qu’ils laissaient leur église se dégrader, les habitants ont souvent préféré mettre la main à la poche que souffrir plus longtemps de son mauvais état. Si le résultat de l’évolution est si différent d’un lieu à l’autre, c’est d’abord qu’il faut distinguer églises-mères, paroisses tardivement détachées de celles-ci, et simples filiales ou chapelles, pour lesquelles les obligations des décimateurs n’étaient pas les mêmes. C’est ensuite qu’il y a souvent eu des arbitrages ou des arrangements locaux, dont les uns visaient explicitement à trancher la question pour l’avenir, et dont les autres ont été invoqués plus tard comme précédents. En simplifiant, on peut dire que les fidèles, pour obtenir un service – ici une église assez grande et en bon état, mais la même chose est vraie aussi pour le culte et pour les secours aux pauvres – ont dû le payer deux fois, d’abord par la dîme, instituée à cette fin, et ensuite par leurs contributions individuelles (legs et fondations) et collectives. Tout cela n’a pu qu’attiser l’anticléricalisme populaire.

Bibliographie

PFLEGER, Pfarrei (1936), p. 60-103, 272-85, 293-300.

CHÂTELLIER (Louis), Tradition chrétienne et renouveau catholique dans le cadre du diocèse de Strasbourg 1650-1770, Strasbourg, 1981, p. 70.

MEYER (Jean-Philippe), « Note sur l’ancienne église romane d’Obernai », ASHDBO 16, 1982, p. 78, n. 3.

PAPIRER (Eugène), Kientzheim en Haute-Alsace, Colmar, 1982, p. 272.

BOEHLER (Jean-Michel) et alii, éd., Histoire de l’Alsace rurale, Strasbourg, 1983, p. 105 et 110 (Woffenheim).

ABEL (Louis), Kembs en Sundgau rhénan, l’église et l’architecte, Strasbourg, 1986, p. 102.

Notices connexes

Eigenkirche

Fabrique

Kirche

Patronat

Wittum

Bernhard Metz